La rassurant sur les sentiments de son mari à son égard, elle nous répond en riant qu'on lit trop de romans Arlequin ! Songeuse, on se dit qu'il ne faut pas dénigrer ce genre de livres, s'ils convertissent une seule personne à des lectures plus sérieuses. On a terminé de lire le premier recueil de nouvelles d'Emmanuelle Cornu, Jésus, Cassandre et les Demoiselles.
Quarante nouvelles brèves, divisées en dix parties, chacune faisant intervenir un personnage féminin plutôt que masculin, entouré de Demoiselles. Les nommer importe peu, les filles ou femmes se reliant entre elles leur inventent une existence à rebondissements... On n'a pas toujours saisi les aboutissants de ces aventures intimes, mais le regard tendre ou narquois de la jeune auteure nous convainc de leur pertinence. Au hasard, on cite quelques titres. Cassandre et la culture des prunes, une petite fille timide se fait malmener par des compagnes plus hardies, Manon est là pour la défendre. Eluda-Louisiana et les Demoiselles, fabrique des breloques et, comme toute créatrice, en détruit quelques-unes. Cale sèche, Joëlle ne sait plus très bien où elle en est. Réfugiée dans une goélette, elle imagine tout perdre à la venue de l'hiver. Crevette sur fond de toile décrit le parcours artistique de Lysandre qui, doutant de son talent, a refusé les codes établis. Jésus, dans la salle de bain. Un enfant « embrouillé dans ses chimères » se débat contre le « citoyen » que peut-être il deviendra. Tu vas revenir dans quelques minutes, en camping, une jeune femme s'interroge sur le retour probable de son amante. J'ai un bureau qui brille ou le regard ironique d'une narratrice sur sa condition sociale.
D'autres fables plus hermétiques, non moins symboliques, valorisent bellement l'ensemble du recueil. Des femmes névrosées, témoins de leur propre drame, se glissent hors d'un temps réel qui ne semble plus leur appartenir, créant un effet funambulesque à mesure que les pages se tournent. Un univers enfantin fait place à un monde plus radical, celui d'adultes qui se cherchent au centre des méandres de leurs avatars. Un détail — un désir — déclenche une effervescence créative que ressent le lecteur. Emmanuelle Cornu ne manque pas d'humour acide quand elle se penche sur les aléas de la société actuelle. La nouvelle SUPER bouchée, grinçante à souhait, démontre la stupidité de Consuelo face aux objets qu'elle possède, qu'ils soient conséquents ou pas. Au volant de sa « SUPER bagnole », elle ne se rend pas compte du danger qui la guette, trop occupée à donner de l'importance aux superlatifs qu'elle utilise, l'empêchant de penser. Une étrange certitude se dégage de ces textes : une destruction mentale et physique quand plus rien ne va. Faut-il se laisser emporter par un vent violent avant de se poser sur un sol lisse et stable ? Un grand vent souffle sur ces textes originaux, que rythment des phrases concises, un apport parfois excessif de répétitions lancinantes.
Notons un riche imaginaire nourri, on le devine, d'expériences heureuses ou malheureuses survenues à l'auteure. Observant ses congénères, elle a capté dans un regard désemparé, dans un geste hésitant, une parole tremblante, d'inévitables déceptions. Si on privilégie le caractère conforme, aéré des nouvelles classiques, on ne peut douter du talent d'Emmanuelle Cornu. Animée d'une révolte intérieure inhérente à ceux et celles qui ont quelque chose à dénoncer, l'auteure se cabre, frémit, tel un animal indiscipliné refuse les affres de l'assujettissement. On attendra patiemment une deuxième parution de cette écrivaine à la plume acérée, ces récits s'avérant une étonnante promesse...
Jésus, Cassandre et les Demoiselles, Emmanuelle Cornu
Éditions Druide, Montréal, 2012, 208 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mardi 9 octobre 2012
samedi 29 septembre 2012
Les brûlures du temps qui passe ***
En compagnie de Jane Dix, jeune archéologue au chômage, nous allons parcourir des univers disséminés dans le temps. À la suite d'une petite annonce à laquelle elle répondra, et après l'échec d'une entrevue, Jane se verra proposer un curieux mandat par une jurée, Sarah Mill, qui l'a remarquée. Rechercher l'origine de l'incendie, qui a dévasté pendant trois jours une partie de Londres en 1666. Jane, tout comme le lecteur, traversera des situations oscillant entre vérités et mensonges, entre histoire officielle et fiction. De l'atelier de Francis Bacon, qui a été un ami intime de Sarah Mill, Jane sera propulsée dans les archives poussiéreuses de la société d'assurances Lloyd's où travaille son employeuse. Jane devra se rendre à Paris, rencontrer un spécialiste de Georges de La Tour afin d'y faire authentifier un triptyque dépeignant l'incendie. Certains éléments n'étant pas conformes aux conclusions tirées des causes du sinistre. Enquête qui amènera Jane dans les pas de surprenants personnages, la plupart mis en scène par Sarah Mill. Une artiste polonaise, une famille amish dont l'un des membres est gardien de phare, Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge, un faussaire de tableaux amnésique, deux frères milanais : l'un est botaniste, l'autre, rebelle raté. Il y a aussi les Salmontès, fondateurs d'un célèbre et mystérieux cirque. Dédale dans lequel Jane se fondra sans jamais s'y incruster, les flammes, souvent symboliques, détruisant rageusement les actions excessives des protagonistes. Une fatalité ignée les regroupe dans la mémoire de Sarah Mill, les distille durant la mission éparpillée de la jeune archéologue. Points de repère, tels des phares avertissant les navires du danger des tempêtes. Et c'est bien le gouvernail d'un vaisseau fantôme que tient Jane, envahi d'êtres excentriques. Admirable fiction alimentée du savoir de l'écrivain. Extravagance imaginaire que permettent des époques révolues, peut-être entrevues le temps d'un roman...
Toutefois, le parcours de Jane, parsemé d'embûches historiques, dépeint par Gilles Jobidon, déroute le lecteur, lassé de trop longues descriptions narrées par des individus qui s'invitent à tour de rôle. Parle-t-on de cette manière ininterrompue ? On en doute. La curiosité l'emportant, questions et réponses devraient animer un discours passionnant, parfois éteint par d'intenses, poignantes digressions. L'agonie apaisée du roi Louis XIII méditant devant un tableau de La Tour, l'unique représentation du cirque Kirkos, le suicide de Hermina Salmontès. Le désespoir dissimulé de Sarah Mill, qu'elle noie occasionnellement dans de bons vins... La détresse de Jane après une expérience malheureuse en Amérique du Sud. Le feu, sous toutes ses formes, tord ses flammes dans l'existence de femmes et d'hommes blessés par la maladie du corps et de l'âme. La fuite sans but de La Tour ne parvenant pas à oublier la mort de sa petite fille Marie.
Roman touffu, foisonnant de détails subtils, méticuleux. Un ton lyrique, une écriture griffée, tel un manuscrit ancien supportant difficilement la lumière du jour, enténébré d'un encombrant et lourd passé, semblable aux tableaux du peintre des Nuits... Après avoir fermé le livre, un peu essoufflés, nous avons l'impression d'avoir fait une longue promenade hors du temps, dans des sentiers calcinés, leurs pierres charbonnées, foulées par des êtres impatients de connaître par qui ou pourquoi origine l'incendie de Londres. À lire à doses parcimonieuses, comme aujourd'hui nous relisons Balzac.
Combustio, Gilles Jobidon
Leméac Éditeur, Montréal, 2012, 320 pages
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