Pour faire plaisir à G. Avant de se convertir à la critique littéraire, on a publié vingt livres. Romans, récits, nouvelles, un essai. Ces livres ont été publiés chez différents éditeurs. Des nouvelles et un roman ont été édités en numérique. Expérience peu concluante. On tait les nombreux textes parus dans diverses revues, sur des sites littéraires. Lus à la radio de Radio-Canada. Notre amie G. est satisfaite qu'on se soit mise en relief, ce qui nous ressemble peu. Commentons le premier recueil de nouvelles de Madeleine Allard, Quand le corps cède.
Neuf récits d'ordre intimiste. De prosaïques anecdotes inspirées par la vie, n'offrant que le quotidien enrubanné de ses joies, empêtré de ses contrariétés. Pour ajouter à la fadeur des histoires que dépeint l'auteure, elles sont relatées dans un style compendieux, d'une simplicité désarmante. Ce qui leur confère une force d'interprétation inattendue. Les faits sont là, tels qu'ils se sont déroulés à un moment désordonné, sans que de superflues fioritures émoussent leurs intentions cruelles. Dans Le roi de la montagne, nous ne pouvons échapper à Nicolas qui, submergé par sa vie familiale, ne demande qu'à se reposer une journée. Surtout, ne pas parler. Il fera appel à son frère pour une randonnée sur la montagne. Dépressif, il ne supporte pas le bavardage superfétatoire de son compagnon. La nouvelle Il fait froid nous met en présence d'une jeune femme qui désire se séparer de Marc, son amant. Dans le métro, elle imagine les mots qu'ils échangeront, en s'adressant à elle-même. Quand elle cogne à la porte, c'est le colocataire qui ouvre, Marc est absent. Dehors, un froid sibérien sévit. Emmène-moi jouer au baseball ou les péripéties journalières d'un couple qui emménage pour deux ans à Halifax, ce qui contrarie ses trois enfants. Le père enseigne, il fait tout ce qui lui est possible pour distraire ses deux fils et sa fille, celle-ci constamment de mauvaise foi. Un soir, il se fâche...
Pourvues d'une apparente banalité, les six autres fictions s'avèrent autant surprenantes. Nous les lisons sans jamais nous interrompre, sans envisager une lecture plus captivante. Comment ne pas se reconnaître dans Bouboule, surnom de Stéphanie que lui ont donné les filles de son école ? Victime d'embonpoint, elle ne fait rien pour le combattre. Sa meilleure amie, Jacynthe, ne l'humilie jamais, elle peut lui faire confiance. Il suffira que Stéphanie ressente un malaise pour que Jacynthe la trahisse. Mais, un jour ou l'autre, la vie fait acte de revanche. Un autre texte, saturé de poésie, densifié par des dialogues écrits en anglais et en français, sans aucune traduction. Une femme rédige une dernière lettre à son amant britannique qui, s'ennuyant au Québec, est reparti vivre sur sa terre natale. La narratrice analyse leur liaison où plane l'ombre d'une morte : une vieille dame de qui, pour la dernière fois, elle a fleuri la tombe. Snowfall, certes, mais chute d'un sentiment amoureux cerné d'un peu de mystère, qui, le temps aidant, se résorbera de lui-même. Un récit tendre et mélancolique, comme lorsque nous ressentons un inachèvement. Celui qui nous a le plus touchée. Entre les mots convient au désarroi que tant de femmes ont traversé : une grossesse accidentelle, non désirée. Quand elle annonce la nouvelle à son amant, il lui réplique bêtement qu'elle peut se faire avorter. Suggestion qui la bouleverse, elle s'enferme dans la salle de bains pour vomir. L'occasion, chacun de son côté, d'une courte rétrospective sur leur liaison. Nous voguons entre les mots d'une femme et d'un homme qui ne savent comment interpréter les silences sentencieux de l'autre.
Le langage expressionniste de ces fables, à la portée de tout un chacun, charrie une fraction de nos acquis intimes, telle une contrition qui ne peut se partager qu'avec soi-même. Le lecteur et la lectrice n'en mèneront pas large quand ils se laisseront aller à tourner les pages d'histoires décrites avec art, qui témoignent d'événements essaimant une existence, en déterminent la gravité ou, inversement, en mesurent le pragmatisme qui bouleverse et fait grandir. Il est rare qu'on lise de ces avatars autant réfléchis, narrés spontanément, créant une ambiance tout à fait personnelle, bruyante, dirigée vers soi, remettant en question une part infime de nos agissements. Les embellissant étrangement de moult de nos échecs. Une seule réserve, on aurait aimé que le dernier texte, La voilà qui arrive, la mort d'un grand-père, soit intitulé du titre du recueil. Une conclusion qu'on aurait parfaitement saisie, une éponymie englobant le contenu substantiel du livre.
Quand le corps cède, Madeleine Allard
Éditions Hamac, Québec, 2016, 142 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mardi 19 avril 2016
jeudi 14 avril 2016
Un homme à la dérive ***
Cette entre-saison n'est plus tout à fait l'hiver, ni tout à fait le printemps. Le temps qu'on le mentionne, le soleil se montre, le vent chasse les nuages. Ce répit nous fait penser au livre qu'on a terminé de lire, ce qui est la moindre des choses quand on a partagé des heures palpitantes avec des personnages si proches de ce que nous sommes. Nous et les inconnus qui s'agitent dehors. On commente le premier roman de Marie-Christine Boyer, Farö.
Sur l'île d'un pays nordique imaginaire, Farö, ancien journaliste, qui vit depuis une dizaine d'années sur ce bout de terre envahie par l'eau, se remet en question quand arrive chez lui son meilleur ami, Milosh. Il est accompagné de la fille de Farö, Sakia, dix ans, que ce dernier ne connait pas. L'homme a eu une histoire d'amour échouée sur ce magma de terre et d'eau. Il a aimé une femme, Turit, qui l'aimait mais qui s'est lassée. Enceinte, elle est partie accoucher en ville, n'est jamais revenue. Deux ans plus tard, elle a choisi d'être enterrée dans la petite ville qui jouxte l'île. Silofjord. Depuis qu'un terrifiant naufrage a chassé les habitants de l'île, Farö y a trouvé refuge, employant sa solitude à dresser des digues, empêchant la mer d'envahir son territoire. Manière de ressasser son désespoir, qu'il entretient solidement, plongé dans le regret des choses qui n'ont pas été. Auraient pu être, est-il convaincu. Nous ne savons trop pour quelles raisons précises se défait un couple sur le point de se briser. Certains s'expliquent, certains se taisent, s'épient, comme l'ont fait Farö et Turit. Décomposition du sentiment amoureux, tari à même sa source.
Quand Milosh débarquera sur l'île avec Sakia, Farö décillera son regard vers les êtres qui résident sereinement dans les petites villes alentour. Ne se rendant pas compte qu'il est redouté parce que vivant seul dans un lieu indomptable. Ce sont ses fidèles compagnons, des pêcheurs, des montagnards, qui lui feront prendre conscience des nécessités de la ville, le persuaderont que l'île est hantée par les noyés d'hier et d'aujourd'hui. Une autre île, Kaljä, moins sauvage, a recueilli de nombreuses familles de pêcheurs, est devenue lieu de villégiature. Milosh et Sakia repartiront. Farö n'aura qu'un désir, les rejoindre, ce qu'il ne fera pas, une mission imprévue s'offrant à lui, atténuant bien des erreurs. Des peines.
Les saisons battent le rythme du temps qui passe, celui des marées qui régule et manœuvre les agissements de l'insulaire. Il n'a jamais possédé une montre, nous renseigne l'écrivaine, ce qui ne surprend pas le lecteur, Farö étant trop encaqué dans son obsession d'avoir négligé Turit, de l'avoir perdue par sa faute. Lui, Farö, s'est toujours mesuré à des défis surhumains. Prendre possession de l'île, la partager avec les cerfs, le sanctuaire d'oiseaux. Construire les barrières. Surveiller le phare. Se fiant enfin à la bonté des hommes et des femmes qui le considèrent, il mettra bientôt un terme à sa réclusion îlienne.
En lisant ce premier roman, on a eu l'impression que le personnage central en était l'île. Que les hommes et les femmes gravitaient vers ses ressources marines, agissant selon son calendrier saisonnier. L'eau magmatique, la terre nourricière. Le vent et ses saccages. Agrégat bouillonnant désirant reprendre ses droits, faire fuir ceux et celles qui seraient tentés de s'y installer à demeure. Sur l'île, « la frontière du rêve se fondait dans la brume. » Évanescence d'une femme inconnue qui apparaît de dos, comme si l'île se faisait réfractaire ou séduisante. Une marionnette à double visage la personnalise...
Histoire singulière, la mer, dominatrice, intervenant peu dans les romans lus récemment. Cependant, on a été dérangée par la trop grande retenue de l'écriture bellement maîtrisée, au détriment des émotions, insufflant aux protagonistes une certaine froideur que leur rôle tragique, ici, contredit. Récit davantage axé sur la gestuelle et sur la parole, que plongeant dans l'intériorité des âmes touchées par les humeurs colériques de l'île.
Farö, Marie-Christine Boyer
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 140 pages
Sur l'île d'un pays nordique imaginaire, Farö, ancien journaliste, qui vit depuis une dizaine d'années sur ce bout de terre envahie par l'eau, se remet en question quand arrive chez lui son meilleur ami, Milosh. Il est accompagné de la fille de Farö, Sakia, dix ans, que ce dernier ne connait pas. L'homme a eu une histoire d'amour échouée sur ce magma de terre et d'eau. Il a aimé une femme, Turit, qui l'aimait mais qui s'est lassée. Enceinte, elle est partie accoucher en ville, n'est jamais revenue. Deux ans plus tard, elle a choisi d'être enterrée dans la petite ville qui jouxte l'île. Silofjord. Depuis qu'un terrifiant naufrage a chassé les habitants de l'île, Farö y a trouvé refuge, employant sa solitude à dresser des digues, empêchant la mer d'envahir son territoire. Manière de ressasser son désespoir, qu'il entretient solidement, plongé dans le regret des choses qui n'ont pas été. Auraient pu être, est-il convaincu. Nous ne savons trop pour quelles raisons précises se défait un couple sur le point de se briser. Certains s'expliquent, certains se taisent, s'épient, comme l'ont fait Farö et Turit. Décomposition du sentiment amoureux, tari à même sa source.
Quand Milosh débarquera sur l'île avec Sakia, Farö décillera son regard vers les êtres qui résident sereinement dans les petites villes alentour. Ne se rendant pas compte qu'il est redouté parce que vivant seul dans un lieu indomptable. Ce sont ses fidèles compagnons, des pêcheurs, des montagnards, qui lui feront prendre conscience des nécessités de la ville, le persuaderont que l'île est hantée par les noyés d'hier et d'aujourd'hui. Une autre île, Kaljä, moins sauvage, a recueilli de nombreuses familles de pêcheurs, est devenue lieu de villégiature. Milosh et Sakia repartiront. Farö n'aura qu'un désir, les rejoindre, ce qu'il ne fera pas, une mission imprévue s'offrant à lui, atténuant bien des erreurs. Des peines.
Les saisons battent le rythme du temps qui passe, celui des marées qui régule et manœuvre les agissements de l'insulaire. Il n'a jamais possédé une montre, nous renseigne l'écrivaine, ce qui ne surprend pas le lecteur, Farö étant trop encaqué dans son obsession d'avoir négligé Turit, de l'avoir perdue par sa faute. Lui, Farö, s'est toujours mesuré à des défis surhumains. Prendre possession de l'île, la partager avec les cerfs, le sanctuaire d'oiseaux. Construire les barrières. Surveiller le phare. Se fiant enfin à la bonté des hommes et des femmes qui le considèrent, il mettra bientôt un terme à sa réclusion îlienne.
En lisant ce premier roman, on a eu l'impression que le personnage central en était l'île. Que les hommes et les femmes gravitaient vers ses ressources marines, agissant selon son calendrier saisonnier. L'eau magmatique, la terre nourricière. Le vent et ses saccages. Agrégat bouillonnant désirant reprendre ses droits, faire fuir ceux et celles qui seraient tentés de s'y installer à demeure. Sur l'île, « la frontière du rêve se fondait dans la brume. » Évanescence d'une femme inconnue qui apparaît de dos, comme si l'île se faisait réfractaire ou séduisante. Une marionnette à double visage la personnalise...
Histoire singulière, la mer, dominatrice, intervenant peu dans les romans lus récemment. Cependant, on a été dérangée par la trop grande retenue de l'écriture bellement maîtrisée, au détriment des émotions, insufflant aux protagonistes une certaine froideur que leur rôle tragique, ici, contredit. Récit davantage axé sur la gestuelle et sur la parole, que plongeant dans l'intériorité des âmes touchées par les humeurs colériques de l'île.
Farö, Marie-Christine Boyer
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 140 pages
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