Au loin, la barre du jour se montre plus écarlate de minute en minute. De nos fenêtres, on suit son étalement sur l'horizon, dont elle maintient la ligne de démarcation. Frontière sans risque de démantèlement parce qu'elle n'est pas née de l'esprit belliqueux des hommes, mais de la fraternité indissoluble du ciel et de la terre. On commente le roman de Ronald White, Nathalie ne vit plus ici.
L'histoire se déroule en cinq semaines, narrée par Charlotte, mariée à Simon Genest, mère de deux jeunes enfants. Pendant la nuit, alors qu'elle ne peut dormir, elle se remémore Nathalie, qui a semé bien de mauvaises herbes dans un jardin où en apparence ne poussait aucune fleur empoisonnée. Métaphore qu'on utilise pour donner un aperçu du drame qui couve, à l'insu de Charlotte qui n'a rien vu venir, amoureuse d'un mari attentionné, qui élève son garçon et sa fille dans un foyer équilibré et conventionnel. Simon, qui travaille dans une firme internationale, rêve de posséder un nouveau camion pour aller au bureau. Ce camion coûtant très cher, sans le consentement de Charlotte, il loue une chambre de leur condo à Nathalie, une ancienne copine de cégep, qu'il a retrouvée à la suite d'une entrevue à la télévision. Charlotte sera informée de sa décision la veille où la jeune femme, inconnue d'elle, doit aménager chez eux. Elle accepte mal cette intrusion mais elle essaie d'entretenir un climat de bonne entente. Peu à peu, Nathalie se révèle une femme déséquilibrée de qui le couple sait peu de choses. Célibataire, sans enfants, infirmière, s'est-elle présentée, alors qu'elle est en instance de divorce, mère de deux petites filles. À la suite d'un examen psychiatrique, la garde lui en a été enlevée. Elle s'est enfuie de Sherbrooke, ville où elle résidait, pour s'éloigner d'un mari autoritaire, d'un psychiatre qui lui soumet un traitement duquel elle doute de l'efficacité.
C'est au fil des jours qui passent, que Charlotte et Simon se révèleront à leur tour sous leur vrai jour. Charlotte travaille dans un ministère, à aucun moment elle n'a mis en doute l'amour de son mari pour elle et leurs enfants. L'envers de cette vie, semblable à celle de beaucoup de couples, n'a pas la couleur du temps qui s'écoule, uniforme, teintée d'un ciel d'orage. En partie responsable des événements qui s'ensuivent, Nathalie, malgré ses crises de profonde angoisse, découvrira le pot aux roses. N'étant pas la femme qu'elle prétend être, un étau intolérable se resserre autour de sa personne, sa famille, son ex, son psychiatre l'ayant retracée. Seul, un vieux monsieur, pour survivre, s'est épris de sa jeunesse. Révélations qui s'accumulent et dans lesquelles se reflètera la part sombre de Simon Genest, qui, sous un abord inoffensif, a manipulé son épouse Charlotte, trahi sa confiance. Celle-ci ne demandait qu'un peu de bonheur, qu'une parcelle de tendresse et, soudain, il ne reste plus rien. Que de jeunes êtres abîmés, que le cadavre d'une jeune femme qui avait saisi la personnalité trouble de Simon Genest. Complexité de Nathalie, oscillant entre l'innocence et la perversité, pensant que l'attrait du sexe et de l'argent la sauverait d'une dégradation qu'elle ne pouvait éviter, la réalité lui échappant, entrecoupée de douloureuses migraines. Secouée de tremblements nerveux qui la désemparent.
Le monde est ainsi fait que l'auteur, Ronald White, en a tiré une histoire émouvante, presque triste, où les victimes sont des femmes si peu aptes à lutter contre une apparente inertie sournoise. Femmes adultes, fillettes impubères, livrées obscurément à l'hypocrisie d'un homme en qui elles avaient cru, comme on croit à un ciel bleu qui, brusquement, s'assombrit, déverse son eau cinglante sur des épaules vêtues de teintes estivales. Le roman, morcelé de nombreux dialogues percutants, apprend au lecteur que toute vérité, quoi que nous en pensons, est salutaire à démystifier. Le désengagement forcé de Charlotte, la mort de Nathalie, les mensonges de Simon, apportent une dimension dérangeante à un récit qui, dans une vie normale, aurait dû se terminer dans une harmonieuse amitié à trois. Charlotte se serait endormie au lieu de faire le procès d'un homme, lisse comme la surface trompeuse d'un lac.
Nathalie ne vit plus ici, Ronald White
Les Éditions Sémaphore, Montréal, 2016, 185 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 6 mars 2017
lundi 20 février 2017
Et si on lisait ce qui en vaut la peine ? ****
Janvier est en déroute, février court après un semblant de printemps. On souhaite des éclats de soleil, rutilants et chauds. Un avant-goût de vert sur la palette de la nature. On n'aime pas la neige, on aime la vie qui chante dans le gosier des oiseaux, dans le murmure de la canopée du parc. On commente le sixième recueil de nouvelles de Jean-Paul Beaumier, Et si on avait un autre chien ?
Il en est des nouvelliers comme des romanciers, certains nous séduisent, certains nous indiffèrent. Cependant, on reconnaît que la nouvelle est un art difficile à traiter. Peu d'écrivains qui en tâtent sont aptes à en aborder l'écriture sans risquer de se perdre dans leur bavardage. Des nouvelliers comme Andrée Chedid, Annie Saumont, Françoise Sagan, pour ne nommer que ces trois-là, se retrouvent peu souvent sous notre regard critique. Il ne s'agit pas de faire court mais d'aller à l'essentiel, quitte à recourir aux non-dits. Cette abstinence, perçue entre les lignes, le lecteur sait l'interpréter, il est accessoire de tout divulguer, la fin d'une histoire s'ouvrant parfois tel un éventail. Pour ces raisons et d'autres qu'on tait, on s'est réjouie de la lecture du dernier recueil de Jean-Paul Beaumier. L'auteur utilise les ingrédients nécessaires à écourter des textes savoureux, sans y ajouter d'oiseux superlatifs qui alourdiraient les propos qu'il offre généreusement au lecteur. Son souci, par le truchement de la voix masculine de son personnage principal, est de nous faire part de son exigence à dépeindre la vie quotidienne, ses joies, ses déboires. Ici, le narrateur est accompagné d'une femme prénommée Suzanne, Valérie ou Mireille. Elle se campe, solide, réaliste, tempérant les humeurs, plutôt maussades, d'un nouvellier fictif, qui use d'humour pour dissimuler son agacement. On a l'impression que cette femme témoigne de l'effritement des sentiments qui unissent leur couple depuis de nombreuses années. Elle se révèle dans l'ordinaire du quotidien, cependant indispensable. Lui, se retranche dans la fiction, assurant en quelque sorte sa survie. La nouvelle, titrée La bibliothèque, confirme son évasion dans une mort hypothétique. Autre nouvelle qui convainc le narrateur de son désir de solitude, Dénouement. Il se balade seul sur la plage, exaspéré d'une semaine de vacances imposée par sa conjointe. Exaspéré aussi par un texte duquel il ne parvient pas à poursuivre le cheminement. Il s'interroge sur la finalité de sa fiction quand il aperçoit une jeune femme parcourant la plage, jouant avec son chien. Il ne l'approche pas, elle ne le fuit pas, elle disparaît, creusant sa marque dans le sable, que le remous des vagues effacera. Subtilité de la relation amoureuse qu'on a savourée dans le texte, on pourrait dire silencieux, intitulé L'autre rive. Le narrateur fait revenir son ex-compagne dans leur chalet pour lui faire admirer son dernier livre qui vient de sortir en librairie. Désarroi, incompréhension d'elle, qui veut fuir ce qu'elle a déjà quitté.
Ces dix-neuf nouvelles ne peuvent toutes être citées, bien qu'elles le mériteraient. Quelques-unes ne tiennent qu'au fil palpable du souvenir comme dans Un trouble, grand. Beaumier démontre une fois encore son talent à manier l'art difficile de la synthèse. Il en va de même pour la fiction, Dans les circonstances. On aime la trame qui symbolise l'ensemble du recueil. Agitation et figement en parallèle. À quoi ça rime ? se déguste en ce sens. Lui, feuillette un dictionnaire, elle, tricote un chandail. Chacun retranché dans ses réflexions, tous deux au bord du drame. L'ironie se démarque lorsqu'un professeur de littérature doit faire face à la séduction provocatrice de l'une de ses étudiantes, Séduisez-moi. Plus grave, le ton décrivant une action sans retour possible, Nuit sans lune. Plus contemplatif, le ton polissant un esthétisme détaillé, Supertone.
Il y a encore la mort du chien, Utopie, emblème attrayant qui raccorde les nouvelles entre elles. Renoue des liens défaillants entre les protagonistes. Maintenant que les enfants, Laure et Vincent, ont grandi, quitté la demeure familiale, faut-il qu'un chien, non pas les remplace, mais compense la vacuité que leur départ a suscité, sillonne les ornières vulnérables du temps qui passe, bouscule l'ennui qui, peu à peu, ronge un homme et une femme s'emmurant chacun dans ses obsessions ? Se détournant du mystère grafignant les relations amoureuses, refusant de se contempler dans le miroir de leur déni. Ils conviendraient alors qu'un chien s'avère de bonne compagnie, que l'être humain a sa place dans un espace fait de tolérance, de tendresse, d'humilité.
À lire, pour apprécier la beauté de ces fictions, comme on l'a fait soi-même, tout en se délectant du regard méticuleux, rigoureux, de Jean-Paul Beaumier, observant la marche boiteuse de ses semblables. À partir de ces failles, l'écrivain conçoit des histoires apparemment banales, mais qui dénoncent la conduite d'individus quand rien ne va plus, tel le jeu dangereux de la roulette russe, se hasardant à celui, plus modéré de la vie.
Et si on avait un autre chien ? Jean-Paul Beaumier
Éditions Druide, Montréal, 2017, 160 pages
Il en est des nouvelliers comme des romanciers, certains nous séduisent, certains nous indiffèrent. Cependant, on reconnaît que la nouvelle est un art difficile à traiter. Peu d'écrivains qui en tâtent sont aptes à en aborder l'écriture sans risquer de se perdre dans leur bavardage. Des nouvelliers comme Andrée Chedid, Annie Saumont, Françoise Sagan, pour ne nommer que ces trois-là, se retrouvent peu souvent sous notre regard critique. Il ne s'agit pas de faire court mais d'aller à l'essentiel, quitte à recourir aux non-dits. Cette abstinence, perçue entre les lignes, le lecteur sait l'interpréter, il est accessoire de tout divulguer, la fin d'une histoire s'ouvrant parfois tel un éventail. Pour ces raisons et d'autres qu'on tait, on s'est réjouie de la lecture du dernier recueil de Jean-Paul Beaumier. L'auteur utilise les ingrédients nécessaires à écourter des textes savoureux, sans y ajouter d'oiseux superlatifs qui alourdiraient les propos qu'il offre généreusement au lecteur. Son souci, par le truchement de la voix masculine de son personnage principal, est de nous faire part de son exigence à dépeindre la vie quotidienne, ses joies, ses déboires. Ici, le narrateur est accompagné d'une femme prénommée Suzanne, Valérie ou Mireille. Elle se campe, solide, réaliste, tempérant les humeurs, plutôt maussades, d'un nouvellier fictif, qui use d'humour pour dissimuler son agacement. On a l'impression que cette femme témoigne de l'effritement des sentiments qui unissent leur couple depuis de nombreuses années. Elle se révèle dans l'ordinaire du quotidien, cependant indispensable. Lui, se retranche dans la fiction, assurant en quelque sorte sa survie. La nouvelle, titrée La bibliothèque, confirme son évasion dans une mort hypothétique. Autre nouvelle qui convainc le narrateur de son désir de solitude, Dénouement. Il se balade seul sur la plage, exaspéré d'une semaine de vacances imposée par sa conjointe. Exaspéré aussi par un texte duquel il ne parvient pas à poursuivre le cheminement. Il s'interroge sur la finalité de sa fiction quand il aperçoit une jeune femme parcourant la plage, jouant avec son chien. Il ne l'approche pas, elle ne le fuit pas, elle disparaît, creusant sa marque dans le sable, que le remous des vagues effacera. Subtilité de la relation amoureuse qu'on a savourée dans le texte, on pourrait dire silencieux, intitulé L'autre rive. Le narrateur fait revenir son ex-compagne dans leur chalet pour lui faire admirer son dernier livre qui vient de sortir en librairie. Désarroi, incompréhension d'elle, qui veut fuir ce qu'elle a déjà quitté.
Ces dix-neuf nouvelles ne peuvent toutes être citées, bien qu'elles le mériteraient. Quelques-unes ne tiennent qu'au fil palpable du souvenir comme dans Un trouble, grand. Beaumier démontre une fois encore son talent à manier l'art difficile de la synthèse. Il en va de même pour la fiction, Dans les circonstances. On aime la trame qui symbolise l'ensemble du recueil. Agitation et figement en parallèle. À quoi ça rime ? se déguste en ce sens. Lui, feuillette un dictionnaire, elle, tricote un chandail. Chacun retranché dans ses réflexions, tous deux au bord du drame. L'ironie se démarque lorsqu'un professeur de littérature doit faire face à la séduction provocatrice de l'une de ses étudiantes, Séduisez-moi. Plus grave, le ton décrivant une action sans retour possible, Nuit sans lune. Plus contemplatif, le ton polissant un esthétisme détaillé, Supertone.
Il y a encore la mort du chien, Utopie, emblème attrayant qui raccorde les nouvelles entre elles. Renoue des liens défaillants entre les protagonistes. Maintenant que les enfants, Laure et Vincent, ont grandi, quitté la demeure familiale, faut-il qu'un chien, non pas les remplace, mais compense la vacuité que leur départ a suscité, sillonne les ornières vulnérables du temps qui passe, bouscule l'ennui qui, peu à peu, ronge un homme et une femme s'emmurant chacun dans ses obsessions ? Se détournant du mystère grafignant les relations amoureuses, refusant de se contempler dans le miroir de leur déni. Ils conviendraient alors qu'un chien s'avère de bonne compagnie, que l'être humain a sa place dans un espace fait de tolérance, de tendresse, d'humilité.
À lire, pour apprécier la beauté de ces fictions, comme on l'a fait soi-même, tout en se délectant du regard méticuleux, rigoureux, de Jean-Paul Beaumier, observant la marche boiteuse de ses semblables. À partir de ces failles, l'écrivain conçoit des histoires apparemment banales, mais qui dénoncent la conduite d'individus quand rien ne va plus, tel le jeu dangereux de la roulette russe, se hasardant à celui, plus modéré de la vie.
Et si on avait un autre chien ? Jean-Paul Beaumier
Éditions Druide, Montréal, 2017, 160 pages
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