lundi 1 mai 2017

Des histoires qui n'en sont pas tout à fait *** 1/2

Nous apercevant le matin sur Facebook, on nous demande si ce réseau social nous intéresse. On répond qu'on est là pour valoriser la publication de nos critiques, de manière à ce que chacun en profite, auteurs et lecteurs. À part quelques personnes qu'on estime et qu'on salue par un éventuel commentaire, on n'ouvre peu souvent des pages et des pages aux propos ou images amusants. On commente le livre de Jean-Pierre April, Histoires centricoises.

Ce ne sont pas des nouvelles, ni des chroniques, encore moins un roman. Des auteurs nous enchantent en écrivant sobrement, ou en retranscrivant des histoires anciennes, plus ou moins fictives, plus ou moins réelles. Aucune ambition littéraire n'enrichit ces contes, mais une couche d'humour ou de nostalgie, sur fond de vérité, les actualisent alors qu'ils se sont déroulés, il y a longtemps, la mémoire les guidant en notre décennie pour, peut-être, nous rappeler que les humains souffrent de mêmes travers, jouissent de mêmes vertus. Nous n'avons qu'à nous laisser bercer par les agissements de personnages qui, aujourd'hui, se dressent, tels d'encombrants fantômes, chaque fois que nous tournons les pages, évoquant quelques-unes de leurs péripéties.


C'est le cas du livre de l'écrivain aguerri Jean-Pierre April qui, dans un ouvrage précédent, nous avait réjouie de par sa teneur aux relents mélancoliques. Le passé n'est-il pas empreint d'un moment de répit qui ne se renouvellera jamais quand le temps est venu de le soustraire à la poussière de l'oubli ? Ici, sept fables, frôlant le fantastique, entraînent le lecteur vers de fantaisistes destinations, comme la première, Mémère Thibodeau monte au ciel. La vieille femme, entourée de ses nombreux enfants et petits-enfants, n'en finit pas d'agoniser. Son petit-fils, Ti-Pierre, une dizaine d'années, fatigué, se réfugie sans le savoir dans « la pièce à viande froide ». Quelle n'est pas sa surprise, quand il « trébuche sur un grand coffre de bois », d'y retrouver le corps congelé de sa grand-mère. Alors, un dialogue s'établit entre la vieille femme et l'enfant. Elle, rêve de paradis, lui, d'un bicycle. Leur âme, s'évaporant de leur corps épuisé, accomplira un miracle, avant un retour surprenant auprès de la famille, toujours à l'affût de la mort de la grand-mère... Le deuxième récit, émouvant et grinçant, titré Dans le garage, nous plonge dans l'éternel conflit de l'homme pervers, attiré par une adolescente. La jolie Mélanie servira de monnaie d'échange entre son père, entrepreneur, et l'un de ses employés. Le pot aux roses sera découvert par le jeune fils de ce dernier : il n'oubliera pas ce qui s'est déroulé sous ses yeux. Trente ans plus tard, il a renié son père mourant qui, lui, a trahi sa famille et, surtout, a tué l'admiration juvénile qu'enfant il lui vouait.

Si ces deux histoires, on ne peut parler de fiction, donnent le ton du livre, le récit le plus fascinant tant par sa teneur que par ses protagonistes, s'intitule Retrouvailles à Victo. Des décennies plus tard, un homme retrouve une jeune fille qu'il a aimée pendant son adolescence. Entretemps, la jeune fille, Gloria, s'est mariée et un terrible accident l'a handicapée. Avec la connivence de son mari, elle désire que son ancien amoureux l'emporte dans un lieu précis où, autrefois, sous un pommier, ils s'étaient promis un avenir fabuleux. À la suite d'une soirée bien arrosée, Gloria, entrainant son ami sous le pommier, réalisera un rêve étrange et combien érotique. Le fantastique des corps transcende la relation des deux amants, pudiquement dépeinte et portée à son paroxysme grâce au style dépouillé, délicieusement poétique de Jean-Pierre April. Aucune moralité n'ombrage le récit quand, au matin, pour savourer le souhait enfin réalisé de Gloria, tous les trois s'endorment dans le lit conjugal.

Jusque dans le plus dramatique des récits, l'humour se faufile, sauvegardant l'intégrité de ces êtres soumis à des évènements parfois improbables, parfois réalistes. Les années passent, révélant au lecteur une faille dans le cheminement de plusieurs personnages. Le passé, s'inscrivant dans un présent auquel nul n'échappe, rebondit, ses contours lissés par l'écoulement du temps, comme quoi les angles de toute chose, méritent, non le pardon, mais l'indulgence de l'âme. Dans ces narrations, l'âme intervient, réparatrice inspirée des battements du cœur quand il cogne fort dans sa cage charnelle.

On a lu avec délices ces balades dans la vie meurtrie d'hommes, de femmes et d'enfants, imbibés de leur expérience juvénile ou mature. L'impression demeure qu'il était plus simple, en ces années révolues, de supporter ses rancœurs indigestes, de leur faire face, comme si pardonner ou pas se résumait à marcher dans les pas de l'autre sans les effacer pour autant. Histoires universelles parce que propres à l'humain et à son intolérable misère mentale, à sa faculté inébranlable de voir plus loin, patientant, fataliste obligé, que son univers s'étoile d'extravagantes éclaircies.


Histoires centricoises, Jean-Pierre April
Éditions Septentrion, collection Hamac
Québec, 2017, 165 pages

mardi 18 avril 2017

Une maison d'édition en pièces détachées *** 1/2

Le soir, avant de nous endormir, on réfléchit à un thème qui conviendrait à notre introduction. On s'endort, la nuit devient opaque, les ombres s'épaississent, les rêves nous assaillent. Les heures silencieuses nous reposent. Puis, nous réveillant à l'aube, ce qui nous semblait délicieux la veille n'est plus que mots insipides, fades et inutiles. Vanité de la pensée. On commente le deuxième roman de Claude Brisebois, Sous couverture. 

Si la littérature romanesque détient plusieurs rôles, il est de bon ton qu'elle soit parfois divertissante. Même si on fréquente peu le genre, quand il est bien ficelé, on se laisse aller avec plaisir, en la compagnie de personnages qu'il faut prendre au premier degré. Ce qu'on a ressenti en lisant le roman de cette écrivaine qui, avec une histoire rocambolesque, nous tient en haleine du début à la fin de la cinq cent douzième page. On la résume, on ne peut en dévoiler l'intrigue au complet, ce qui serait impossible dans notre peu d'espace accordé à une critique, et qui serait insupportable au lecteur qui n'en demande pas tant de notre part. Jérémie Martin, jeune quarantenaire, brocanteur mais aussi antiquaire, deviendra le propriétaire d'un vieux meuble acquis dans une ferme, don d'un héritage familial. Le meuble renfermera un secret pour le moins inattendu. Alors qu'il l'a démonté pour le rénover, dans un tiroir scellé, Jérémie découvrira des documents révélant l'existence d'une maison d'édition clandestine, qui, au Québec, aurait eu son heure de gloire dans les années cinquante. Plusieurs livres y auraient été publiés, mais où sont-ils aujourd'hui ? Que sont devenus leurs auteurs ? C'est là que l'enquête de Jérémie commence avec l'aide de son assistante efficace, mais terriblement émotive, Solange Généreux, trentenaire. Comme souvent dans ces histoires à saveur de fables, de nombreux personnages s'y démènent, compliquant la tâche de protagonistes bien intentionnés, reconstituant, ici, la trame d'une maison d'édition québécoise condamnée à sa fermeture, ses œuvres jugées trop audacieuses ayant été censurées par l'État et l'Église. Le gouvernement de Maurice Duplessis pesant de tout son poids néfaste. L'éditrice, Élisabeth de Chavigny, Française émigrée au Québec, amie de Jean Cocteau, après avoir entrepris cette fabuleuse aventure mourra dans son manoir, seule, malade, désespérée de son échec.

La partie la plus captivante du roman, c'est quand l'auteure dépeint, pièces à conviction dans les mains de Jérémie et dans d'autres, suspicieuses, de quelle manière archaïque se fabriquait un livre avec le matériel désuet de l'époque. Bien sûr, ceci nous est raconté en alternance avec des intrigues combinatoires, qui conduiront Solange en France pour y chercher dans les dires de leurs familles, d'improbables écrivains ayant publié et séjourné dans la maison d'édition d'Élisabeth de Chavigny, Sous couverture. Solange ira de surprise en surprise, ne s'attendant pas, entre autres épatements, à éprouver une passion passagère pour un neveu de l'éditrice, cinquantenaire, séducteur et charmeur, qui mettra le cœur de Solange à rude épreuve, malgré son amour pour son patron, Jérémie Martin. Si elle cède à son attirance pour le bellâtre, elle n'en reste pas moins lucide et professionnelle. Son retour au Québec sera placé sous le signe des retrouvailles heureuses avec Jérémie. Entretemps, bien des événements se seront déroulés, plus ou moins embrouillés, d'étranges personnages interviendront, comme un vieil antiquaire jouant au chat et à la souris avec Jérémie. Une femme rébarbative qui, pour l'honneur de la famille, refuse de céder le livre écrit par son père. Du suspense bien dosé, des randonnées dans une ferme où l'entre-toit se révèle une cachette imprévisible. Une auteure, ayant publié sous un pseudonyme masculin, compliquera l'enquête du brocanteur et de son assistante. La venue inopinée du neveu, mettant à nouveau le cœur de Solange en émoi. Le récit rebondit sans jamais lasser le lecteur. Nous y trouvons matière suffisante à intéresser celui ou celle qui veut entrer dans une histoire plutôt amusante, mais qui aurait gagné à être resserrée, certains détails étant absolument inutiles, le genre méritant aussi sa part de non-dits.

Roman efficace et réjouissant, à lire l'été ou durant un week-end désœuvré. Ou encore durant une journée printanière pluvieuse. On reconnait que l'auteure, Claude Brisebois, a du souffle. Nullement, au cours de notre lecture, on n'a ressenti un creux de vague d'où il faut remonter avec détermination et talent. On recommande cette fiction pour la légèreté du propos, mais aussi pour se rendre compte à quel point fabriquer un livre a évolué, si l'être humain, lui, est resté fidèle à ce qu'il a toujours été. Vulnérable et faillible sous des dehors placides.


Sous couverture, Claude Brisebois
Éditions Druide, collection « Écarts »
Montréal, 2017, 512 pages