lundi 20 décembre 2010

Des sourires certains ***

Étant sans cesse à l'écoute des tracas planétaires, on s'en détourne pour nous intéresser à des événements plus agréables. On a besoin de ce répit pour faire la part des choses, le monde présentant ses deux faces théâtrales. Tragédie et comédie. Il en est de même des livres, on délaisse momentanément les auteurs exilés et leurs guerres lointaines pour se complaire dans la lecture distrayante du roman de Rachel Laverdure, De chair et de bronze.

Quatre personnages sont interpellés par une massive statue de bronze érigée dans un parc. Un homme âgé assis sur un banc tend une rose à une femme se tenant à ses côtés. Sur ses genoux repose un livre ouvert. La sculpture intrigue ou indiffère. Elle fait partie du paysage citadin près de chez Laure, femme divorcée dans la quarantaine. Elle vit avec sa fille, Amandine, fil conducteur entre Laure et son ex-conjoint, Éric, déménageur  d'œuvres d'art. Laure a monté un petit commerce de cassage de vaisselle qui permet aux clients de se défouler à peu de frais. Pendant qu'hommes et femmes essaient de régler leurs problèmes, Laure rêve de séduire David, employé dans une quincaillerie. Elle y parviendra, mais des désagréments lui révéleront la nature réelle du jeune homme. Laissons Laure à son aventure périlleuse pour cerner Malorie, adolescente, qui vit avec ses parents et son frère. Sa mère, s'étant mise dans la tête de voir sa fille devenir une pianiste réputée, l'oblige à suivre des cours qui n'intéressent absolument pas Malorie ; celle-ci occupe son temps entre ses copines, son amoureux, ses études. Elle a repéré la statue de bronze et, se croyant incomprise, elle glisse des billets dans la main tendue du vieil homme. Jusqu'au jour où un billet bleu répond à ses billets blancs. Le risque est grand, mais Malorie ne peut s'empêcher d'aller au rendez-vous fixé par un inconnu... Peu après le danger encouru par Malorie, nous faisons connaissance avec Éric, l'ex-conjoint de Laure. Il aime sa fille Amandine, sa nouvelle flamme, riche et divorcée, Héléna. Versatile et protéiforme, il se disperse, se plie aux exigences des personnes qu'il fréquente, tant familiales qu'étrangères, comme si sa vie en dépendait. Opportuniste, il nourrit son insatiable curiosité de la complexité de l'être humain. Cependant, au fond de lui, sommeille un inquiétant dilemme : de qui est-il le fils, pourquoi sa mère l'a-t-elle abandonné à sa naissance ? Lui aussi a été frappé par la statue de bronze envers qui il éprouve une « indifférence plutôt bienveillante. » Un jour, il est chargé de la déplacer sur le parvis d'un immeuble. Vue sous un nouvel angle, la statue pose un troublant questionnement à Éric sur l'homme et la femme qui la composent. Laissons Éric à son introspection, entrons dans l'appartement de Nadège et de Rosaire, couple sexagénaire mal assorti. Lui est plébéien, alcoolique, tyrannique. Obsédé par le sexe. Elle, intelligente, cultivée, à l'affût des nouveautés culturelles. Tributaire d'un mari exigeant, elle rêve qu'il meurt, se culpabilisant malgré elle de cette odieuse pensée. Nadège sort avec son amie veuve, Colette, avec qui elle peut discuter de tout. Souvent, elles vont ensemble au cinéma, fréquentent les musées. La mémoire défaillante de Colette réservera une étonnante surprise à Nadège ; son amie s'affublera d'un homme, Fulgence, qui comblera ses absences, s'intitulant « souffleur de mots, indulgent pour l'oubli. » Peu à peu, Nadège se rend compte que Fulgence est loin de lui déplaire et manigance un rendez-vous. Il sera question de la statue de bronze dont le nom du sculpteur ébahit Nadège. Fulgence mènera une minutieuse enquête dont l'issue dentèlera un merveilleux horizon à Nadège. 

Roman bien ficelé, habilement mené par Rachel Laverdure. Nous nous doutons que les protagonistes ne sont pas étrangers les uns aux autres, procédé romanesque assez courant. Si nous considérons que l'histoire se divise en quatre parties, celle de Nadège et de Rosaire s'avère la plus touchante, la plus originale. Le rôle de l'adolescente Malorie semble convenu, même si la jeune fille apporte plusieurs éléments utiles à l'intrigue. Tous les quatre se promènent dans leurs quartiers personnels, butant sur des incompréhensions légitimes chaque fois que se dresse la statue, déclenchant en eux de spécifiques réactions : les désirs sexuels inassouvis de Laure, les spéculations tourmentées d'Éric, les regrets refoulés de Nadège. Sous des dehors légers, souvent réjouissants, le roman s'inscrit dans une gravité que renforce la pensée réflexive de l'auteure. Elle ne manque jamais de glisser un humour féroce là où le lecteur ne capte qu'une signifiante oisiveté. Lecture divertissante, assurée de sourires certains, l'écriture s'enrichissant d'un vocabulaire abondant et défini.

À lire pour entrer sereinement dans les Fêtes de fin d'année, le cœur compatissant aux tourments des êtres de chair, les statues aimant s'entourer de mystère, apparemment insensibles aux geignements humains... Mais qui sait ?


De chair et de bronze, Rachel Laverdure
VLB éditeur, Montréal, 2010, 192 pages

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