lundi 28 août 2017

Là où il y a des hommes forts et d'autres faibles *** 1/2

Il y a des matins où le monde nous paraît flou et fou, les agissements irrationnels de certaines personnes nous faisant perdre de vue les possibilités de comprendre nos semblables. Pourquoi les relations entre gens civilisés sont-elles si difficiles, voire impossibles ? Faut-il réajuster notre lorgnette ou rêver de reconstruire le monde, celui d'avant l'invention de la roue ? On commente le roman d'Éric Plamondon, Taqawan.

On a toujours eu une préférence pour les romans qui nous apprennent quelque chose, aussi futile soit ce quelque chose. Les états d'âme ne nous suffisent pas, on a renoncé depuis longtemps à perdre notre temps, à courber l'échine sur des propos aléatoires. Nous traversons tous et toutes cet état adolescent, nous devons grandir, tenir compte de nos jeunes expériences. Le roman d'Éric Plamondon, échappant à l'anecdote, nous a ravie et attristée, le drame s'avérant actuel et sans cesse à l'affiche, la frénésie du pouvoir s'acharnant sur des hommes qui ont été réduits à l'esclavage, autrefois les maîtres d'un territoire millénaire. On évoque un peuple perçu à travers l'histoire d'une jeune fille de quinze ans, les Mi'gmaq. Océane a été retrouvée « roulée en boule au milieu des fougères » par le garde-chasse Yves Leclerc. Il se dirigeait vers la rivière pour y pêcher le saumon. À partir du moment où il sauvera l'adolescente, la ramènera chez lui pour la soigner, l'histoire découlera avec beaucoup d'empathie, sans complaisance. Nous apprendrons de quelles injustices sont victimes les Indiens depuis qu'ils sont arrivés sur cette terre de fin du monde, Gespeg, bien avant les Vikings, plus tard Christophe Colomb. L'eau, ici, joue un rôle prépondérant, le saumon traçant la route d'une histoire que nous ne pouvons ignorer. Les Indiens le pêchent avec leurs filets, comme ils piègent l'ours pour leur nourriture et sa fourrure indispensable à leur survie dans une contrée glaciale.

Ce récit qui happe et bouscule le lecteur commence en Gaspésie, le 11 juin 1981. Il met en scène les bourreaux et les victimes habituels, soit ceux qui se croient forts, protégés par leur uniforme et les lois qui s'y rattachent, puis ceux à qui ces hommes ont usurpé la dignité et la fierté par la force d'une époque où la seule vérité revenait aux Blancs. Le roman met en évidence quelques personnages encaqués dans une enfance mal digérée, comme celle de Mario Trudel qui, pour ne plus entendre gueuler sa mère, devient « une police ». Dorénavant, il n'aura plus peur de personne. Autour de ce drame gravitent des êtres qui défendent la cause amérindienne, risquent leur vie pour essayer de rendre ce qui a été confisqué. Une fiction plus personnelle enrichit ce récit entaché d'imposture. L'amour de Caroline Seguette pour Yves Leclerc, enseignante française qui, difficilement, s'habitue au terrible hiver d'un « coin reculé du Québec ». La réelle histoire n'est pas celle de deux êtres issus de continents différents mais celle du saumon quand il remonte la rivière jusqu'au lieu de sa naissance. Il est devenu taqawan après avoir exécuté un long périple en mer. Entre les chapitres consacrés à la cause révoltante des Mi'gmaq, le lecteur se délecte de courtes séquences instructives, comme si le temps passait sans ne rien changer au comportement d'hommes indignes, qui ne pensent qu'à se venger d'un manque intérieur qu'ils ne savent résoudre.

Si on théorise sur ce roman émouvant, c'est qu'on s'estime spectatrice d'événements qu'on observe avec stupeur mais sans vraiment avoir eu l'impression d'en être responsable. On est un peu dans le cas de Caroline Seguette qui, écoutant son amant Yves Leclerc lui narrer de valables arguments sur l'indépendance du Québec, s'oppose à son farouche exposé en le provoquant de manière réaliste, ce qui fait claquer les portes à ce dernier sur le monde extérieur que lui propose Caroline. Être d'ailleurs ouvre des parallèles que parfois il vaut mieux taire, desquels des éléments essentiels nous échappent...

Roman qui nous a conquise à la cause infernale des faibles de ce monde. Maîtres et esclaves, chacun occupant la moitié de la Terre, les crimes se commettant de plus en plus odieux, rien ne servant de leçon humanitaire, surtout pas les guerres, qu'elles soient tribales, régionales ou mondiales. Sujet particulier mettant en relief une crise jamais réglée comme si décimer un peuple apportait une solution au comportement inapproprié d'hommes emprisonnés en eux-mêmes. On pense au retour de militaires inadaptés à tuer leurs semblables sans aucune raison, sinon obéir à des hommes confinés dans l'enclos de leurs propres démons. Subordonnés qui n'osent se remettre en question, si peu ont le courage d'Yves Leclerc qui, ayant démissionné de la GRC, s'est fait garde-chasse, a secouru, au risque d'y laisser sa peau, une adolescente indienne de quinze ans qui, plus tard, apprendra à vivre avec ses souffrances mais se rangera au conseil d'un de ses samaritains : il lui faudra apprendre à exister. N'est-ce pas là le rôle de chacun et chacune, exister en tant qu'individu responsable et respectueux envers toute différence ?


Taqawan, Éric Plamondon
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2017, 222 pages


3 commentaires:

  1. Quel beau billet une fois de plus. J'ai beaucoup aimé ce livre mais je n'arrive pas encore à en parler. Plus tard faut croire...

    RépondreSupprimer
  2. Merci Suzanne. J'ai pu parler "froidement" de ce roman parce que je viens d'ailleurs, je ne suis que spectatrice, comme je le dis dans ma critique... Bonne fête du Travail.

    RépondreSupprimer

Commentaires: