lundi 22 janvier 2018

La souffrance comme dernier recours à survivre *** 1/2

Dans Facebook, comme dans la vie, des chefs de file, hommes et femmes, tiennent à jour la continuité d'échanges ou de partages qui alimentent une virtuelle amitié, en discutant d'anecdotes plus ou moins généralisées. L'air du temps, la teneur des livres, les arcanes de la politique. Divers sujets qui offusquent, qui font rire, telles des discussions sur la qualité de la langue française, de son  évolution. Il y a toujours des pour et des contre jusqu'au moment où on se rend compte que ce n'était qu'un petit tour et puis s'en vont... On a lu le roman d'Éric Simard, Martel en tête.

S'il est vrai que nous sommes peu conformes à l'image bien souvent paisible que nous présentons à nos comparses, une fois encore, un écrivain nous l'a prouvé en écrivant une histoire insolite, si peu en accord avec ce qu'on connaît de son apparente personnalité. Que nous dicte notre subconscient quand nous nous laissons aller à nos démons intérieurs, ceux-là ne s'éveillant qu'à l'occasion d'un rendez-vous hors du commun ? Telles les maladies que notre corps engrange, ne se manifestant que lors d'un déploiement intempestif de nos invalidités.

Après avoir lu le récit que nous propose Éric Simard, on s'est posé une question qui n'a abouti qu'à une chronique succincte, traitant du parcours d'une femme qui, de sa naissance à sa mort, n'a pensé qu'à se détruire sans avoir, au passage, éliminé plusieurs de ses semblables. Où commence l'horreur, où se termine la tolérance que nous portons aux agissements de certains êtres, contaminés par le mal duquel nous parlons sans toutefois en réaliser la réelle portée ?

Donc une histoire dure comme un diamant, pathologique serait plus enveloppant pour discerner les causes morbides qui agissent sur la narratrice, causes incompréhensibles à un esprit équilibré. Mais là encore, la valeur des mots semble minimiser le comportement haineux de cette femme, décortiquant ses actes et ses préjudices année après année. Elle s'est mariée, a été mère, a aimé, a haï jusqu'à la folie. A tué, pensant que le crime adoucirait sa rancœur. Elle veut vivre seule, ignorant qu'elle l'est depuis longtemps, depuis qu'une confusion hautement maladive a cerné son cerveau, son corps. Comment s'aimer dans pareil désastre mental ? Son corps se désagrège. Son esprit se disloque. Les médecins emploient les grands moyens, essayant de juguler la tentaculaire, morbide passion qui la brûle jusqu'à l'os. Elle est enfermée, ceinturée, anesthésiée. Lobotomie physique et mentale. Rien n'y fait. Quand elle revient à elle, la narratrice retombe dans ses affres habituelles qui la dévorent, annihilent ce qu'elle espère d'elle-même. Jusqu'au jour où une petite fille ne cessera de la visiter, la narratrice piégée dans un état d'enfance tronquée, qu'elle devra payer de sa vie. La petite fille s'avère-t-elle un miroir de l'enfant qu'elle a tué hors et à l'intérieur d'elle-même ? Du remords qu'elle ne peut nommer, trop engoncée dans ses travers dramatiques ? Tout dépasse cette femme, le décompte de ses années entre dans une phase de mort sursitaire, de rires déments, de désorganisation subversive. La jeune inconnue l'entraînant vers des dérives où se débattre ne servirait qu'à se noyer, à s'étouffer dans des spasmes violents, hors de toute accalmie libératrice. Cette fillette, qu'elle ne veut plus rencontrer, elle en a peur, a très bien saisi qu'il est temps de régler des arriérés mortifères, aujourd'hui âgés de soixante-dix ans, l'âge de la vieille femme. Sentence d'un ange démoniaque.

C'est un roman qui fait un énorme bruit en soi. Tonitruant. On est ressortie de cette atmosphère glauque, pénétrée d'une sensation d'impuissance face à la souffrance étreignant cet être humain. On ne sait trop si la personnalité féminine de la narratrice intervient comme élément déclencheur de haine ou d'amour. Échapper peut-être à ce qu'il lui est impossible de devenir, une erreur génétique ayant été commise au niveau d'une improbable identité. Rébellion du sexe ? Marque au fer rouge d'un événement tragique toujours dissimulé ? Le corps et l'esprit se confondent au cours d'une procédure dysfonctionnelle qui n'engage que la narratrice, constamment en bagarre folle avec un jumeau ou une jumelle, comme si avorter de l'un ou de l'une eût été le seul moyen de tuer l'anomalie déstabilisant cette femme qui, à la fin de sa vie, ne se révèle qu'en l'état embryonnaire.

À lire absolument, en laissant de côté le conformisme de nos vies confortables, dénuées de tout sens immoral, de tout désordre physiologique. Suffisamment pour s'interroger sur la précarité de nos contre-courants.


Martel en tête, Éric Simard
Les Éditions du Septentrion
Collection Hamac, Québec, 2017, 160 pages


6 commentaires:

  1. MARTEL EN TETE.

    Aux âmes fragiles, s’abstenir de lire ce roman horripilant, horrifiant, trop cru par les agissements anormaux qui frisent de la folie de l’héroïne. C’est un récit en quête de liberté, d’amour et de haine d’une femme versatile, avec un destin indécis et sans identité stable. Quelle folie a cette femme ! « Tuer pourrait adoucir sa rancœur ». Une femme qui se croit le nombril du monde avec une âme où s’entrechoquent haine et amour, conscience et subconscience. Comme d’habitude, notre romancière et critique avisée, Dominique Blondeau, maitresse psychologue et analyste des pulsions nous fait pénétrer dans les tréfonds et les profondeurs abyssales de cette femme qui vit dans un désordre total psychologique et physiologique. Merci pour ce voyage dans le subconscient qui donne à réfléchir sur « la précarité de nos contre-courants ».

    Essaouira le 22 Janvier 2018.

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    1. Merci M'barek. En effet, ce roman est éprouvant à lire. Quant à l'écrire, n'en parlons pas...

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  2. Ce livre m'a fait mal. Je ne sais encore comment en parler. Très beau billet Dominique.

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    1. merci Suzanne. Quand on parle des livres des autres, il faut faire fi de nos émotions personnelles... Allez GO!

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  3. Ca dépend Dominique, ça dépend. Belle soirée.

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  4. Ça dépend... je ne sais trop de quoi. Je suis peu émotive... Bonne soirée à vous aussi, lisez et écrivez bien,comme vous êtes capable de le faire!

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Commentaires: