lundi 30 avril 2018

Énumération de petits drames existentiels *** 1/2

Il y a des jours qui se différencient des autres. On les repère, on les met de côté pour plus tard, se disant qu'ils embelliront nos heures monotones. Les saisons déroulent leur magie en vert, en tons mordorés, en blanc. Elles charment l'œil, le font cligner d'un étonnement naïf qui ne tarit pas, fidèle en cela au torrent qui descend des montagnes, bondit jusqu'à l'océan. Éternelle jeunesse des éléments naturels. Nous, on est témoin, on s'éteint. On a lu le recueil de nouvelles de Camille Deslauriers, Les ovaires, l'hypothalamus et le cœur.

Troisième livre de cette auteure qui n'a pas été sans nous surprendre agréablement en lisant ces seize récits. On y a relevé l'expérience de l'écriture, une spontanéité qui apporte un souffle printanier aux propos que narre la nouvellière. Le ton primesautier suscite des sourires indulgents, ces petits drames déchirant le cœur de la narratrice, la même tout au long de ces fictions, qui l'essoufflent, jusqu'à la dépression. De quoi est faite la vie ? De malentendus quand le temps oscille entre illusions, contentement, déceptions. On souffre un peu, on recommence de plus belle, on se dit que. D'une histoire à l'autre, la sempiternelle rengaine insuffle à la narratrice un goût intense de la vie, entourée de femmes et d'hommes qui lui permettent d'exister. Elle aime les éraflures, le excoriations, les bleus, les larmes qui abondent. Elle a le goût de l'énumération, qu'il s'agisse de sentiments sur le point d'échouer ou de préparer un plat exotique dont elle suit attentivement la recette. Au bout, ne reste que la rancune dirigée contre l'homme qu'elle attend pour savourer une soirée, une nuit, sans se préoccuper du lendemain. Seul, l'instant compte même s'il s'épine d'une furtive jalousie qui empoisonne l'humeur plutôt conciliante de la narratrice.


Elle est prof de lettres à l'université, assiste à des colloques. Elle aime les chats, les livres. Elle est célibataire, dépitée parfois de l'être encore. Refuse la maternité. Par contre, on est étonnée que son comportement, souvent excessif, soit celui d'une femme au seuil de la cinquantaine. Aucune saveur pour la modération, ses expériences ne servent qu'à fissurer ses convictions, mais le désir d'agir comme bon lui semble, l'emporte vers des péripéties qui la font pleurer, la réconcilie avec le monde dont elle ne peut se passer. On n'énumérera pas les nouvelles qui l'apparentent au lecteur, celui-ci devant s'accommoder des déboires en tous genres que lui confie la narratrice. Elle se perd, se retrouve au cœur même de tous les recommencements, évitant les fins, celles-ci s'avérant nuisibles au corps quand il danse avec un partenaire sur le point d'être largué, crispant le dépit d'un homme déçu par la femme qu'il aime, en cherchant une autre, guidé par un orgueil malmené. Ourdissant les humeurs d'un homme mesquin dont elle a heurté accidentellement « sa balise de rue avec réflecteur ».

Ce sont constamment des intentions anecdotiques que, grâce à l'humour subtil de la narratrice, nous devons déceler. Les choses sont ainsi, la conteuse ne peut rien changer aux « cochonneries » que contiennent ses pots Mason. L'image nous plait, on s'en sert pour remplir les nôtres, regarder, non une guêpe qui meurt, asphyxiée à l'intérieur du bocal, mais observer à travers le verre, comment la presque cinquantenaire se sortira de ses maladresses grinçantes. Bien sûr, il y a la mère, que nous aimerions écarter, alors que ses conseils, que nous répugnons à appliquer, nous évitent de nous empêtrer davantage dans le nombre de calories qu'exige un corps gourmand, qui se veut encore jeune. Approche informelle des faits que nous percevons, toujours en contrepoint, proximité rarement simple et normale. La dernière nouvelle s'aligne, orchestrale, énumérant les raisons de boire de deux femmes qui saluent, les mains pleines d'amour et de tendresse, les acquis façonnant des années d'existence, les traversant, magnanimes, s'immisçant dans les plus folles argumentations nécessaires à leur bonheur de vivre. La phrase qui conclut le récit, peut-on dire l'ensemble du recueil, est sublime. On la cite, pour le plaisir de déguster les mots qui nous nourrissent, tel un poulet au curry préparé par la narratrice. « Et déjà, on les aime. Étourdissantes et magnifiques, si intenses et si libres. » Elle est ainsi, cette femme qui aime les bagages intimes de la vie, jusqu'à transcender sa chute dans les abysses humains. Inévitablement, comme tous les êtres doués pour l'art de vivre et de souffrir, elle remonte en surface, éclate de rire, exécute trois petits tours puis, continue son parcours sans jamais l'interrompre...


Les ovaires, l'hypothalamus et le cœur, Camille Deslauriers
Les éditions du Septentrion, collection Hamac
Québec, 2018, 122 pages

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