Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mardi 2 septembre 2008
Nouvelles errantes
Quoi de plus invitant que des nouvelles pour entrer en douceur dans la prochaine saison littéraire. Même si un relent estival persiste, l'automne se manifeste à petits pas frais nocturnes. Alors, on lit de courts textes qui nous enchantent, tels que les a écrits Emmanuel Bouchard dans son premier recueil, Au passage.
Une introduction situe un homme, la nuit, « à l'extérieur de la gare du Palais », à Québec. Il arrive de France. Dans son sac à dos « se tord la couverture de son carnet de voyage. » L'homme hésite à rentrer chez lui, il a froid. On le quitte sur cette indécision pour rencontrer Mariette, Églantine, Sébastien, Baptiste et d'autres encore qui, livrés à eux-mêmes, se frottent à de minimes événements comme il s'en produit quelquefois dans une vie ordinaire. Mariette remarque Raphaël dans trois situations différentes ; caissier dans une épicerie - ce qui vaut au lecteur un hommage à Gaston Miron -, danseur de claquettes sur un toit, puis commis dans une librairie. Églantine, d'une générosité sans borne, se laisse accaparer par trois vieilles tantes qui débarquent chez elle à l'improviste. Églantine réapparaît dans une autre nouvelle avec Valérien, un homme qui ne sait vivre seul... Il y a aussi l'adolescent Sébastien qui, au pied d'un arbre, trouve le sac d'une jeune fille qu'il a croisée un peu plus tôt. Quand il la reverra, elle prétend s'appeler Hermione et lui demandera un étrange service. Sébastien est le fils de Gérald Desrosiers qui a la « fâcheuse habitude de vouloir tout tenir entre ses bras ». À partir de cette manie, une jolie aventure éclairera sa vie de « veuf depuis près de dix ans »... Dans une nouvelle qui le mène au théâtre, il invitera Murielle, jeune itinérante, à l'accompagner. Quant à Baptiste, « le plus illustre ferrailleur de la vieille-ville » il devra recouvrer les têtes de deux sculptures avant qu'une petite fille, qui n'a pas la langue dans sa poche, ne l'accuse de les avoir volées...
Plusieurs des personnages de ces nouvelles ont pour amour essentiel les livres. Hubert, travaillant « depuis deux ans à sa thèse», s'applique à dresser des gratte-ciel à l'aide de dictionnaires et divers ouvrages, au grand désespoir de son chat, Mercure. À travers la voix de l'auteur, Cyprien manifeste sa préférence pour la poésie, Saint-Denys Garneau en particulier. Mais le « point d'orgue » sera un vieillard que Cyprien apercevra derrière les fenêtres d'une bibliothèque. Il tient dans une main « un livre épais dont les pages tournaient d'elles-mêmes, à grande vitesse. » Sur son visage se lit un sentiment de plénitude qu'inscrit la fin d'une vie. L'impression demeure que le livre raconte l'histoire du vieil homme. Achèvement serait plus juste, quand tous les livres ont été lus et que frémit le silence au bout des yeux et des lèvres. D'ailleurs, ce chassé-croisé d'individus est teinté de frémissement et d'effleurement. De solitude, de mots à peine échangés. Rencontres sensitives aboutissant à plus de mûrissement. Que deviendront ces hommes et ces femmes? C'est sans importance. Pour notre plus grand plaisir, nous aussi nous les aurons croisés à un moment où seul un livre prenait place dans notre journée ou notre nuit. Un épilogue met le lecteur en présence de couples qui se baladent, ne se préoccupant pas du lendemain.
L'écriture souple et légère, le style épuré, mettent en relief le talent d'Emmanuel Bouchard. L'écriture s'avère une partenaire exigeante, elle soutire de celui ou de celle qui la pratique une gamme diatonique s'accordant aux faits et gestes d'hommes, de femmes et d'enfants que l'auteur met en scène. On a aimé que la fin de ces nouvelles s'inspire de l'art délicat du haïku. Ou tout au moins que ce procédé de poème classique japonais nous ait agréablement étonnés.
À souligner la facture élégante de cette récente collection chez un éditeur dont la réputation n'est plus à faire.
Au passage, Emmanuel Bouchard
Les éditions du Septentrion, collection Hamac
Sillery, 2008, 132 pages
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