Janvier est en déroute, février court après un semblant de printemps. On souhaite des éclats de soleil, rutilants et chauds. Un avant-goût de vert sur la palette de la nature. On n'aime pas la neige, on aime la vie qui chante dans le gosier des oiseaux, dans le murmure de la canopée du parc. On commente le sixième recueil de nouvelles de Jean-Paul Beaumier, Et si on avait un autre chien ?
Il en est des nouvelliers comme des romanciers, certains nous séduisent, certains nous indiffèrent. Cependant, on reconnaît que la nouvelle est un art difficile à traiter. Peu d'écrivains qui en tâtent sont aptes à en aborder l'écriture sans risquer de se perdre dans leur bavardage. Des nouvelliers comme Andrée Chedid, Annie Saumont, Françoise Sagan, pour ne nommer que ces trois-là, se retrouvent peu souvent sous notre regard critique. Il ne s'agit pas de faire court mais d'aller à l'essentiel, quitte à recourir aux non-dits. Cette abstinence, perçue entre les lignes, le lecteur sait l'interpréter, il est accessoire de tout divulguer, la fin d'une histoire s'ouvrant parfois tel un éventail. Pour ces raisons et d'autres qu'on tait, on s'est réjouie de la lecture du dernier recueil de Jean-Paul Beaumier. L'auteur utilise les ingrédients nécessaires à écourter des textes savoureux, sans y ajouter d'oiseux superlatifs qui alourdiraient les propos qu'il offre généreusement au lecteur. Son souci, par le truchement de la voix masculine de son personnage principal, est de nous faire part de son exigence à dépeindre la vie quotidienne, ses joies, ses déboires. Ici, le narrateur est accompagné d'une femme prénommée Suzanne, Valérie ou Mireille. Elle se campe, solide, réaliste, tempérant les humeurs, plutôt maussades, d'un nouvellier fictif, qui use d'humour pour dissimuler son agacement. On a l'impression que cette femme témoigne de l'effritement des sentiments qui unissent leur couple depuis de nombreuses années. Elle se révèle dans l'ordinaire du quotidien, cependant indispensable. Lui, se retranche dans la fiction, assurant en quelque sorte sa survie. La nouvelle, titrée La bibliothèque, confirme son évasion dans une mort hypothétique. Autre nouvelle qui convainc le narrateur de son désir de solitude, Dénouement. Il se balade seul sur la plage, exaspéré d'une semaine de vacances imposée par sa conjointe. Exaspéré aussi par un texte duquel il ne parvient pas à poursuivre le cheminement. Il s'interroge sur la finalité de sa fiction quand il aperçoit une jeune femme parcourant la plage, jouant avec son chien. Il ne l'approche pas, elle ne le fuit pas, elle disparaît, creusant sa marque dans le sable, que le remous des vagues effacera. Subtilité de la relation amoureuse qu'on a savourée dans le texte, on pourrait dire silencieux, intitulé L'autre rive. Le narrateur fait revenir son ex-compagne dans leur chalet pour lui faire admirer son dernier livre qui vient de sortir en librairie. Désarroi, incompréhension d'elle, qui veut fuir ce qu'elle a déjà quitté.
Ces dix-neuf nouvelles ne peuvent toutes être citées, bien qu'elles le mériteraient. Quelques-unes ne tiennent qu'au fil palpable du souvenir comme dans Un trouble, grand. Beaumier démontre une fois encore son talent à manier l'art difficile de la synthèse. Il en va de même pour la fiction, Dans les circonstances. On aime la trame qui symbolise l'ensemble du recueil. Agitation et figement en parallèle. À quoi ça rime ? se déguste en ce sens. Lui, feuillette un dictionnaire, elle, tricote un chandail. Chacun retranché dans ses réflexions, tous deux au bord du drame. L'ironie se démarque lorsqu'un professeur de littérature doit faire face à la séduction provocatrice de l'une de ses étudiantes, Séduisez-moi. Plus grave, le ton décrivant une action sans retour possible, Nuit sans lune. Plus contemplatif, le ton polissant un esthétisme détaillé, Supertone.
Il y a encore la mort du chien, Utopie, emblème attrayant qui raccorde les nouvelles entre elles. Renoue des liens défaillants entre les protagonistes. Maintenant que les enfants, Laure et Vincent, ont grandi, quitté la demeure familiale, faut-il qu'un chien, non pas les remplace, mais compense la vacuité que leur départ a suscité, sillonne les ornières vulnérables du temps qui passe, bouscule l'ennui qui, peu à peu, ronge un homme et une femme s'emmurant chacun dans ses obsessions ? Se détournant du mystère grafignant les relations amoureuses, refusant de se contempler dans le miroir de leur déni. Ils conviendraient alors qu'un chien s'avère de bonne compagnie, que l'être humain a sa place dans un espace fait de tolérance, de tendresse, d'humilité.
À lire, pour apprécier la beauté de ces fictions, comme on l'a fait soi-même, tout en se délectant du regard méticuleux, rigoureux, de Jean-Paul Beaumier, observant la marche boiteuse de ses semblables. À partir de ces failles, l'écrivain conçoit des histoires apparemment banales, mais qui dénoncent la conduite d'individus quand rien ne va plus, tel le jeu dangereux de la roulette russe, se hasardant à celui, plus modéré de la vie.
Et si on avait un autre chien ? Jean-Paul Beaumier
Éditions Druide, Montréal, 2017, 160 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 20 février 2017
dimanche 5 février 2017
Requiem pour un avocat *** 1/2
On n'est pas comme Juliette Gréco, qui haïssait les dimanches. On les aime pour le repos qu'ils nous procurent, pour le farniente qu'ils créent dans nos agissements, pour la lenteur qu'on reconquiert durant quelques heures. Les dimanches sont comme la goutte d'eau dans un océan d'illusions, le frisson du vent sur un lac de platitudes. On pourrait faire mieux, on ne fait rien, on ne pense surtout pas, on attend le lundi en se lamentant. On parle du livre d'Antoine Brea, Récit d'un avocat.
On ne connaissait pas cet écrivain que grâce à son éditeur, on a découvert en lisant son dernier opus. Le titre, sobre et rationnel, ne nous invitait pas à nous introduire dans l'histoire d'un homme qui, à la suite de péripéties survenues environ une année plus tôt, démontre avec moult détails, que l'honnêteté professionnelle, pas mieux que le goût de la perfection, ne s'avèrent des vertus suffisantes pour ébranler les barrières d'ordres établis. Bien que cet homme, atteint de problèmes mentaux, ait toujours su maîtriser son handicap envers la société.
Le drame, dépeint brièvement par l'écrivain, mentionne au lecteur le crime commis sur la personne d'une jeune femme de vingt-cinq ans, Annie B., aide soignante, d'origine alsacienne. Enlevée par deux immigrants kurdes, Ahmet A. et Unwer K., elle avait été violée, brûlée vive, dans une forêt du Jura. Fait divers authentique commis dans la nuit du 8 et 9 juillet 1994.
Cette affaire sordide, l'avocat la décrira minutieusement avant de se résigner au pire. À la suite d'une rencontre avec une vieille dame richissime, qui a pris en une amicale pitié Ahmet A., détenu à la prison Centrale de Clairvaux, elle demande à son interlocuteur de mettre au clair les complications administratives, inhérentes à la condition d'étranger de Ahmet A., d'influencer sa libération conditionnelle.
Le narrateur nous tient en haleine dès qu'il fait la connaissance de cet homme, apprécié du personnel carcéral, des codétenus. Depuis sa réclusion, le criminiel se montre docile, réfractaire à tout acte de rébellion. Exemplaire, il serait donc équitable que son sort de prisonnier soit adouci, sa sanction révisée. Mais s'y opposant, Ahmet A. surprendra son avocat par l'opiniâtreté à vouloir expier sa peine dans les conditions imposées deux décennies plus tôt.
Plus on pénètre dans ce récit invraisemblable, plus la lecture devient passionnante. L'étau se resserre certes, mais subjuguée par les rouages ténébreux d'un système judiciaire gangrené, on suit cet homme dans ses déboires professionnels, sa personnalité fragile s'aggravant jusqu'au dénouement final. Fatal. Vie insipide d'un avocat, condamné à des amours trébuchantes, astreint à dénouer des dossiers autant ennuyeux que l'est son quotidien.
Récit bouleversant se révélant à travers des chapitres séquentiels, une écriture élégante, un style concis, empreint d'une nostalgie maladive. Écriture un peu désuète comme l'avocat agissant dans une dimension qui n'est plus tout à fait sa réalité propre, qu'il accepte sans très bien la comprendre et surtout sans n'y pouvoir rien. L'écrivain Antoine Brea, qui exerce lui-même, sous un autre nom, la profession d'avocat, pose discrètement au lecteur une pléiade de questions que nous ne pouvons résoudre sans risquer de nous retrouver au bout d'une corde...
Histoire à lire, pour apprendre à ne pas céder aux mécanismes outranciers et trompeurs d'une justice aux plateaux instables. Mais de s'interroger sur les problématiques du milieu judiciaire et carcéral, sur les mesures drastiques en prison.
Récit d'un avocat, Antoine Brea
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2016, 120 pages
On ne connaissait pas cet écrivain que grâce à son éditeur, on a découvert en lisant son dernier opus. Le titre, sobre et rationnel, ne nous invitait pas à nous introduire dans l'histoire d'un homme qui, à la suite de péripéties survenues environ une année plus tôt, démontre avec moult détails, que l'honnêteté professionnelle, pas mieux que le goût de la perfection, ne s'avèrent des vertus suffisantes pour ébranler les barrières d'ordres établis. Bien que cet homme, atteint de problèmes mentaux, ait toujours su maîtriser son handicap envers la société.
Le drame, dépeint brièvement par l'écrivain, mentionne au lecteur le crime commis sur la personne d'une jeune femme de vingt-cinq ans, Annie B., aide soignante, d'origine alsacienne. Enlevée par deux immigrants kurdes, Ahmet A. et Unwer K., elle avait été violée, brûlée vive, dans une forêt du Jura. Fait divers authentique commis dans la nuit du 8 et 9 juillet 1994.
Cette affaire sordide, l'avocat la décrira minutieusement avant de se résigner au pire. À la suite d'une rencontre avec une vieille dame richissime, qui a pris en une amicale pitié Ahmet A., détenu à la prison Centrale de Clairvaux, elle demande à son interlocuteur de mettre au clair les complications administratives, inhérentes à la condition d'étranger de Ahmet A., d'influencer sa libération conditionnelle.
Le narrateur nous tient en haleine dès qu'il fait la connaissance de cet homme, apprécié du personnel carcéral, des codétenus. Depuis sa réclusion, le criminiel se montre docile, réfractaire à tout acte de rébellion. Exemplaire, il serait donc équitable que son sort de prisonnier soit adouci, sa sanction révisée. Mais s'y opposant, Ahmet A. surprendra son avocat par l'opiniâtreté à vouloir expier sa peine dans les conditions imposées deux décennies plus tôt.
Plus on pénètre dans ce récit invraisemblable, plus la lecture devient passionnante. L'étau se resserre certes, mais subjuguée par les rouages ténébreux d'un système judiciaire gangrené, on suit cet homme dans ses déboires professionnels, sa personnalité fragile s'aggravant jusqu'au dénouement final. Fatal. Vie insipide d'un avocat, condamné à des amours trébuchantes, astreint à dénouer des dossiers autant ennuyeux que l'est son quotidien.
Récit bouleversant se révélant à travers des chapitres séquentiels, une écriture élégante, un style concis, empreint d'une nostalgie maladive. Écriture un peu désuète comme l'avocat agissant dans une dimension qui n'est plus tout à fait sa réalité propre, qu'il accepte sans très bien la comprendre et surtout sans n'y pouvoir rien. L'écrivain Antoine Brea, qui exerce lui-même, sous un autre nom, la profession d'avocat, pose discrètement au lecteur une pléiade de questions que nous ne pouvons résoudre sans risquer de nous retrouver au bout d'une corde...
Histoire à lire, pour apprendre à ne pas céder aux mécanismes outranciers et trompeurs d'une justice aux plateaux instables. Mais de s'interroger sur les problématiques du milieu judiciaire et carcéral, sur les mesures drastiques en prison.
Récit d'un avocat, Antoine Brea
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2016, 120 pages
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