Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 1 décembre 2008
Une semaine bien remplie
Depuis quelque temps, on a parlé ici de premiers recueils de nouvelles ou de premiers romans qui ont marqué la saison littéraire automnale. Entre autres noms, on cite ceux d'Emmanuel Bouchard, Johanne Alice Côté, Max Férandon. Cette fois, on fait place à une auteure reconnue, Félicia Mihali, qui vient de publier son cinquième roman intitulé Dina.
Une ancienne journaliste roumaine, reconvertie en professeure de soutien linguistique, installée au Québec depuis plusieurs années, relate l'histoire de sa meilleure amie, Dina. Un dimanche, elle téléphone à ses parents vieillissants, restés en Roumanie ; après un échange de banalités coutumières, sa mère lui dit : Dina est morte... Cette courte phrase va provoquer un flot de réminiscences ayant trait à Dina, au village où l'exilée est née, à sa famille qui a souffert du régime communiste dans les années soixante, aux mœurs paysannes qui régissent le comportement des hommes et des femmes. Déferlera pendant une semaine, la vie tragique de Dina aux prises avec l'incompréhension de ses proches et de ses amis. Pour des raisons particulières aux villageois, Dina ne plaît à personne, elle n'inspire aucune confiance. Sa fragilité physique agace et rebute, sa sensibilité exacerbée la jettera malgré elle dans les bras d'un homme violent, Dragan, fou amoureux d'elle. Elle vivra avec lui en Serbie puis le quittera pour se marier avec Paul, « ingénieur médiocre », pour qui elle ressent une paisible indifférence, Dina étant « anesthésiée contre tout sentiment. »
Perçue sous cet aspect restrictif, l'histoire de Dina est simple, pourtant elle ne l'est pas. Alors que la narratrice commence les préparatifs de son quarantième anniversaire, elle continue à téléphoner à sa mère, elle veut en savoir davantage sur la mort mystérieuse de son amie. Chaque fois qu'elle raccroche, des images de son pays et des visages vivants ou disparus rapetissent son univers d'expatriée, comme si la mort inexpliquée de Dina déclenchait l'ampleur d'événements politico-sociaux que nous ne réalisons que beaucoup plus tard. Après un trop long retour en arrière sur les conditions de vie difficiles de ses grands-parents, sur les mœurs ancestrales et coutumes funéraires, on fait enfin connaissance avec la jeune fille qu'a été Dina. Débarrassée d'une enfance et d'une adolescence plutôt ternes, elle vit seule dans une garçonnière de la ville de T., y travaille comme « téléphoniste sur le chantier du barrage [...] » Plus tard, Dina se trouvera une place de coiffeuse dans une ville serbe, qui lui sera fatale. Pour se rendre au salon, elle doit traverser la frontière séparant la ville de T. et la ville serbe. C'est là qu'elle retrouvera Dragan qu'elle connaissait depuis « le début de la guerre en Yougoslavie, guerre provoquée par la chute du communisme [...] » Croyant son idéal brisé, Dragan est pétri de haine contre les Roumains et profite du privilège de son poste de douanier pour leur mener la vie dure. Comme tout conquérant, il n'avait pas prévu que Dina lui tiendrait tête, et bien qu'elle ait peur de lui, elle s'oppose farouchement à son amour puis, excédée par ses menaces, accepte de vivre avec lui dans la ville serbe jusqu'au jour où n'en pouvant plus de sa brutalité, elle s'enfuit et retourne chez ses parents, au village.
Ayant hébergé Dina pendant deux mois, la narratrice la dépeint comme une jeune femme « discrète et silencieuse ». Solitaire, qui n'avait personne pour la défendre. Dina s'enfuira aussi de chez son amie pour, suppose celle-ci, renouer avec Dragan. Le temps a passé, Dina a vieilli, elle s'est mariée avec Paul. La professeure, invitée à donner des conférences en Roumanie, reverra Dina qui lui présentera son mari, elle sera séduite par Paul qui formait un « couple si drôle avec Dina. » Elle avoue n'avoir « rien soupçonné de ce que cette dernière rencontre signifiait. Tout ce que je savais était que notre amitié s'était épuisée. » Alors, la question, obsessionnelle, se pose : Qui a tué Dina ? La petite fille, l'adolescente, la jeune femme ont été malmenées, brutalisées par les uns et les autres. Même par sa compagne de jeu qui, enfant, aimait la battre... Il serait reposant de conclure que Dragan ou Paul en sont les meurtriers, mais Dragan est mort. Ayant été la proie d'une petite nation conquise par le grand vainqueur, Dina symbolisait la misère farouche d'un pays qui se cherchait et qui cherchait elle aussi de l'aide. Destin individuel dressé contre destin collectif. Dina seule contre les autres qui ne l'aimaient pas. Elle en mourra sans que personne ne se doute qu'elle aurait pu se suicider...
C'est un roman vibrant et dense que nous offre Félicia Mihali. Elle nous décrit l'existence pathétique d'une victime qui, malgré ses sacrifices, n'a su s'élancer du côté des vainqueurs. L'écriture est classique mais efficace, la structure charpentée, telle une échelle où nous grimpons sans trébucher. Durant sept jours, du dimanche au samedi, semblables aux protagonistes, toutes sortes de contradictions nous animent : l'injustice, la culpabilité, le déchirement, la réflexion. Sans oublier l'exil qui, parfois, éveille ce que nous pensions être endormi en nous, pour ne pas dire oublié. Roman vaste qui s'inscrit parfaitement dans la démarche fructueuse de cette auteure prolifique.
Dina, Félicia Mihali
XYZ éditeur, Montréal, 2008, 180 pages
Inscription à :
Articles (Atom)