Ce matin, on flâne, on ne fait rien. On attend le soleil, même s'il pleut. Pour se consoler, on admire les nuages, le regard descend sur la jeune frondaison des arbres. On se dit qu'ailleurs les avenues dégoulinent de lumière solaire, les rues cherchent l'ombre, les parcs se font oasis de verdure rafraichissante. Ailleurs s'avère toujours plus accueillant que le ciel qui se démène comme il peut au-dessus de notre tête. On a lu le numéro 138 de La revue XYZ de la nouvelle.
Secondée par l'écrivaine et traductrice Hélène Rioux, Sylvie Massicote a invité plusieurs nouvellistes à concocter l'ensemble d'un dossier visant le thème de la " vulnérabilité ". Cela donne à réfléchir, cette faille en nous souvent sur le point de nous menacer de ses tentatives corrodantes. Nous sommes pétris de tant de contradictions que nous ne savons pas toujours nommer nos angoisses. Nous les subissons à travers des événements qui influencent nos humeurs et nos sentiments. Comment évoquer ce que nous ressentons lorsqu'une odeur indispose une narratrice se souvenant de l'agonie de son grand-père ? Se dégageait de lui une odeur d'urine, qui l'emportait péniblement vers la mort. Sa petite-fille, s'ennuyant des « vieux », elle a pour eux « une empathie immédiate ». Lui sera alors confiée Delfina, une « vieille Italienne édentée qui n'avait plus de famille », qu'elle s'est mise à aimer. Mais l'odeur persiste dès qu'elle entre dans le bâtiment. Delfina mourra aussi. Nouvelle titrée L'odeur, signée Claire Legendre. Texte qui ouvre le numéro avec compassion, les autres fictions ramifiant leurs odeurs particulières, comme l'enfant d'Yves Angrignon, qui mouille son pyjama la nuit, humilié de ne pouvoir se retenir. Il craint que sa mère se lasse et le rejette. À son réveil, une immense détresse le fait se maudire. Nous avons envie de raisonner l'enfant, de lui expliquer qu'en grandissant ce malaise se résoudra, que ses frères ne se moqueront plus de lui. Jean-Paul Beaumier narre l'agonie d'une mère, hospitalisée. Celle-ci veut rentrer chez elle, alors que son désir ne sera jamais exaucé, ses jours étant comptés. Comme dans une peinture, c'est un détail qui percute le regard du fils quand il prend l'ascenseur. Une barre d'aluminium saille au bas du mur, elle pourrait blesser quelqu'un. Silence de la mère, vacillement du fils qui l'aide du mieux qu'il peut, se fiant aux détails, qui font de ce récit un des plus vulnérables. Une sensibilité à fleur de peau, l'écrivain dépeint les affres qu'il éprouve en sortant de la chambre, l'habile métaphore de la barre d'aluminium lui évitant d'exprimer sa souffrance. Je vais revenir demain. Cyril Della Nora nous fait faire la connaissance d'Isabeau, jeune femme plutôt extravagante, qu'il rencontrera dans l'autobus « un matin de mars qui se prenait pour mai ». Il s'en éprendra, ne sachant trop comment l'aborder, Isabeau se révèle tellement imprévisible. C'est la sonnerie du téléphone de la jeune femme qui altérera l'atmosphère amoureuse. Seul un turban, accroché au dossier de la chaise d'un bistrot, rappellera au narrateur qu'Isabeau a existé. De ce texte émane une profonde émotion, le dotant d'une force insoupçonnable. Alexandra Estiot nous trouble en taisant le mystère de son séjour d'une journée et d'une nuit dans une clinique. D'où son titre pour marquer davantage la détresse qui la ronge, s'arrêtant, elle aussi, à certains détails desquels nous avons l'impression qu'ils sont énoncés pour se soustraire à une douloureuse réalité. Les infirmières prennent soin d'elle, lui posent quelques questions dont nous finissons par connaitre les réponses. Récit décontenançant, incolore, blanc, interprétant le vide que ressent la jeune narratrice. Sur un ton plus léger, Camille Deslauriers use d'humour agacé pour décrire le comportement d'un médecin chez qui elle se rend. Elle est atteinte d'aphonie alors que le « trimestre d'automne commençait le lendemain ». Nous supposons que son conjoint file le parfait amour avec une étudiante, ce qu'elle avoue au médecin qui, désirant la rassurer, lui affirme que « des hommes, il y en a partout. » Vulnérabilité irritée de la patiente qui accepte mal ce diagnostic qui se veut consolant.
Ainsi, les textes vont et viennent entre détresse, humour et tremblements intérieurs, émotions exacerbées par la vulnérabilité qu'elles camouflent. Il suffit qu'un intrus se promène sur une plage, dérangeant l'intimité de deux femmes qui, apeurées, se posent des questions sur les intentions de l'inconnu qui se rapproche d'elles, jusqu'à leur maison. La narratrice hésite entre appeler la police ou une ambulance quand « l'homme prend peur, trébuche, perd ses lunettes. » Nouvelle brève, signée Danielle Dubé, où se ressent vivement l'inquiétude des deux amies devant l'inconnu, apparemment plus dangereux que le paysage où autrefois s'ouvrait la mer. Un intrus sur la plage. L'écrivaine nous ravit de sa sensibilité constante, efficace, quand il s'agit d'exprimer les débordements humains. Louise Dupré donne la parole à une femme, invitée à son insu à délibérer sur un jury. Laurent Lemay nous entraine vers un terrain de pétanque où joue, seul, un vieil homme. Marie-Ève Sévigny dénonce les frasques de Vieux Denis et Vieux Gaston qui veulent se venger du maire de leur petite ville. Une des rares nouvelles où l'écrivaine ne se miroite pas, ajustant la narration à l'action des deux vieux, comme dans un roman.
Dans la section " Thème libre ", on a particulièrement appréciée la fiction de Catherine Browder, Cerfs-volants, traduite de l'anglais américain par Jean-Marcel Morlat. Patiemment, un vieil homme attend sa belle-fille enfermée dans le cabinet d'un docteur. Pendant ce temps, il se remémore son existence avant de prendre sa retraite. Plus nous rentrons dans ses souvenirs, plus nous comprenons que sa belle-fille est chez le médecin pour parler de sa santé à lui. Là encore, un détail joyeux apaisera l'impatience du vieil homme.
C'est l'un des numéros des plus réussis sous la gouverne attentive de Sylvie Massicotte. Sentiments cassables et fragilité parfois indécelable se frôlent. L'être humain combien faillible quand un événement aussi minime soit-il, le frappe de plein fouet, mettant en danger son équilibre que nécessite une vie aux allures trépidantes. Les ambitions, l'arrogance, la vanité, la bonté, ce qui nous tient en haleine pour parvenir au bout de nos années d'existence, autant de soubresauts repérés au fil de notre lecture. Si on n'a pas cité tous les textes qui composent cet excellent opus, on n'en demeure pas moins admirative envers les nouvellistes qui ont participé à cette expérience révélatrice ou avouable, chacun et chacune enrichissant l'ensemble des fictions de sa touche personnelle, de son talent et de son imaginaire inépuisable.
XYZ. La revue de la nouvelle,
numéro 138 dirigé par Sylvie Massicote
Montréal, 2019, 102 pages