Il nous a demandé quels modèles façonnaient nos introductions. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures, le monde s'agitant violemment autour de nous, il n'est pas nécessaire d'arpenter le sol accidenté de la Terre pour se convaincre du bien et du mal qui se dégagent de chacun d'entre nous, et de soi-même. Rien ni personne en particulier ne nous inspire, on prend exemple sur ce qui forge l'être humain. On commente l'essai de Claire Varin, Animalis.
Si le genre entre peu dans nos habituelles chroniques, on a fait exception pour cet essai mettant en vedette non des humains mais des animaux. Il est rare, à notre connaissance, qu'une écrivaine leur réserve une place de choix où chacun devrait s'instruire. Si nous pensons tout savoir de nos amies les bêtes, Claire Varin s'empresse de nous dissuader, faisant preuve d'une compassion pénétrante pour les défendre. D'entrée de jeu, elle prend la main du lecteur, en fait son complice. Tel un préambule, elle nous ouvre sa maison qu'elle partage avec le « père nourricier » de leurs animaux. C'est dit avec une tendresse ironique, l'homme en question, l'accompagnant de temps à autre dans ses voyages animaliers. Puis, la narratrice nous fait part de son amour inconditionnel pour les animaux depuis son jeune âge. Révélation qui ne pouvait qu'aboutir à un livre. Quête résultant de ses déplacements passionnés mais réalistes auprès d'animaux qui lui tiennent à cœur, il lui faut tester l'humain envers ses amis à quatre et deux pattes. Comportement parfois peu louable quand l'animal devient objet, délaissant son titre de sujet. L'essayiste ne ménage personne, surtout pas le lecteur à qui elle relate les maltraitances que subissent les bêtes, domestiques ou sauvages. Elle souhaite que la nature se venge, ayant si facilement « mal aux animaux, aux enfants, aux arbres, à tout ce qui appelle une protection dans la sombre société des hommes [ ... ] » N'aimant pas tourner en rond, elle a posé sa candidature au programme de Spoken Word du Banf Centre, institution internationale vouée aux arts et à la créativité, au cœur des Rocheuses. Ayant été acceptée, elle s'envolera vers les montagnes inscrites au patrimoine de l'UNESCO et vers les bêtes en liberté.
Avec beaucoup de lucidité et douée d'un grand sens de l'observation, Claire Varin, escortée de guides professionnels qui consacrent leur temps, et leur probité, au règne animal, elle dépeindra les loups hors et dans leurs refuges, nous assurant que cet animal timide est pourchassé, telles des bêtes nuisibles. Il est donc peu probable d'en croiser un dans une forêt. Toute raison aussi stupide soit-elle s'avère une occasion de les tuer. Cela se produit malheureusement dans tous les pays européens et américains. Ici, en Alberta. Il fut un temps où fermiers et propriétaires terriens jouissaient de dix mois pour s'en donner à cœur peu scrupuleux. Dans les parcs nationaux, ils sont protégés au même titre que la flore locale. Il y a aussi les autres, ceux destinés à la boucherie, l'accablant pillage des braconniers qui, en 2012, en Afrique, ont décimé vingt-deux mille éléphants. Le Québec n'est pas épargné quand nous apprenons que vingt-cinq mille animaux sont abandonnés chaque année. Aucune issue à proposer, sinon l'euthanasie. Autre abattoir... Heureusement, nous apaisent les moments à marcher le long d'une rivière. Le confort des animaux domestiques soulage la narratrice de tant de misère à leur égard. Misère aussi personnelle quand la mère meurt et que se profile la vente de la maison familiale, discrétion pudique de la narratrice qui narre sans se lamenter ouvertement. On a apprécié ces événements relatés sans démonstration excessive. La mort des deux chattes, le chagrin incommensurable partagé avec l'homme de sa vie, « ours bouddhiste » qui fait son possible pour alléger la sensibilité à fleur de peau de sa compagne. Les réminiscences, faisant revivre chats et mère, s'entrecroisent sans jamais se dissocier du bestiaire, comme pour souffler un peu, raccommoder le fil du temps et celui, plus précaire, de la mémoire. D'où le jaillissement subit de la narratrice vers le soleil, pour se « réchauffer les entrailles ». Où qu'elle se trouve, elle ne perd jamais de vue le comportement des humains. Ici, les touristes qui se montrent un peu infantiles face aux exhibitions attrayantes de dauphins. Elle nous avise d'une triste réalité : l'exploitation des mammifères aquatiques, amusant le quidam.
La curiosité, souvent, tient lieu d'ouverture d'esprit, d'un désir instinctif d'aller au-delà de ce dont nous sommes capables. Claire Varin sera attirée par les parcs animaliers, les zoos, là où sont retraités des lions, des gorilles, des éléphants, toujours sous la vigilance d'un guide pragmatique. La visite du zoo de Granby est particulièrement riche en émotions quand la promeneuse disserte sur la variété des animaux occupant un espace qui leur est aménagé. Des miracles opèrent quand elle obtiendra la permission de visiter le refuge Pageau, créé dans les années 1980 par Michel Pageau et son épouse. Elle dépeint avec une immense bonté les bêtes qui s'agitent autour d'elle, cobayes rescapés de laboratoires, faisant à nouveau confiance en la gente humaine. Arche de Noé où s'ébattent les oiseaux, s'expriment les ours, se meuvent les louves et la meute, ces dernières particulièrement admirées par la visiteuse. Même constat quand on la retrouvera au parc national de la Mauricie. Les loups ayant été, depuis la nuit des temps, considérés comme de dangereux prédateurs qui ont alimenté bien de fausses idées à leur sujet, confirme l'auteure.
Retour au Banf Centre quitté un an plus tôt. L'écrivaine entraine le lecteur dans une église où se déroule une cérémonie de bénédiction des animaux. Nous ne manquerons pas de la suivre, les détails savoureux dont elle nous gratifie piquant notre ignorance. Son guide, Peter, l'invite à une manifestation pour la protection des parcs nationaux. Elle y croisera des personnes qui l'aideront à rencontrer des grizzlis. Dernière étape de ce fabuleux périple, celui-ci exposant l'endroit et l'envers de sa lumière et de ses ombres. Le charme grinçant de ce livre nous a séduite, nous intéressant, de loin ou de près, au monde enchanté des animaux, au monde discutable des humains. Certains les secourent, les respectent, d'autres les maltraitent, les tortures, les tuent. Qu'inspire au juste l'univers animal, insufflant naturellement des comportements complexes ?
Essai simple d'accès, l'écriture fluide, la réflexive pensée, ne rebutant à aucun moment le lecteur à voir plus loin, se baladant d'un chapitre à l'autre sans aucune contrainte. Le récit est pétri d'un allocentrisme éclairant, d'un savoir impressionnant sur le règne de tous ces amis à plumes et à poils. Amour inlassable des animaux de la part de Claire Varin, sans ne jamais tomber dans un douteux anthropomorphisme mais s'étonnant que des humains cultivés, qui les étudient, doutent de leur sensibilité émotive. On dirait que plus proche adhère le sujet, plus dérangeant il se pose. La fin du livre tire sa conclusion sur une question déroutante mais tellement véridique, nous faisant prendre conscience de notre état de prédateur toxique. Les animaux étant nos amis, les mange-t-on ? Interrogation se projetant vers l'avenir animal et sur nous-mêmes.
Animalis, Claire Varin
Leméac Éditeur, Montréal, 2018, 117 pages