On remercie les personnes qui, durant quelques minutes, nous font croire qu'on est indispensable. Nous affirment à travers la naïveté de certains mots que notre travail en vaut la peine. On se laisse bercer par de telles affirmations illusoires, qu'un revers de la main écarte vitement, jugeant qu'aucun labeur intellectuel de cet ordre nécessite une telle attention. C'est un répit qu'on s'accorde avant de passer à autre chose. On parle du roman de Chantale Ostigny, Je te promets fidélité.
Après nous être vautrée dans plusieurs ouvrages qui nous ont imprégnée de leur originalité thématique, de leur écriture exigeante, on plonge aisément dans des histoires plus simples, plus conventionnelles. Ce qui est le cas du deuxième opus de cette auteure qu'on ne connaissait pas. L'histoire en vaut une autre, comme nous disons, elle tient sa place dans l'existence personnelle de certains êtres qui, malgré les apparences, traversent des périodes difficiles. C'est la manière de décrire leurs déboires qui compte, leur donne quelque intérêt quand nous les lisons. Serait-il plus éloquent de les vivre que de les narrer, les émotions n'étant pas toujours simples à décortiquer dans leur absolue intégrité ?
Alexandra — Alex — mariée à Charles depuis cinq ans, vit des jours heureux avec son conjoint. Ils ne sont que tendresse l'un envers l'autre. Elle est enceinte de leur premier enfant. Lui est avocat, elle, décoratrice d'intérieur. Un soir, le couple s'apprête à recevoir les parents de Charles : un père conciliant, une mère frustrée qu'une jeune femme lui ait ravi son fils trop aimé. Au détriment de leur fillette de douze ans, qui s'est suicidée des années plus tôt. Est aussi invitée la grand-mère d'Alex qui a élevée sa petite-fille quand, à deux ans, ses parents ont été tués dans un accident ferroviaire. Une complice affection les unit. Avant que la famille arrive, Alex se rend compte qu'elle a oublié les bougies, Charles se propose de sortir en acheter. Le temps passe, le repas aussi, Charles n'est toujours pas de retour. Au bout d'un moment, deux policiers sonnent, ils apprendront à Alexandra que son mari s'est tué dans un accident de voiture. Nous devinons le désarroi d'Alex, les affres du deuil qu'elle subira. Quelques jours plus tard, le patron de Charles lui fera parvenir des objets que son employé gardait dans son bureau. Se décidant à trier le tout, Alex se posera moult questions quand elle trouvera des photos où Charles enlace une femme. Dans son portefeuille, deux reçus d'un fleuriste.
L'amour a ses failles, la confiance aussi. Le doute est ravageur quand il s'infiltre dans les sentiments d'une femme de trente ans qui n'avait jamais soupçonné son amoureux d'une quelconque tromperie. Sous le choc de cette malencontreuse révélation, désespérée de se retrouver seule, Alex a perdu son bébé. Se reprenant en main, elle fera son possible pour rencontrer la maitresse de son mari. Un collègue, ami intime et douteux de Charles, qu'elle déteste, lui vendra la mèche. Finalement, les deux femmes se donneront rendez-vous dans un bistrot. Claire est jeune et ravissante, sur le point d'accoucher, l'enfant est de Charles. À la suite de cette sordide découverte, Alex se réfugiera à la campagne dans le chalet de sa grand-mère. Elle fera la connaissance d'un vieil homme, monsieur Larose, ( euphémisme ? ) qui s'attachera paternellement à Alexandra. Décoratrice, celle-ci a repris les pinceaux, sous l'œil admiratif mais douloureux du vieil homme. Il lui confiera qu'il avait un fils doué pour la peinture. Lui interdisant d'en faire sa profession, Jean s'est enlevé la vie. Un mystère plane dans une pièce du chalet, tenue secrètement fermée. Un mystère plane aussi entre la grand-mère d'Alexandra et le vieux monsieur Larose, qui sera éclairci avant de clore l'histoire. Et soi de fermer le livre avec soulagement.
Histoire pathétique qui ne nous a pas convaincue. On s'est demandé si de telles femmes, coupées du monde réel comme Alexandra, existaient encore. Cette dernière s'entoure de personnes qui l'aiment, même sa belle-mère reviendra à de meilleurs sentiments. Déstabilisée, fragilisée à la suite de la trahison de son mari, elle passe d'un état dépressif à des stades euphoriques. Tant de larmes sporadiques traversent le livre, au point d'en être agacée. L'histoire aurait beaucoup gagné en efficacité si une révision sérieuse avait été faite, ce manque de rigueur atténuant la véracité du récit. Son aspect sentimental d'une certaine littérature des années quarante et cinquante nous a surprise, quand nous savons combien de manuscrits sont rejetés par les maisons d'édition. Pourquoi a-t-on lu ce roman ? Pour faire diversion, nous questionnant sur les intentions d'auteurs-es qui veulent peut-être faire oublier au lecteur, surtout à la lectrice, les malheurs de ce monde. C'est légitime à condition de lire ces fictions au premier degré. De les considérer comme de romanesques intermèdes avant de plonger à nouveau dans des romans qui en valent le détour, sur des chemins bordés d'épines actuelles et non sur des sentiers essaimés de roses dégriffées, quitte à remettre les humains en question...
Je te promets fidélité, Chantale Ostigny
Groupe Fides Inc. Montréal, 2019, 175 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 20 avril 2020
lundi 6 avril 2020
Un fleuve et ses courants passionnels ****
Il est tard, on ne dort pas, comme cela souvent nous arrive. On se complait entre les livres, un fond de musique persiste à notre oreille fatiguée. Un peu de recherche dans internet. Tous les sujets nous intéressant, on prête notre attention à différentes sources imbibées d'un savoir qu'on n'apprivoisera jamais. Une existence ne suffira pas à satisfaire nos désirs d'apprendre. On mourra, un questionnaire mortifère sur les lèvres. On a lu le roman de Hélène Dorion, Pas même le bruit d'un fleuve.
On pourrait mentionner que c'est un démêlé silencieux entre une mère et sa fille, ce qui est vrai mais pas tout à fait. Une vitalité débordant du récit fait que nous tournons les pages au gré de la poésie réflexive de l'écrivaine. La nature a largement son mot à faire fleurir dans les propos de Hanna, poète, partie à la recherche d'une mère de qui elle se sent étrangère. Cette traversée filiale émaillée d'un questionnement existentiel, celui, peut-être, qui nous submerge quand la vie n'est pas exactement comme nous voudrions qu'elle tourne, ronde, entre les heures effrontées ou sereines, se révélant un acte de survie. Hanna se souvient. Hanna nous invite dans un présent où l'écriture s'invente, s'impose, aussi vive que le fleuve. D'emblée, Simone, la mère de la narratrice, se profile, auréolée d'une jeunesse où le corps s'abandonne à l'agitation capricieuse du fleuve Saint-Laurent. Les vagues fortes troublent la perception de la jeune fille sur les entours fluviaux, un « brouillard léger qui frissonne au-dessus des eaux, elle croit apercevoir quelque chose, une barque peut-être ou un rocher [ ... ] ces rochers difficiles à percevoir et qui écorchent les coques des bateaux téméraires. » Métaphore iconique d'un drame survenu en 1914, le naufrage de L'Empress of Ireland. On a l'impression que Hanna utilise cette catastrophe, avec discernement, pour rejoindre Simone, de qui elle ignore les saccages moraux, les brisures du cœur échoué sur une rive étrangère, qu'elle n'a pas su quitter. Fidélité idéalisée pour un homme qui n'existait peut-être que dans les poèmes que Simone écrivait.
Nous voguons de Montréal à Kamouraska, et inversement, entre terre et eau, entre un amour né du fleuve et une mort soumise à l'étendue des eaux. Une telle intensité abonde que le fleuve prend allure de protagoniste, initiateur, en quelque sorte, des premiers émois passionnés de Simone pour un homme plus âgé qu'elle. Il a surgi du port encombré de « mâts qui se balancent derrière lui, on dirait une forêt qui frissonne. » Émois réciproques mais comme suspendus dans la mémoire de l'homme. Il s'appelle Antoine, il apprendra à son amoureuse le désir et l 'amour sur son propre bateau, s'attachant la jeune fille envers et contre tout. C'est déchirant comme un conte qui se termine mal, et l'histoire entre Simone et Antoine finit mal. Lui meurt dans une tempête alors qu'aucune houle ne pressentait une telle furie, le fleuve soudainement transformé en un océan hostile. Plus tard, pétrifiée dans sa douleur, Simone acceptera d'épouser un homme épris d'elle, son esprit, son corps étant demeurés dans l'abyssale demeure aquatique de son amant. Ceci est l'heure brève du passé feutré de la mère de Hanna, feutré parce qu'un mystère subsiste. Qui était Antoine, quelle connivence le liait au naufrage de L'Empress of Ireland ? Il suffit parfois d'une lettre non ouverte pour échafauder une rétrospective émotionnelle émergeant d'une époque révolue. Jusqu'à la fin de ce sentiment partagé, remis silencieusement en question par Antoine, assumé entièrement par Simone, le fleuve ne se départira jamais de son rôle de rassembleur puis de destructeur, comme si Antoine devait être restitué à une demeure inaccessible à la jeune femme, celle-ci devant se contenter de s'ajuster aux caprices des humeurs vagabondes de l'affluent : jeu primesautier des vagues, fureur des flots, contre lesquels Simone lutte pour ne pas sombrer à son tour, corps et âme égarés dans un maelström frénétique d'oubli...
Il est rassurant de s'ajuster au temps présent quand Hanna retrouve Juliette, amie et complice, jaillie de l'enfance balbutiante, de l'adolescence nourrie de projets artistiques pour l'une et pour l'autre. Hanna se mesurera à la fluidité musicale des mots, Juliette choisira la matière incandescente de la peinture pour échapper à l'exaspération éprouvée auprès d'une mère étouffante. Dans ce roman bouleversant, mère et fille se confondent, la mère de l'une n'étant pas toujours celle qui aurait dû l'être. Infantilisme de deux femmes qui ont interrompu leur maturité quand l'amant de l'une est mort, quand l'époux de l'autre s'est rebiffé brutalement. Hanna, fatiguée de la dérive latente, perçue dans le regard de Simone, doute qu'elle l'ait aimée, la fillette souvent renvoyée à la responsabilité paternelle. C'est aussi la force d'une amitié immuable qui, de temps à autre, s'est perdue de vue, mais jamais ne s'est reniée. « Chacune à sa manière, Hanna et Juliette allaient tout demander à l'art, à la poésie : qu'ils déploient une autre réalité que celle qui cherchait à les enfermer. » Il n'empêche que chacune s'interrogera souvent sur l'apport de leur art, Hanna convenant que l'écriture « ne répare pas les cassures, elle ne fait qu'ouvrir les chemins nécessaires pour se réconcilier avec elles. »
C'est un magnifique roman émouvant, intelligent, où la poésie, sensuelle, de Hélène Dorion s'amalgame à une poésie fulgurante, nécessaire à formuler la beauté enveloppante du texte, le sort passionnel de la mère transcendant une quête d'absolu que nous ressentons chaque fois que le fleuve intervient. Quête innommée que Simone a préféré taire en refusant de lire la lettre de son amant que celui-ci a écrit quelques jours avant de mourir. Hanna, se servant de la plume inventive, chatoyante de l'écrivaine, a disséqué les amours ferventes puis mortes d'une femme qui ne lui a appartenu qu'à travers le tapage infernal d'une tempête imprévisible, personne à l'époque ne connaissant la raison de son subit déferlement. Les résidus humains, comme bois flotté sur une plage, balayés par la volonté d'une narratrice qui admet, enfin, « que plus on vieillit plus les réponses nous échappent. » Nous pouvons refermer le livre, le récit a imprégné en notre mémoire le souvenir de mystères familiaux, tragiquement repliés en leur éternité, avant de chuter non vers le désespoir mais vers la nécessité de les taire parce que ensevelis dans l'écume translucide d'un fleuve calmé de tous ses bruits d'antan...
Pas même le bruit d'un fleuve, Hélène Dorion
Éditions Alto, Québec, 2020, 184 pages
On pourrait mentionner que c'est un démêlé silencieux entre une mère et sa fille, ce qui est vrai mais pas tout à fait. Une vitalité débordant du récit fait que nous tournons les pages au gré de la poésie réflexive de l'écrivaine. La nature a largement son mot à faire fleurir dans les propos de Hanna, poète, partie à la recherche d'une mère de qui elle se sent étrangère. Cette traversée filiale émaillée d'un questionnement existentiel, celui, peut-être, qui nous submerge quand la vie n'est pas exactement comme nous voudrions qu'elle tourne, ronde, entre les heures effrontées ou sereines, se révélant un acte de survie. Hanna se souvient. Hanna nous invite dans un présent où l'écriture s'invente, s'impose, aussi vive que le fleuve. D'emblée, Simone, la mère de la narratrice, se profile, auréolée d'une jeunesse où le corps s'abandonne à l'agitation capricieuse du fleuve Saint-Laurent. Les vagues fortes troublent la perception de la jeune fille sur les entours fluviaux, un « brouillard léger qui frissonne au-dessus des eaux, elle croit apercevoir quelque chose, une barque peut-être ou un rocher [ ... ] ces rochers difficiles à percevoir et qui écorchent les coques des bateaux téméraires. » Métaphore iconique d'un drame survenu en 1914, le naufrage de L'Empress of Ireland. On a l'impression que Hanna utilise cette catastrophe, avec discernement, pour rejoindre Simone, de qui elle ignore les saccages moraux, les brisures du cœur échoué sur une rive étrangère, qu'elle n'a pas su quitter. Fidélité idéalisée pour un homme qui n'existait peut-être que dans les poèmes que Simone écrivait.
Nous voguons de Montréal à Kamouraska, et inversement, entre terre et eau, entre un amour né du fleuve et une mort soumise à l'étendue des eaux. Une telle intensité abonde que le fleuve prend allure de protagoniste, initiateur, en quelque sorte, des premiers émois passionnés de Simone pour un homme plus âgé qu'elle. Il a surgi du port encombré de « mâts qui se balancent derrière lui, on dirait une forêt qui frissonne. » Émois réciproques mais comme suspendus dans la mémoire de l'homme. Il s'appelle Antoine, il apprendra à son amoureuse le désir et l 'amour sur son propre bateau, s'attachant la jeune fille envers et contre tout. C'est déchirant comme un conte qui se termine mal, et l'histoire entre Simone et Antoine finit mal. Lui meurt dans une tempête alors qu'aucune houle ne pressentait une telle furie, le fleuve soudainement transformé en un océan hostile. Plus tard, pétrifiée dans sa douleur, Simone acceptera d'épouser un homme épris d'elle, son esprit, son corps étant demeurés dans l'abyssale demeure aquatique de son amant. Ceci est l'heure brève du passé feutré de la mère de Hanna, feutré parce qu'un mystère subsiste. Qui était Antoine, quelle connivence le liait au naufrage de L'Empress of Ireland ? Il suffit parfois d'une lettre non ouverte pour échafauder une rétrospective émotionnelle émergeant d'une époque révolue. Jusqu'à la fin de ce sentiment partagé, remis silencieusement en question par Antoine, assumé entièrement par Simone, le fleuve ne se départira jamais de son rôle de rassembleur puis de destructeur, comme si Antoine devait être restitué à une demeure inaccessible à la jeune femme, celle-ci devant se contenter de s'ajuster aux caprices des humeurs vagabondes de l'affluent : jeu primesautier des vagues, fureur des flots, contre lesquels Simone lutte pour ne pas sombrer à son tour, corps et âme égarés dans un maelström frénétique d'oubli...
Il est rassurant de s'ajuster au temps présent quand Hanna retrouve Juliette, amie et complice, jaillie de l'enfance balbutiante, de l'adolescence nourrie de projets artistiques pour l'une et pour l'autre. Hanna se mesurera à la fluidité musicale des mots, Juliette choisira la matière incandescente de la peinture pour échapper à l'exaspération éprouvée auprès d'une mère étouffante. Dans ce roman bouleversant, mère et fille se confondent, la mère de l'une n'étant pas toujours celle qui aurait dû l'être. Infantilisme de deux femmes qui ont interrompu leur maturité quand l'amant de l'une est mort, quand l'époux de l'autre s'est rebiffé brutalement. Hanna, fatiguée de la dérive latente, perçue dans le regard de Simone, doute qu'elle l'ait aimée, la fillette souvent renvoyée à la responsabilité paternelle. C'est aussi la force d'une amitié immuable qui, de temps à autre, s'est perdue de vue, mais jamais ne s'est reniée. « Chacune à sa manière, Hanna et Juliette allaient tout demander à l'art, à la poésie : qu'ils déploient une autre réalité que celle qui cherchait à les enfermer. » Il n'empêche que chacune s'interrogera souvent sur l'apport de leur art, Hanna convenant que l'écriture « ne répare pas les cassures, elle ne fait qu'ouvrir les chemins nécessaires pour se réconcilier avec elles. »
C'est un magnifique roman émouvant, intelligent, où la poésie, sensuelle, de Hélène Dorion s'amalgame à une poésie fulgurante, nécessaire à formuler la beauté enveloppante du texte, le sort passionnel de la mère transcendant une quête d'absolu que nous ressentons chaque fois que le fleuve intervient. Quête innommée que Simone a préféré taire en refusant de lire la lettre de son amant que celui-ci a écrit quelques jours avant de mourir. Hanna, se servant de la plume inventive, chatoyante de l'écrivaine, a disséqué les amours ferventes puis mortes d'une femme qui ne lui a appartenu qu'à travers le tapage infernal d'une tempête imprévisible, personne à l'époque ne connaissant la raison de son subit déferlement. Les résidus humains, comme bois flotté sur une plage, balayés par la volonté d'une narratrice qui admet, enfin, « que plus on vieillit plus les réponses nous échappent. » Nous pouvons refermer le livre, le récit a imprégné en notre mémoire le souvenir de mystères familiaux, tragiquement repliés en leur éternité, avant de chuter non vers le désespoir mais vers la nécessité de les taire parce que ensevelis dans l'écume translucide d'un fleuve calmé de tous ses bruits d'antan...
Pas même le bruit d'un fleuve, Hélène Dorion
Éditions Alto, Québec, 2020, 184 pages
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