Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
mercredi 10 septembre 2008
Les choses de la vie d'un écrivain
Il arrive qu'après avoir lu quelques pages de certains livres, ils nous tombent des mains. Alors, se pose la question sur les raisons de leur publication. D'autres, au contraire, accrochent, sans qu'on y prenne garde, toute notre attention. Bien souvent, ces livres oscillent entre le récit et la nouvelle. L'éditeur les intitule roman pour attirer le lecteur... C'est le cas du dernier ouvrage de Donald Alarie, dont en silence on admire l'œuvre depuis longtemps.
Ce roman titré David et les autres relate en une centaine de pages l'histoire d'un écrivain depuis ses huit ans jusqu'à la jeune soixantaine. En de très courts chapitres, en légères touches sensibles, tellement précises — du pointillisme —, Donald Alarie rapporte comment un enfant puni pour avoir commis une « petite sottise » découvre pour la première fois un livre que ses proches l'avaient autorisé à prendre. À partir de cette magistrale révélation, la vie du garçon en dépendra. Une vie qui, en apparence, ressemblera à beaucoup d'autres. David, car c'est lui, a des parents aimants, une sœur, « Martine, de deux ans son aînée », un ami, Antoine, à qui il confie ses joies, ses peines. Originaire de Gaspésie, sa famille a émigré « dans une ville située à soixante-dix kilomètres de Montréal. »
Après deux propositions sexuelles ambiguës, David se mariera avec Johanne de qui il aura une fille, Annie. Comme tant d'autres, ils divorceront, se partageront intelligemment la garde de l'enfant. La mère et le père de David mourront, Martine construira follement sa vie, Annie concevra un enfant de père inconnu. Se demandant s'il devrait refaire sa vie, David s'arrête brièvement dans l'espace privé de quelques femmes. D'anecdotes ordinaires en déceptions et joies mesurées, il vieillit, franchit la soixantaine.
Pourtant, la vie de David ne se confond pas à tant de monotonie. Contre vents et marées, il écrit des romans, des poèmes, qui seront publiés. David n'a pas choisi la littérature, nous apprend l'auteur, « cela s'était plutôt fait naturellement. » C'est aussi un homme qui pratique « certains sports » et qui, pour gagner sa vie, « était [...] reconnu pour ses habiletés manuelles. » Cette vie d'écrivain révèle la face cachée d'un homme réfractaire aux mondanités qu'implique le succès fugitif d'un roman. Quand il recevra un prix littéraire, David enverra son ami Antoine fêter à sa place. Il a aussi refusé que l'éditeur mette une photo « en page quatre de couverture. » Le temps passant, David acceptera, enfin, de faire des lectures publiques. Parfois, il trouve honorable d'être un écrivain modestement reconnu, d'autres fois il aimerait plus de reconnaissance, ce qui nous vaut de succulentes réflexions sur ses trois éditeurs — les portraits ne font aucun mystère sur leur identité —, sur les auteurs qui entretiennent habilement leurs relations publiques.
Au centre de sa vie d'écrivain continuent à sillonner les personnes aimées. Fréquentant les cafés, David fait des rencontres qui nourrissent le regard curieux et indulgent qu'il pose sur les humains. Rodolphe et Gertrude, un homme et une femme qui « avaient une longue expérience de la vie... » qu'il craint ne jamais revoir quand ils sortent du café. Il assiste à l'enterrement de Madame Élisabeth sans trop savoir qui elle était. L'écrivain qu'il est entend le « cri » de jeunes révoltés qui le ramène à sa fille Annie. Adolescente, elle aussi avait poussé un cri qui « l'avait amenée jusqu'à danser nue dans un bar pendant quelques semaines. » Deux ou trois femmes lui écrivent combien sa poésie les ont aidées à traverser de cruelles épreuves. La liberté intellectuelle qui porte David lui permet de se composer une existence axée sur les livres qu'il lit et qu'il écrit. Nulle part, il ne s'échappe sans un roman ou un recueil de poésie. Ainsi, la vie de l'homme David et celle de l'écrivain se recoupent avec attachement et tendresse. Chaque livre est une échappatoire — « l'arme rassurante » — adoucissant la mort du père, apaisant les doutes et les incertitudes, soulageant la tristesse qui l'assaille au fur à mesure que dérive le temps et que sont comptées les années qui restent à écrire.
Pourtant, ce qui caractérise la démarche fertile d'une telle vie prospère en sont la bonté et la sagesse. On ne peut s'empêcher de reconnaître Donald Alarie dans ce portrait d'homme et d'écrivain ; il rend compte de la générosité d'un être humain qui semble tenir le bilan de son existence. Il faut posséder un immense talent, une maîtrise absolue de l'écriture pour narrer en une centaine de pages les afflictions profondes, les joies intenses, les victoires ultimes d'un individu qui, lors de son passage fugace sur terre, ne recherche que l'essentiel de lui-même pour se mesurer aux autres.
À lire pour essayer de sortir grandi des impasses que la vie, à nos dépens, se plaît à dresser devant nous et aussi pour saluer un véritable écrivain.
David et les autres, Donald Alarie
XYZ éditeur, Montréal, 2008, 118 pages
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