Il y a des matins où le monde nous paraît flou et fou, les agissements irrationnels de certaines personnes nous faisant perdre de vue les possibilités de comprendre nos semblables. Pourquoi les relations entre gens civilisés sont-elles si difficiles, voire impossibles ? Faut-il réajuster notre lorgnette ou rêver de reconstruire le monde, celui d'avant l'invention de la roue ? On commente le roman d'Éric Plamondon, Taqawan.
On a toujours eu une préférence pour les romans qui nous apprennent quelque chose, aussi futile soit ce quelque chose. Les états d'âme ne nous suffisent pas, on a renoncé depuis longtemps à perdre notre temps, à courber l'échine sur des propos aléatoires. Nous traversons tous et toutes cet état adolescent, nous devons grandir, tenir compte de nos jeunes expériences. Le roman d'Éric Plamondon, échappant à l'anecdote, nous a ravie et attristée, le drame s'avérant actuel et sans cesse à l'affiche, la frénésie du pouvoir s'acharnant sur des hommes qui ont été réduits à l'esclavage, autrefois les maîtres d'un territoire millénaire. On évoque un peuple perçu à travers l'histoire d'une jeune fille de quinze ans, les Mi'gmaq. Océane a été retrouvée « roulée en boule au milieu des fougères » par le garde-chasse Yves Leclerc. Il se dirigeait vers la rivière pour y pêcher le saumon. À partir du moment où il sauvera l'adolescente, la ramènera chez lui pour la soigner, l'histoire découlera avec beaucoup d'empathie, sans complaisance. Nous apprendrons de quelles injustices sont victimes les Indiens depuis qu'ils sont arrivés sur cette terre de fin du monde, Gespeg, bien avant les Vikings, plus tard Christophe Colomb. L'eau, ici, joue un rôle prépondérant, le saumon traçant la route d'une histoire que nous ne pouvons ignorer. Les Indiens le pêchent avec leurs filets, comme ils piègent l'ours pour leur nourriture et sa fourrure indispensable à leur survie dans une contrée glaciale.
Ce récit qui happe et bouscule le lecteur commence en Gaspésie, le 11 juin 1981. Il met en scène les bourreaux et les victimes habituels, soit ceux qui se croient forts, protégés par leur uniforme et les lois qui s'y rattachent, puis ceux à qui ces hommes ont usurpé la dignité et la fierté par la force d'une époque où la seule vérité revenait aux Blancs. Le roman met en évidence quelques personnages encaqués dans une enfance mal digérée, comme celle de Mario Trudel qui, pour ne plus entendre gueuler sa mère, devient « une police ». Dorénavant, il n'aura plus peur de personne. Autour de ce drame gravitent des êtres qui défendent la cause amérindienne, risquent leur vie pour essayer de rendre ce qui a été confisqué. Une fiction plus personnelle enrichit ce récit entaché d'imposture. L'amour de Caroline Seguette pour Yves Leclerc, enseignante française qui, difficilement, s'habitue au terrible hiver d'un « coin reculé du Québec ». La réelle histoire n'est pas celle de deux êtres issus de continents différents mais celle du saumon quand il remonte la rivière jusqu'au lieu de sa naissance. Il est devenu taqawan après avoir exécuté un long périple en mer. Entre les chapitres consacrés à la cause révoltante des Mi'gmaq, le lecteur se délecte de courtes séquences instructives, comme si le temps passait sans ne rien changer au comportement d'hommes indignes, qui ne pensent qu'à se venger d'un manque intérieur qu'ils ne savent résoudre.
Si on théorise sur ce roman émouvant, c'est qu'on s'estime spectatrice d'événements qu'on observe avec stupeur mais sans vraiment avoir eu l'impression d'en être responsable. On est un peu dans le cas de Caroline Seguette qui, écoutant son amant Yves Leclerc lui narrer de valables arguments sur l'indépendance du Québec, s'oppose à son farouche exposé en le provoquant de manière réaliste, ce qui fait claquer les portes à ce dernier sur le monde extérieur que lui propose Caroline. Être d'ailleurs ouvre des parallèles que parfois il vaut mieux taire, desquels des éléments essentiels nous échappent...
Roman qui nous a conquise à la cause infernale des faibles de ce monde. Maîtres et esclaves, chacun occupant la moitié de la Terre, les crimes se commettant de plus en plus odieux, rien ne servant de leçon humanitaire, surtout pas les guerres, qu'elles soient tribales, régionales ou mondiales. Sujet particulier mettant en relief une crise jamais réglée comme si décimer un peuple apportait une solution au comportement inapproprié d'hommes emprisonnés en eux-mêmes. On pense au retour de militaires inadaptés à tuer leurs semblables sans aucune raison, sinon obéir à des hommes confinés dans l'enclos de leurs propres démons. Subordonnés qui n'osent se remettre en question, si peu ont le courage d'Yves Leclerc qui, ayant démissionné de la GRC, s'est fait garde-chasse, a secouru, au risque d'y laisser sa peau, une adolescente indienne de quinze ans qui, plus tard, apprendra à vivre avec ses souffrances mais se rangera au conseil d'un de ses samaritains : il lui faudra apprendre à exister. N'est-ce pas là le rôle de chacun et chacune, exister en tant qu'individu responsable et respectueux envers toute différence ?
Taqawan, Éric Plamondon
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2017, 222 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 28 août 2017
lundi 14 août 2017
L'éclatement éprouvant des deuils *** 1/2
Chaque livre qu'on reçoit fait fi des congés estivaux. On s'installe du mieux qu'on peut pour s'imprégner de l'histoire qui découle des pages agitées par la brise. On marche vers des paysages différents, celui de l'océan, malgré son vacarme, ayant notre préférence. Parfois, on s'installe confortablement à la terrasse d'un bistrot, autre vacarme. Puis, on porte notre attention sur un travail d'écriture qui a demandé plusieurs mois d'efforts pour aboutir à notre regard critique. On commente le roman de Louise Gaudette, Comme les nuages.
Il suffit qu'une voix se mette en branle pour que les autres leur fassent écho. Dans ce récit, il y en a cinq qui se joindront au deuil d'Élisabeth, qui a perdu sa fille Sofia à la naissance. Deuil d'autant plus éprouvant qu'Élisabeth n'est plus très jeune pour mettre au monde un enfant. Elle n'en désirait pas, la fibre maternelle s'est éveillée en même temps que son amour pour Saul. Comment faire pour alléger une telle douleur et surtout ne pas se culpabiliser, ce que fera la narratrice, ayant subi un avortement à vingt ans. Professeur de taï-chi, elle quittera Montréal pour séjourner à Cape Cod. Fuir sa douleur consolidera son couple, croit-elle, qui, depuis la mort de l'enfant, est ébranlé sur ses bases solides et profondes. Saul, clarinettiste, part en tournée en Europe avec son groupe de klezmer. Il est chargé d'une étrange mission : son père, issu d'une famille juive décimée dans les camps, lui demandera en son nom de visiter Auchwitz. Poids du passé et du présent dans la vie de cet homme qui ne désire que retrouver son épouse, Élisabeth. À Cape Cod, celle-ci a loué un cottage appartenant au vieux Théo, qui, lui, ne se souvient que de sa femme et de sa fille, l'une morte d'un cancer, l'autre dans un accident de voiture. Reprenant ses cours de taï-chi, Élisabeth fera la connaissance de Clara, qui ne sait assumer le bonheur : trop dépendante des hommes qu'elle aime, elle les étouffe. Ancienne danseuse, passablement alcoolique, c'est à la suite d'une imprudence causée par l'alcool, qu'elle a dû mettre un terme à sa carrière prometteuse. Enfin, il y a Sandrine, amie d'enfance, qui, séjournant en Inde, écrit à Élisabeth des lettres reflétant, sans en avoir conscience, la personnalité de cette dernière. Elle jurait ne pas vouloir d'enfant, amoureuse, elle remet en question cette décision, portée autrefois par un esprit indépendant qu'elle dénie depuis sa rencontre avec Peter...
Ces cinq personnages prennent la parole à tour de rôle. Ils s'entrecroisent et nous dévoilent ce qui a été, avant de se complaire dans ce qui n'est plus, mais surtout dans un présent alourdi de relents culpabilisants. Après que le malheur a fait de nous des victimes ostentatoires, clamant à petites doses les folies insouciantes de la jeunesse, comme s'il était de bon ton d'ouvrir les yeux sur soi au moment où s'accomplit ce que nous pensons inéluctable. L'avenir est-il si différent du passé, semble se demander le vieux Théo, qui a eu le courage de renier son fils devenu « un bon à rien », rassuré qu'il est de ne pas savoir s'il est encore en vie. Sur fond de rengaine mélancolique de Leonard Cohen, la vie des uns et des autres évolue, rythmée parfois de fausses notes, toujours en douceur, la révolte s'avérant ici sournoise parce que intérieure. Nous souvenant des nouvelles de Louise Gaudette, Contre toute attente, on se rappelle les murmures et les grommellements plutôt que les lamentations et les cris...
Tout dans cette fiction se rapporte à l'actualité quotidienne, sevrée de faits divers que nous lisons avant de les soustraire à des événements plus graves. Les nuages s'amoncellent, il pleut des larmes, crissent des grincements de dents, il faut attendre des jours lumineux, déjà avivés sous la plume poétique de Louise Gaudette, autant discrète que ses protagonistes. Faut-il minimiser les deuils qui ne s'altèrent pas toujours de leur propre poids ? Au cours de notre lecture, Élisabeth nous a un peu agacée, son obstination à vouloir un enfant se résumant au remords de s'être fait avorter à vingt ans. C'est du moins ce qu'on a ressenti même si on convient que la mort de Sofia a déclenché une part de lucidité en ceux et celles gravitant autour d'Élisabeth. La grâce revient à son amie Sandrine : de l'Inde, elle lui expédie un livre qui l'apaisera. Sandrine, sorte de miroir reflétant Élisabeth, ne répétera pas les mêmes erreurs. Moins passive et surtout s'attardant à de lointains horizons, Sandrine tiendra compte de ce qui la diffère de son amie et bousculera les convenances établies.
Roman intimiste, féminin par excellence, qu'on a lu plaisamment en se disant une fois encore que la tendresse n'a d'égale que perçue sous la plume talentueuse d'écrivaines délicates, craignant heurter la sensibilité de lecteurs et lectrices. De cette fiction, chacun et chacune trouveront suffisamment de repères familiers pour se délecter d'une histoire — on devrait dire cinq — amorcée en filigrane. La vie, la mort, n'inspirent-elles pas des thèmes universels qui ont pour mission d'adoucir nos angoisses les plus imprévisibles ? De revenir à plus d'humilité quand un deuil envahit le bleu de notre ciel, l'assombrissant de nos fractures émotionnelles ? Comme les nuages...
Comme les nuages, Louise Gaudette
Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2017, 140 pages
Il suffit qu'une voix se mette en branle pour que les autres leur fassent écho. Dans ce récit, il y en a cinq qui se joindront au deuil d'Élisabeth, qui a perdu sa fille Sofia à la naissance. Deuil d'autant plus éprouvant qu'Élisabeth n'est plus très jeune pour mettre au monde un enfant. Elle n'en désirait pas, la fibre maternelle s'est éveillée en même temps que son amour pour Saul. Comment faire pour alléger une telle douleur et surtout ne pas se culpabiliser, ce que fera la narratrice, ayant subi un avortement à vingt ans. Professeur de taï-chi, elle quittera Montréal pour séjourner à Cape Cod. Fuir sa douleur consolidera son couple, croit-elle, qui, depuis la mort de l'enfant, est ébranlé sur ses bases solides et profondes. Saul, clarinettiste, part en tournée en Europe avec son groupe de klezmer. Il est chargé d'une étrange mission : son père, issu d'une famille juive décimée dans les camps, lui demandera en son nom de visiter Auchwitz. Poids du passé et du présent dans la vie de cet homme qui ne désire que retrouver son épouse, Élisabeth. À Cape Cod, celle-ci a loué un cottage appartenant au vieux Théo, qui, lui, ne se souvient que de sa femme et de sa fille, l'une morte d'un cancer, l'autre dans un accident de voiture. Reprenant ses cours de taï-chi, Élisabeth fera la connaissance de Clara, qui ne sait assumer le bonheur : trop dépendante des hommes qu'elle aime, elle les étouffe. Ancienne danseuse, passablement alcoolique, c'est à la suite d'une imprudence causée par l'alcool, qu'elle a dû mettre un terme à sa carrière prometteuse. Enfin, il y a Sandrine, amie d'enfance, qui, séjournant en Inde, écrit à Élisabeth des lettres reflétant, sans en avoir conscience, la personnalité de cette dernière. Elle jurait ne pas vouloir d'enfant, amoureuse, elle remet en question cette décision, portée autrefois par un esprit indépendant qu'elle dénie depuis sa rencontre avec Peter...
Ces cinq personnages prennent la parole à tour de rôle. Ils s'entrecroisent et nous dévoilent ce qui a été, avant de se complaire dans ce qui n'est plus, mais surtout dans un présent alourdi de relents culpabilisants. Après que le malheur a fait de nous des victimes ostentatoires, clamant à petites doses les folies insouciantes de la jeunesse, comme s'il était de bon ton d'ouvrir les yeux sur soi au moment où s'accomplit ce que nous pensons inéluctable. L'avenir est-il si différent du passé, semble se demander le vieux Théo, qui a eu le courage de renier son fils devenu « un bon à rien », rassuré qu'il est de ne pas savoir s'il est encore en vie. Sur fond de rengaine mélancolique de Leonard Cohen, la vie des uns et des autres évolue, rythmée parfois de fausses notes, toujours en douceur, la révolte s'avérant ici sournoise parce que intérieure. Nous souvenant des nouvelles de Louise Gaudette, Contre toute attente, on se rappelle les murmures et les grommellements plutôt que les lamentations et les cris...
Tout dans cette fiction se rapporte à l'actualité quotidienne, sevrée de faits divers que nous lisons avant de les soustraire à des événements plus graves. Les nuages s'amoncellent, il pleut des larmes, crissent des grincements de dents, il faut attendre des jours lumineux, déjà avivés sous la plume poétique de Louise Gaudette, autant discrète que ses protagonistes. Faut-il minimiser les deuils qui ne s'altèrent pas toujours de leur propre poids ? Au cours de notre lecture, Élisabeth nous a un peu agacée, son obstination à vouloir un enfant se résumant au remords de s'être fait avorter à vingt ans. C'est du moins ce qu'on a ressenti même si on convient que la mort de Sofia a déclenché une part de lucidité en ceux et celles gravitant autour d'Élisabeth. La grâce revient à son amie Sandrine : de l'Inde, elle lui expédie un livre qui l'apaisera. Sandrine, sorte de miroir reflétant Élisabeth, ne répétera pas les mêmes erreurs. Moins passive et surtout s'attardant à de lointains horizons, Sandrine tiendra compte de ce qui la diffère de son amie et bousculera les convenances établies.
Roman intimiste, féminin par excellence, qu'on a lu plaisamment en se disant une fois encore que la tendresse n'a d'égale que perçue sous la plume talentueuse d'écrivaines délicates, craignant heurter la sensibilité de lecteurs et lectrices. De cette fiction, chacun et chacune trouveront suffisamment de repères familiers pour se délecter d'une histoire — on devrait dire cinq — amorcée en filigrane. La vie, la mort, n'inspirent-elles pas des thèmes universels qui ont pour mission d'adoucir nos angoisses les plus imprévisibles ? De revenir à plus d'humilité quand un deuil envahit le bleu de notre ciel, l'assombrissant de nos fractures émotionnelles ? Comme les nuages...
Comme les nuages, Louise Gaudette
Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2017, 140 pages
Inscription à :
Articles (Atom)