On constate de plus en plus souvent que dans Facebook, émettre une opinion différente de la majorité des internautes, occasionne chez certaines personnes, des crises surprenantes d'agressivité. Alors que cette opinion ne concerne pas la personne qui se rebiffe. On a encore eu la preuve, il y a quelques jours, de ce manque de tolérance et de respect. On commente le roman de Chrystine Brouillet, Chambre 1002.
Avant tout, c'est un roman qui fait du bien. Il fête l'amitié, l'amour perdu et retrouvé. L'écrivaine, connue et reconnue, a l'art de narrer une histoire efficace, où hommes et femmes tiennent chacun et chacune leur place, sans déroger aux lois désintéressées de la générosité. Hélène Holcomb, chef cuisinière montréalaise d'un restaurant réputé, après avoir été récompensée d'un important prix culinaire à New York, s'en revient à Montréal en voiture. Il fait nuit et le retour ne se passe pas comme prévu. À quelques kilomètres de son chalet, sa voiture emboutit un arbre. Un coma de plusieurs mois s'ensuivra, incitant plusieurs de ses amies proches à chercher une solution pour qu'elle revienne à la vie.
Ce temps inconscient pour Hélène donnera l'occasion au lecteur de faire la connaissance d'hommes et de femmes, eux aussi plongés dans des situations ambivalentes. Les amies sont des professionnelles, mariées ou en couple. Des quarantenaires et au-delà. Plus loin, renforçant l'action, des souvenirs de l'enfance se déploient, qui ont influencé, sinon déterminé, la démarche personnelle de ces femmes. D'ordre privé ou professionnel. Nous apprendrons que Hélène a pris en main Julius Rancourt, le fils de sa sœur, celle-ci s'est noyée quelques mois plus tôt. Julius, bientôt trentenaire, est un oisif qui ne vit que pour l'argent et ses plaisirs, empêtré dans des histoires louches. Au fur et à mesure que l'histoire avance, nous saurons que Julius souhaite la mort de sa tante. C'est là l'originalité de ce roman que de mettre en évidence le visage de l'assassin supposé de sa parente. Récit tout en douceur féminine, tout en complicité entre les amies d'Hélène, qui se nouera avec les infirmières. Les plus retors du personnel médical céderont à la magnanimité de ces femmes, animant de leur vaillance l'aile où repose Hélène. C'est un va-et-vient bourdonnant qui nous entraine dans l'univers des clowns pour enfants malades, dans celui particulier d'un homme qui se dévoue pour eux. Dans l'amitié qui se crée entre un locataire vieillissant, ancien cuisinier, qui a perdu l'odorat, et son jeune voisin de palier qui élève passionnément des abeilles. Rien n'est jamais inutile dans ce récit aux abords festifs, entrecoupé de recettes de cuisine, posées là, tels des marque-pages désignant un chapitre. Ici, ce sont les journées et les nuits agrémentées de saveurs culinaires qui jouent le rôle de chapitres sans qu'Hélène se réveille.
Pendant ce brouhaha où chacun et chacune justifie le pourquoi de son amitié indéfectible pour Hélène Holcomb, les enquêteurs travaillent à éclaircir le mystère de ce drame, la victime n'ayant aucun ennemis connus. Là encore, une solidarité s'établira entre les infirmières, entre les femmes qui se relaient au chevet de leur amie. Un des enquêteurs tombera sous le charme de l'une de ces femmes pour le meilleur de son avenir. Profitant de l'échec des « filles » pour ramener sa tante à la vie, Julius dévoile sa sombre personnalité, les enquêteurs le soupçonnant de bien des maux envers autrui. Un indice laisse entendre qu'il ne serait pas innocent à la noyade de sa mère. Ceci n'est pas dit vraiment mais insinué entre les lignes. Peu à peu, Julius s'engluera dans sa propre toile qu'il a tissée, ignorant que toutes ses manigances criminelles le mèneront à sa perdition. La grande surprise du livre est le parcours de jeunesse d'Hélène Holcomb, l'imagination de l'écrivaine débordant d'inventivité. De la même manière que les amies d'Hélène trouveront une idée ingénieuse pour qu'elle renaisse lentement à la vie.
Roman réjouissant malgré les aléas de personnages dressés par Chrystine Brouillet. C'est un hymne à la vie, comme elle sait si bien le chanter dans son œuvre prolifique. Une histoire à lire sans restriction modérée. Ni saison privilégiée. Le lecteur doit se laisser emporter par le triomphe de l'amitié et de l'amour. Tant pis si pour une fois, on a cédé à la complaisance d'une justice bon enfant : les méchants sont punis, les empathiques sont récompensés. On a aimé cette chambre où malgré l'ombre de la mort omniprésente, la vie et ses grands sentiments se sont montrés plus forts que la rancœur. Et que la haine.
Chambre 1002, Chrystine Brouillet
Collection « Reliefs »
Éditions Druide, Montréal, 2018, 346 pages