On aime la pluie de début d'automne. Ciel métallique. On rêve de nuages qui déverseraient des orages de livres. Tonnerre de mots, éclairs de mots. On privilégie les livres vigoureux, on exècre les livres à l'eau de rose ! Toutefois, on recommande ceux-ci aux lecteurs et lectrices qui font leurs premiers pas sur l'herbe tendre de la lecture. Peu à peu, le rose s'enrichira de teintes plus vivifiantes. On s'attarde sur le roman d'André Vanasse, La flûte de Rafi.
Encouragé par sa grand-mère Rebeka, le 18 avril 1626, s'enfuit de chez ses parents, juifs ashkénazes, habitant Cracovie, Pawel Szojchet. Il a dix-huit ans et ne veut pas devenir un boucher rituel. Il déteste tuer les bêtes. Au port, l'attend le capitaine Elimeleh qui, sur son chaland, le mènera à Varsovie. Après une traversée de vingt jours, séjournant à Kuzmir, Elimeleh apprendra au jeune homme les habiletés et ruses du commerce. Pour la première fois, Pawel trahira honteusement son patronyme. Il s'appellera Pawel Hase. Le lièvre, surnom de Joseph. Seize jours plus tard, débarquant à Varsovie, Élimeleh lui conseillera d'aller vers l'Allemagne. À Hambourg, la communauté juive y est bien accueillie. La chance lui souriant, un navire marchand doit mettre le cap sur Hambourg. Le capitaine, Cristoval Nunès, juif séfarade, avisera Pawel de l'oppression des Juifs au XVIIe siècle. Plus tard, il vivra une passion avec une Cracovienne, Margalit Hirsch, trente ans, patronne de la pension où il résidera. Passion partagée qui poursuivra Pawel sa vie durant. Margalit détient aussi une parfumerie-herboristerie qui nous vaudra des pages succulentes sur la fabrication et composition des parfums. Décidé à s'installer à Hambourg, Pawel prendra des cours de hollandais avec Esther, une fillette de dix ans. Elle est la fille d'un marchand juif d'Amsterdam venu s'établir à Hambourg. Les projets de Pawel seront bouleversés par un drame fortuit. En plein hiver, un incendie détruira l'appartement des parents d'Esther. Elle perdra sa famille, sa sœur et son frère. Pawel sauvera la jeune fille, qui lui vouera un amour insensé sur lequel il fermera les yeux lorsqu'il deviendra son tuteur. Ils vivront ensemble dans un appartement déniché par le rabbin. Margalit, qu'il rencontre en cachette, rompra avec Pawel parce que trop attaché à lui. Influencé par Esther, peiné de la décision de sa maîtresse, il acceptera de demeurer à Amsterdam. Il y fera la connaissance de la parenté d'Esther, Hana et Orobio Alvarès, qui lui confirmeront la libéralité de la ville envers les Juifs, même si quelques ombres obscurcissent ce paysage idyllique. Son avenir étant incertain, Pawel fréquentera l'atelier d'art d'Hendrick van Uylemburgh, où il apprendra à déchiffrer les tableaux. Entre les deux hommes naîtra une sympathie naturelle. Nous quittons la vie quotidienne pour entrer dans le monde fascinant des peintres de l'époque que Pawel — lui-même excellent peintre — côtoiera quand il rentrera au service de van Uylemburgh. Semblables à Pawel, nous sommes ébranlés par l'apparition de peintres dont les œuvres ont traversé plusieurs siècles. Hendrick Avercamp, Pieter Lastman, et d'autres. On ne peut citer tous les artistes arpentant la galerie et l'école-atelier que fréquentera Rembrandt. En 1638, van Uylemburgh enverra Pawel en Europe à la recherche d'œuvres nouvelles. Après bien des drames sordides, il se fixera à Rouen, ville inhospitalière aux Juifs. Pawel devra masquer son appartenance religieuse, franciser son nom. Il deviendra Paul Vanas.
Ce long préambule, riche en événements socio-culturels, que l'on dépeint brièvement, n'offre qu'un avant-goût du destin hors du commun de Paul Vanas. Marié par devoir à Barbe Montel, fille de feu Jacob Montel, collectionneur, juif converti au catholicisme, il aura un fils, François, qui, après l'assassinat ignoble de ses parents, devra fuir en Nouvelle-France. Mais la flûte de Rafi ? Son fils étant doué pour la musique, Pawel lui fera donner des cours de flûte traversière, flûte fabriquée par le fleustier lyonnais Claude Rafi au XVIe siècle. Elle a ceci de particulier qu'elle est composée de deux morceaux. François ne se séparera jamais de l'instrument. Antidote lénitif à la longue et pénible traversée jusqu'en terre d'Amérique. Des soirées hivernales, des cérémonies religieuses aux Trois-Rivières devront beaucoup aux compositions et ritournelles du musicien. À sa flûte, François, époux de Jeanne Fourrier, père de onze enfants, propriétaire d'une ferme, confiera sa jeunesse heureuse avec ses parents, le souvenir attendrissant d'une adolescente, Ruth, aimée durant quelques semaines. Margalit, Esther, mystères féminins effleurés dans la vie de son père. Rebeka, la grand-mère qui avait failli quitter un époux attentionné pour un amour d'un soir. Sa vie accomplie durement, François Vanas sera enterré dignement avec sa flûte.
On laisse au lecteur le bonheur de découvrir ce dense et captivant et sensuel roman. On ne s'est pas attardée en Nouvelle-France par crainte de nous répéter. Là encore, le lecteur y trouvera son compte. Le périple bouleversant de Pawel et de François nous a semblé nécessaire pour nous faire découvrir la tragédie des Juifs au long des siècles. Deux hommes qui ont dû composer avec la stupidité bornée de leur époque. Récit fictif, qui a permis à André Vanasse de mettre au jour certains points — obscurs ? — de ses ascendances, ce que nous lisons avec curiosité dans son épilogue fort détaillé. On souhaite que son roman suscite un regard neuf et tolérant sur les premiers arrivants en Nouvelle-France. Déchirer l'image erronée d'hommes et de femmes, surtout d'hommes, débarquant avec grande âme dans un pays rébarbatif, où tout était à faire. En accord avec l'écrivain, on aime que l'éventail de nouveaux pionniers soit élargi. Même si ces Juifs pestiférés ne purent choisir leur terre d'accueil, au moins en celle-ci ont-ils pu y trouver quelque paix, à l'abri de discriminations humiliantes.
Roman-témoignage que nous devons lire, pour essayer de nous convaincre qu'au fond de nous, nous sommes tous juifs.
La flûte de Rafi, André Vanasse
XYZ éditeur, Montréal, 2013, 318 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 30 septembre 2013
lundi 23 septembre 2013
Les vertiges underground *** 1/2
Fréquentant les galeries d'art, on a découvert une artiste peintre merveilleusement douée. Des aquarelles, des gouaches. Luminosité et savant dosage de tons pastel et mordorés créent une impression de perspective inégalée. Des bords de mer, des bords de routes, de sentiers, de forêts, tels des mondes extrêmes où pénétrer. L'âge certain de cette Montréalaise lui confère une expérience picturale qu'elle ne trahit jamais. En cette fin d'été, on parle du numéro 115 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.
Annonçons d'abord le thème, « Trou ». Il rassemblera dix nouvelliers, des jeunes et moins jeunes, expérimentés dans l'art de la nouvelle. De la naissance à la mort, ne sommes-nous pas les proies d'orifices, en nous, autour de nous, humains et objets, sur lesquels nous nous agrippons ? Événements imprévisibles qui nous précipitent dans un néant lacunaire selon la gravité des blessures. Comment s'en relever, sinon dépeindre la faillite de nos propres cavités en compagnie d'écrivains qui nous racontent tendrement ou plus durement l'expérience de personnages de papier. Épinglés à l'imaginaire fictif, à la réalité inévitable, n'importe, les dires de chacun d'eux nous ayant sollicitée. Deux petits trous vus par Jean-Paul Beaumier, narrent l'appréhension d'une fillette qui va se faire percer les oreilles. Son père écoute ses craintes, se demandant pourquoi Léa n'évoque jamais sa mère « endormie pour toujours », refuse d'en parler. Deux petits trous évocateurs qui rejoignent Le petit, « tout près de la musique », court texte pathétique signé Benoit Cayer. Plusieurs enfants interviennent dans ces trous vertigineux, leur émergence soulage la mémoire défaillante parentale, comme dans la nouvelle d'Anne-Marie Teysseire, Ils étaient trois petits enfants. Une mère qui, le matin en se réveillant, ne sait plus ce qu'elle a fait de ses bambins. Ont-ils seulement existé ces trois enfants de papier ? Il y a aussi Le cercle d'Hélène Fafard qui donne la parole à une mère épuisée par la débilité de son fils de vingt ans. Ne pouvant compter sur la responsabilité du père, elle décide de franchir la ligne de son propre cercle infernal. Cicatrice au cœur et au ventre. Mais la nouvelle qui arrache les entrailles est celle de Maude Poissant, La chair. Frédo et Béa, détestés de leurs parents ivrognes et débiles, isolés dans une cabane immonde, profitent d'une ultime occasion pour s'enfuir à cheval au-delà de la forêt ; ils espèrent que les chasseurs viennent à leur secours. Nouvelle bouleversante où chaque mot dépeint la situation désespérée du frère et de la sœur, celle-ci handicapée. Le trou dans lequel ils vivent, le trou insatiable de leur espoir enfantin les font déguerpir vers un trou encore plus profond, plus animal. Que valent humains et loups au fond d'un tel gouffre de décrépitude ? L'auteure nous répond. « Le sang appelle toujours le sang. »
Au hasard, on a choisi quelques textes éloignés des avatars douloureux de l'enfance. On a souri au trou du tapis de Normand de Bellefeuille. Trou qui lui échappe comme nous échappent les objets à qui nous ne prêtons nulle attention. Le narrateur a beau se questionner, il ne comprend pas la rupture entre l'objet et lui. Constatant que la déchirure s'agrandit, il n'a plus qu'à attendre « le plus calmement possible. » Fable surréaliste empreinte d'un humour angoissant, effleurement de notre regard sur les choses que nous jugeons insignifiantes. Une dent creuse d'Annie Perreault s'annonce dans la même veine, bien qu'il s'agisse ici d'un quartier. Où ne conduit pas la brisure d'une théière sinon à « une trace, une laideur, quelque chose comme une cicatrice [ ... ] » ? On a savouré cette petite dérive nostalgique. Les heures d'ensoleillement dénombrées par Camille Deslauriers, nous ont charmée. La théière fait place, avec plus de réalisme, à un jardin à cultiver. La narratrice, enseignante, se reproche de ne pas trouver suffisamment de temps pour « sortir le vendredi » avec son amant, faire l'enfant dont il rêve. Réflexions existentielles surgies parmi les hésitations de semences printanières.
Si deux ou trois nouvelles se sont esquivées, question de sensibilité, il ne fait aucun doute que ce dernier numéro est une réussite. Orchestré par Jean-Sébastien Lemieux, nouvellier lui-même, on ne peut que le féliciter de cette périlleuse entreprise. Il n'est pas simple de combler les trous sans risquer d'y tomber sans dommage.
On souligne la qualité littéraire et l'originalité frémissante de la nouvelle de Johanne Renaud, Judith, lauréate du vingt-troisième concours de nouvelles d'XYZ. La revue de la nouvelle.
Revue XYZ. La revue de la nouvelle
numéro 115, piloté par Jean-Sébastien Lemieux
Lévesque éditeur, Montréal, 2013, 102 pages.
Annonçons d'abord le thème, « Trou ». Il rassemblera dix nouvelliers, des jeunes et moins jeunes, expérimentés dans l'art de la nouvelle. De la naissance à la mort, ne sommes-nous pas les proies d'orifices, en nous, autour de nous, humains et objets, sur lesquels nous nous agrippons ? Événements imprévisibles qui nous précipitent dans un néant lacunaire selon la gravité des blessures. Comment s'en relever, sinon dépeindre la faillite de nos propres cavités en compagnie d'écrivains qui nous racontent tendrement ou plus durement l'expérience de personnages de papier. Épinglés à l'imaginaire fictif, à la réalité inévitable, n'importe, les dires de chacun d'eux nous ayant sollicitée. Deux petits trous vus par Jean-Paul Beaumier, narrent l'appréhension d'une fillette qui va se faire percer les oreilles. Son père écoute ses craintes, se demandant pourquoi Léa n'évoque jamais sa mère « endormie pour toujours », refuse d'en parler. Deux petits trous évocateurs qui rejoignent Le petit, « tout près de la musique », court texte pathétique signé Benoit Cayer. Plusieurs enfants interviennent dans ces trous vertigineux, leur émergence soulage la mémoire défaillante parentale, comme dans la nouvelle d'Anne-Marie Teysseire, Ils étaient trois petits enfants. Une mère qui, le matin en se réveillant, ne sait plus ce qu'elle a fait de ses bambins. Ont-ils seulement existé ces trois enfants de papier ? Il y a aussi Le cercle d'Hélène Fafard qui donne la parole à une mère épuisée par la débilité de son fils de vingt ans. Ne pouvant compter sur la responsabilité du père, elle décide de franchir la ligne de son propre cercle infernal. Cicatrice au cœur et au ventre. Mais la nouvelle qui arrache les entrailles est celle de Maude Poissant, La chair. Frédo et Béa, détestés de leurs parents ivrognes et débiles, isolés dans une cabane immonde, profitent d'une ultime occasion pour s'enfuir à cheval au-delà de la forêt ; ils espèrent que les chasseurs viennent à leur secours. Nouvelle bouleversante où chaque mot dépeint la situation désespérée du frère et de la sœur, celle-ci handicapée. Le trou dans lequel ils vivent, le trou insatiable de leur espoir enfantin les font déguerpir vers un trou encore plus profond, plus animal. Que valent humains et loups au fond d'un tel gouffre de décrépitude ? L'auteure nous répond. « Le sang appelle toujours le sang. »
Au hasard, on a choisi quelques textes éloignés des avatars douloureux de l'enfance. On a souri au trou du tapis de Normand de Bellefeuille. Trou qui lui échappe comme nous échappent les objets à qui nous ne prêtons nulle attention. Le narrateur a beau se questionner, il ne comprend pas la rupture entre l'objet et lui. Constatant que la déchirure s'agrandit, il n'a plus qu'à attendre « le plus calmement possible. » Fable surréaliste empreinte d'un humour angoissant, effleurement de notre regard sur les choses que nous jugeons insignifiantes. Une dent creuse d'Annie Perreault s'annonce dans la même veine, bien qu'il s'agisse ici d'un quartier. Où ne conduit pas la brisure d'une théière sinon à « une trace, une laideur, quelque chose comme une cicatrice [ ... ] » ? On a savouré cette petite dérive nostalgique. Les heures d'ensoleillement dénombrées par Camille Deslauriers, nous ont charmée. La théière fait place, avec plus de réalisme, à un jardin à cultiver. La narratrice, enseignante, se reproche de ne pas trouver suffisamment de temps pour « sortir le vendredi » avec son amant, faire l'enfant dont il rêve. Réflexions existentielles surgies parmi les hésitations de semences printanières.
Si deux ou trois nouvelles se sont esquivées, question de sensibilité, il ne fait aucun doute que ce dernier numéro est une réussite. Orchestré par Jean-Sébastien Lemieux, nouvellier lui-même, on ne peut que le féliciter de cette périlleuse entreprise. Il n'est pas simple de combler les trous sans risquer d'y tomber sans dommage.
On souligne la qualité littéraire et l'originalité frémissante de la nouvelle de Johanne Renaud, Judith, lauréate du vingt-troisième concours de nouvelles d'XYZ. La revue de la nouvelle.
Revue XYZ. La revue de la nouvelle
numéro 115, piloté par Jean-Sébastien Lemieux
Lévesque éditeur, Montréal, 2013, 102 pages.
lundi 9 septembre 2013
Détour vers la mère ***
Jeudi dernier, nous avons rendu hommage aux pionnières du début du vingtième siècle, qui, à Paris, ont ouvert la voie à la littérature moderne, à la poésie. Elles étaient françaises, anglaises, américaines. On protégera leur anonymat de crainte que des extraits de leurs œuvres ne soient réduits en d'insipides citations. On respecte le repos éternel de ces novatrices. On se penche sur le premier roman de Julia Pawlowicz, Retour d'outre-mer.
Nous sommes en été dans le Maine. Maria et Tomek, sœur et frère, se retrouvent dans le chalet familial, essayant de faire le deuil de leur père, mort récemment. Peu de paroles sont échangées, les gestes machinaux les remplacent. Maria se plaît dans l'introspection, Tomek suit le cours d'une jeunesse sans éclat, ne la remettant pas en question. Constamment à l'affût l'un de l'autre, chacun se souvient à sa manière, leur enfance s'avérant tellement différente. Maria conjugue le présent au passé, les moindres détails ouvrent des perspectives sur des événements, qu'à force de disséquer, elle soumet à un déploiement parfois erroné de la mémoire.
Le passé de Maria, c'est, à trois ans, l'exil de ses parents polonais en Algérie sous protectorat français, la grisaille politique de Varsovie les inquiétant. Ils y vivront cinq ans, attendant de partir vers le Canada. Le père, Zbigniew, s'intègre, courageux, à sa nouvelle existence, alors que la mère, Ewa, essaie par à-coups de reconstituer la vie mondaine qu'elle a connue jeune fille, son père ayant été diplomate. Ils sont pauvres, surprennent les coopérants qui s'intéressent si peu à une culture éloignée de la leur, quelle qu'elle soit. Puis, leur sort s'améliore, Ewa obtient un poste de professeure de biologie à Tizi-Ouzou, Zbigniew apprend l'arabe et le français. Années heureuses pour le père et sa fille. Temps « caniculaire et épuisant, mais entier. » Plus tard, ce sera le Canada, le Québec, Pointe-aux-Trembles, l'improbable voyage d'Ewa, perdue en permanence entre rêve et réalité. À la suite d'une injuste et cruelle réflexion adressée à Zbigniew, qui se rebiffera, elle les abandonnera tous les trois, Tomek n'étant qu'un tout petit enfant. Il n'aura connu des voyages que les rives du Saint-Laurent, la Pologne et l'Algérie se percevant, telles des images floues, embellies des réminiscences endolories de sa sœur.
Le passé, c'est aussi le premier amant, Chuck, qui surgit brusquement dans le présent. Ils ne se sont pas revus depuis plusieurs années, mais tout est demeuré intact en Maria. Fantasme qui lui assènera « un coup de massue » : devant le chalet se tiennent Chuck, sa femme et leurs deux petits enfants. Le jeune homme est le fils de John qui avait décidé de s'établir loin de toute trace de civilisation, au bord d'un lac qui lui « appartiendrait à lui tout seul. » Le Crystal Lake. Secouée violemment, Maria succombe à de troublants attraits : ceux de sa mère quand, petite fille, celle-ci voulait qu'elle soit parfaite. À ceux de Chuck, quand à Chicago, durant une nuit démente, elle entraînera son amant dans un délire sexuel, consciente qu'elle le rencontre une dernière fois. Maria, bousculée par d'exutoires mensonges, qui ne sont pas sans rappeler les cris colériques de sa mère, affronte ses contrevérités pour mieux laisser de côté les affluences mentales désordonnées. Les vaincre aussi quand elles court-circuitent son imaginaire enfiévré par l'angoisse. D'où ses constantes déceptions, son idéalisation des êtres et des lieux la poursuivant hors de tout doute, comme pour se rassurer sur ses capacités à aimer. Une nuit, n'enverra-t-elle pas un message à une tante polonaise, lui demandant ce qu'est devenue Ewa ? Lui ayant créé des rôles plus ou moins plausibles, la réponse sera amère mais combien salvatrice. Nous nous rendons compte qu'Ewa et Maria se ressemblent, que leurs rêves d'apaisement ont été outragés par trop de perfectibles incompréhensions.
Premier roman nostalgique, que l'auteure, Julia Pawlowicz, divise en plusieurs parties, chacune consacrée à un être qui a échappé à la compassion de Maria. Peut-être par trop de repliement sur elle-même, entravée d'une illusoire liberté. Les lieux, les paysages, ciselés du regard incisif ou tendre de la narratrice, ont fait que son père, sa mère, son frère lui ont glissé entre les doigts, se distanciant ainsi de ce qu'ils étaient vraiment. Ses parents trouveront grâce, parvenus enfin au bout du silence. Zbigniew dans la mort, Ewa dans la vieillesse. Tomek a choisi la forêt pour y travailler. Méditative réflexion sur le vagabondage fluctuant du temps, sur les circonstances qui font de nous d'éternels migrateurs.
Roman où les sentiments passionnels, les bruits, les odeurs, les couleurs évoqués affleurent, invitant le lecteur à interrompre quelque parole aléatoire pour mieux s'imprégner du discours exigeant d'une auteure, qu'on a découverte un peu par hasard...
Retour d'outre-mer, Julia Pawlowicz
Éditions Triptyque, Montréal, 2013, 170 pages.
Nous sommes en été dans le Maine. Maria et Tomek, sœur et frère, se retrouvent dans le chalet familial, essayant de faire le deuil de leur père, mort récemment. Peu de paroles sont échangées, les gestes machinaux les remplacent. Maria se plaît dans l'introspection, Tomek suit le cours d'une jeunesse sans éclat, ne la remettant pas en question. Constamment à l'affût l'un de l'autre, chacun se souvient à sa manière, leur enfance s'avérant tellement différente. Maria conjugue le présent au passé, les moindres détails ouvrent des perspectives sur des événements, qu'à force de disséquer, elle soumet à un déploiement parfois erroné de la mémoire.
Le passé de Maria, c'est, à trois ans, l'exil de ses parents polonais en Algérie sous protectorat français, la grisaille politique de Varsovie les inquiétant. Ils y vivront cinq ans, attendant de partir vers le Canada. Le père, Zbigniew, s'intègre, courageux, à sa nouvelle existence, alors que la mère, Ewa, essaie par à-coups de reconstituer la vie mondaine qu'elle a connue jeune fille, son père ayant été diplomate. Ils sont pauvres, surprennent les coopérants qui s'intéressent si peu à une culture éloignée de la leur, quelle qu'elle soit. Puis, leur sort s'améliore, Ewa obtient un poste de professeure de biologie à Tizi-Ouzou, Zbigniew apprend l'arabe et le français. Années heureuses pour le père et sa fille. Temps « caniculaire et épuisant, mais entier. » Plus tard, ce sera le Canada, le Québec, Pointe-aux-Trembles, l'improbable voyage d'Ewa, perdue en permanence entre rêve et réalité. À la suite d'une injuste et cruelle réflexion adressée à Zbigniew, qui se rebiffera, elle les abandonnera tous les trois, Tomek n'étant qu'un tout petit enfant. Il n'aura connu des voyages que les rives du Saint-Laurent, la Pologne et l'Algérie se percevant, telles des images floues, embellies des réminiscences endolories de sa sœur.
Le passé, c'est aussi le premier amant, Chuck, qui surgit brusquement dans le présent. Ils ne se sont pas revus depuis plusieurs années, mais tout est demeuré intact en Maria. Fantasme qui lui assènera « un coup de massue » : devant le chalet se tiennent Chuck, sa femme et leurs deux petits enfants. Le jeune homme est le fils de John qui avait décidé de s'établir loin de toute trace de civilisation, au bord d'un lac qui lui « appartiendrait à lui tout seul. » Le Crystal Lake. Secouée violemment, Maria succombe à de troublants attraits : ceux de sa mère quand, petite fille, celle-ci voulait qu'elle soit parfaite. À ceux de Chuck, quand à Chicago, durant une nuit démente, elle entraînera son amant dans un délire sexuel, consciente qu'elle le rencontre une dernière fois. Maria, bousculée par d'exutoires mensonges, qui ne sont pas sans rappeler les cris colériques de sa mère, affronte ses contrevérités pour mieux laisser de côté les affluences mentales désordonnées. Les vaincre aussi quand elles court-circuitent son imaginaire enfiévré par l'angoisse. D'où ses constantes déceptions, son idéalisation des êtres et des lieux la poursuivant hors de tout doute, comme pour se rassurer sur ses capacités à aimer. Une nuit, n'enverra-t-elle pas un message à une tante polonaise, lui demandant ce qu'est devenue Ewa ? Lui ayant créé des rôles plus ou moins plausibles, la réponse sera amère mais combien salvatrice. Nous nous rendons compte qu'Ewa et Maria se ressemblent, que leurs rêves d'apaisement ont été outragés par trop de perfectibles incompréhensions.
Premier roman nostalgique, que l'auteure, Julia Pawlowicz, divise en plusieurs parties, chacune consacrée à un être qui a échappé à la compassion de Maria. Peut-être par trop de repliement sur elle-même, entravée d'une illusoire liberté. Les lieux, les paysages, ciselés du regard incisif ou tendre de la narratrice, ont fait que son père, sa mère, son frère lui ont glissé entre les doigts, se distanciant ainsi de ce qu'ils étaient vraiment. Ses parents trouveront grâce, parvenus enfin au bout du silence. Zbigniew dans la mort, Ewa dans la vieillesse. Tomek a choisi la forêt pour y travailler. Méditative réflexion sur le vagabondage fluctuant du temps, sur les circonstances qui font de nous d'éternels migrateurs.
Roman où les sentiments passionnels, les bruits, les odeurs, les couleurs évoqués affleurent, invitant le lecteur à interrompre quelque parole aléatoire pour mieux s'imprégner du discours exigeant d'une auteure, qu'on a découverte un peu par hasard...
Retour d'outre-mer, Julia Pawlowicz
Éditions Triptyque, Montréal, 2013, 170 pages.
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