Il serait bien de se dire qu'à notre époque désordonnée, les saisons s'imbriquent les unes dans les autres. Elles ne détiennent plus la certitude que les habits printaniers des enfants sont un point de repère. Nous devons accepter le fait que le ciel, qui devrait être bleu, se mêle aux nuages, comme une simple métaphore de la vie qui se déboussole, elle aussi. Cette brève nous ramène, sans y toucher, aux saisons délimitées de notre jeunesse. On a lu le roman de Diane Vincent, Jeux d'été.
S'il est rare qu'on mentionne ici l'apport distrayant d'une aventure policière, il est toujours plaisant de retrouver le sergent-détective Vincent Bastianello, accompagné de sa fidèle amie, la massothérapeute Josette Marchand, dans une de leurs équipées abracadabrantes. Cette fois, le duo s'est enrichi de la présence d'une jeune femme thaïlandaise, Chana Sombat, adoptée par Josette Marchand lors d'une aventure précédente. Elle est mariée à un squatteur québécois, Kevin, après qu'il lui a sauvé la vie avec quelques-uns de ses amis. Parents d'une enfant de huit mois, qui fait le bonheur de Josette et de l'inspecteur. Dorénavant, ce dernier partage l'appartement de Josette, laissant deviner une entente amoureuse, simplement annotée dans ces nouvelles tribulations menées tambour battant, tant par les protagonistes que par l'auteure.
Le récit s'ouvre sur un animateur d'une radio montréalaise qui annonce à son public qu'un crime sordide a été commis en plein cœur du Plateau Mont-Royal. Ce que confirmeront nos deux compères quand Josette, la narratrice, s'offusquera de la sauvagerie du meurtre. Une jeune violoniste française, de passage au Québec pour donner quelques concerts, a été égorgée, défigurée, dans le parc Baldwin au début de la soirée, en rentrant à l'hôtel où elle résidait. Des lambeaux de chair ont été savamment découpés à plusieurs endroits de son corps. Le mystère demeure entier mais nous nous doutons que Josette Marchand mettra son grain de sel curieux dans ce crime ignoble, qu'elle secondera son ami l'inspecteur dans ses recherches. Une fois l'identité dévoilée de la violoniste, Sara Landrieau, et sa famille avertie, les deux s'envoleront vers la France poursuivre leur enquête. Nous apprendrons que Sara était d'origine juive, ce qu'elle semblait ignorer. Ayant découvert une photo de sa grand-mère maternelle, rescapée des camps de concentration, elle s'était fait tatouer un numéro sur son avant-bras gauche pour lui rendre hommage. À quoi correspondait ce nombre, soigneusement découpé par l'assassin ? Sara s'était affiliée à un groupe de musiciens spécialisé dans la musique klezmer, musique traditionnelle d'inspiration d'Europe de l'Est, Sara peu tentée par un parcours musical plus conventionnel, plus classique.
De retour au Québec, de nouveaux personnages interviendront au cours de l'enquête. Un mystérieux luthier à qui Sara avait confié son violon pour en ajuster le son et Frank Cachoud, tatoueur aux apparences bien intentionnées. Deux jeunes hommes, l'un en France, l'autre au Québec, soupirants de la violoniste, reconnue comme une femme tout entière dévouée à la musique. Mais ce seront surtout Chana Sombat et son conjoint, Kevin, qui se montreront d'une grande efficacité pour dénouer bien des intrigues perverses, au risque de se retrouver à leur tour à la morgue. Milieu des tatoueurs peu engageant, milieu des mouvements d'extrême droite au Québec. L'homme qui a méthodiquement assassiné Sara Landrieau, individu déséquilibré, influencé par de constants propos haineux, des idées néonazies, que nous lisons entre les chapitres, par des théories racistes extrêmes, des discours violents, ne pouvait assouvir ses instincts meurtriers que dans un crime odieux. Seul indice qui l'identifie : une tache rouge sur une tempe. Cette réflexion discrète, projetée par l'écrivaine, symboliquement représentée par des êtres sans scrupules, souvent en filigrane, laisse une place primordiale aux agissements de l'inspecteur et de la massothérapeute. À leur complicité, aux sentiments qui les unissent, se faisant spectateurs impuissants puis redresseurs de torts acharnés contre le mal personnifié par des hommes liés aux maillons d'une chaine infernale. Jeux d'été, concours organisé par un groupe suspect, illustrant la sottise humaine, auquel Kevin, officieusement recruté par Vincent Bastianello, prendra part pour mieux en découvrir la banalité dangereuse. Jeu qui créera une telle confusion complexifiée sur l'équilibre mental du meurtrier qu'il ne manquera pas de se trahir. Cependant, sur le point de cerner le psychopathe, Vincent et Josette ont oublié que Chana, conjointe de Kevin, porte elle aussi, griffé sur la nuque, un tatouage qui pourrait intéresser le criminel sadique de Sara Landrieau...
Fiction intelligente, palpitante, scénario habilement monté, confirme notre plaisir inlassable à suivre l'inspecteur Vincent Bastianello et la massothérapeute Josette Marchand dans les intrigues que l'auteure, Diane Vincent, leur fait traverser sous des apparences de personnes ordinaires. Qui dénoncent l'imbroglio politico-social de notre société, en même temps que des sentiments humains les vulnérabilisent. Deux êtres faillibles mais aussi deux justiciers qui se relayent au chevet abimé de leurs semblables. C'est peut-être une goutte d'eau dans un océan humain, des groupes underground prenant pour cibles les plus démunis, les attirant dans des cercles corrompus où la sortie se révèle inexistante. On redemande de ces livres où d'invincibles Thésée pourchassent d'invisibles minotaures pour mieux briser la Bête en eux...
Jeux d'été, Diane Vincent
Éditions Triptyque, Montréal, 2021, 288 pages