Premier recueil de nouvelles publié aux Éditions de la Grenouille bleue, qui ont vu le jour au début de 2009. On se réjouit qu'un lieu inédit se consacre aux livres. Qu'un éditeur ait le courage d'affronter des temps difficiles pour publier des œuvres elles aussi inédites ! Pour saluer l'entrée de cette maison dans le milieu établi de l'édition, on a choisi de parler des histoires de Dany Tremblay, Tous les chemins mènent à l'ombre.
Divisées en six parties, vingt-quatre nouvelles grinçantes et cruelles nous sont proposées par l'auteure : du commencement du jour à la nuit terrestre, alors que les deux dernières nous emportent ailleurs. « Autres espaces-temps » où deux enfants tentent de défendre un monde familier en train de leur échapper, l'un submergé par la mer, l'autre envahi par les touristes... Interprétation personnelle, les deux histoires ouvrant diverses avenues où l'eau joue un rôle primordial. Plus proches de nous des femmes se racontent, livrant au lecteur un moment fatidique de leur existence. Souvent tributaires d'un faux pas qui les a précipitées dans une zone ombrée, comme enterrées vivantes dans une fosse qu'elles creusent de leurs mains malhabiles. Femmes terriblement lucides, offertes aux circonstances outrageantes ; ce sont des victimes en proie à des démons inaptes à soutenir la lumière. Quelques hommes interviennent, dont le destin varie peu de celui de leurs consœurs. L'un d'eux sera réduit à un personnage de papier, dévoré par l'amour qu'il éprouve pour une femme. Autrui se trouvera prisonnier du chantage exercé par son amoureuse enfermée dans une chambre d'hôpital. De graves malentendus opposent les uns et les autres. Des hommes violent, assassinent. Des femmes se vengent de la brutalité de leur compagnon ; elles voient rouge, couleur du sang dans des draps. Certaines que gouvernent de sombres idées se résignent à l'étroitesse que fomente la vie, percluses dans un univers où seuls d'infimes regards s'échangent, se confondent, parfois se comprennent mal.
Parmi les histoires qui nous ont le plus touchée, nommons Bessi Beque, Accessoire, La fille d'Annie, Fêlure. Elles ont en commun une idée de meurtre que les protagonistes essaieront de repousser en continuant d'exister, et de vivre, comme si de rien n'était. De ce point de vue, Fêlure donne le frisson. La nouvelle Au bord de la fenêtre ravive les souvenirs d'une fillette traumatisée par « les visites de l'homme dans sa chambre » ; nulle porte de sortie sauf celle d'un placard se bouclant de l'intérieur. Une nouvelle barbare, Par deux fois, nous met en face d'un enfant qui, malgré lui, a massacré un écureuil et des chatons. L'homme qu'il est devenu se remémore les faits répugnants au chevet de son père mourant. Un récit sous-titré Variations sur le même thème nous rappelle quelque roman de Paul Auster. Habilement construit, il met en scène Marie fuyant le meurtre de son conjoint. Récit truffé d'interrogations comme chaque fois que la liberté nous échappe. Algernon — hommage à Daniel Keyes ? — et Passerelles se font les complices de Marie, ces deux histoires la rejoignent par le truchement de la révolte et de l'impuissance à changer quoi que ce soit. On a aimé le court récit Dans le singulier, texte touchant narré par une vieille dame dépourvue de ses illusions mais qui, provoquant le suicide de son mari et le sien, laisse une grande place au rêve. L'exergue choisi par l'auteure nous a agréablement étonnée : quelqu'un de nos jours se souvient-il de Gilbert Cesbron ? L'effet Coralie est l'une des rares nouvelles où une jeune fille se pose de véritables questions sur elle-même et sur ce que devraient être ses parents. Conflit de générations qu'elle envenime en se montrant à eux sous un faux jour, d'où une petite vengeance digne de son âge.
Le désespoir, la mort enveloppent les vingt-quatre situations se déroulant dans un cadre urbain ou marin. Il n'empêche que les personnages, portés par de petites renaissances, nous ressemblent. Ils auraient préféré que les événements soient différents mais leur vie propre en a décidé autrement. Aucune indulgence ne leur sera accordée, hommes et femmes devant assumer leur choix, se dépêtrer de leur dilemme, alternative camouflée dans l'obscurité de leur mémoire. Le ton est défini par le biais d'un langage parlé, enrichi de phrases incisives, de mots précis, jamais inutiles, d'où un très bel équilibre dans l'organisation des textes. Émerger des malheurs de chacun et de chacune, c'est rencontrer un pan de lumière que Dany Tremblay parsème de sorte que l'ombre néfaste soit à son tour aveuglée par des yeux qui se dessillent, forçant à regarder au-delà de l'horizon bouché par des édifices ou celui délimitant le ciel et la mer.
À lire pour découvrir une auteure qui n'en étant pas à ses premières armes, s'impose avec originalité parmi les nouvellistes les plus imaginatives.
Tous les chemins mènent à l'ombre, Dany Tremblay
Éditions de la Grenouille bleue, Montréal, 2009, 140 pages