On pense à de menus travaux de fin d'été, la nouvelle saison plus fraîche prenant ses aises dans les jours qui suivront le délire estival. C'est toujours ainsi que cela se passe, les recommencements qui nous enchantent, les fins qui nous attristent. De la naissance à la mort, les sourires et les larmes font office de notre passage intempestif sur terre. On parle du roman de Jean-Guy Forget, After.
Un peu par hasard, on plonge dans des livres qui ne sont pas de tout repos. Des histoires classiques de fin d'amour, de nostalgie, de regrets, de réminiscences. C'est la manière ici de dire ce qui compte. L'écriture s'amalgame aux dislocations du cœur, de la tête, sans jamais se départir de la densité de sentiments éprouvés pour la muse du moment. Les femmes ne sont-elles pas à tous âges des muses quand elles inspirent de tels inassouvissements ? C'est ce qui arrive au jeune narrateur de ce premier roman. L'amour contrarié pour une fille de son âge qui, pour des raisons de personnalité divergente, l'entraine dans les souvenirs inachevés d'amoureuses desquelles il ne parvient pas à se libérer. Ce qui occasionne des rencontres insolites. Cette démarche incendiaire se situe dans le Mile-End, d'un party à un autre, d'un visage féminin à un autre, dans l'antre désenchanté de soirées et de nuits suractivées par l'alcool et la drogue. Le sexe. C'est sur ce ton de désœuvrement que l'auteur se laisse aller à un langage autant disjoncté que ses souvenirs envahis d'une réalité improbable. Il y a la mère qu'il aime plus que toutes les femmes éparpillées dans sa tête. Son narcissisme qui le soutient pour mener à bien ses allées et venues dans la ville, balades qui ricochent sur des noms coutumiers, sur des normes inusitées. Jeune homme aux apparences placides, conditionné par la certitude craintive de croiser, tôt ou tard, des femmes qu'il a aimées, ne désirant jamais les quitter. Il s'adresse toujours à celle qui alimente ce récit disparate, prisonnier de ses spontanéités rompues de points fixes. Ce besoin de repères dont il use pour fonctionner. Une ruelle, une chambre. Son rapport avec lui-même, ce qu'il nomme sa masculinité, préoccupé qu'il est par son authenticité, au point de narrer son histoire, après qu'elle a été terminée, sans l'être jamais tout à fait, au métro Papineau. Point fixe qu'il mentionnera, tel un leitmotiv s'insère dans notre mémoire castrée par trop d'émotions ambivalentes. Désastre intentionnel qu'il entretient dans une sorte de cacophonie qui brouille ses velléités de cheminer vers autre chose de plus prégnant que l'échec successif de ses amours agonisantes.
Employant un mélange de termes français et anglais qui apportent au récit un ton de trébuchement, l'auteur ne fait que renforcer le désarroi impulsif de son personnage, signifiant au lecteur que s'exprimer par des moyens déboités symbolise ce que vivent certains jeunes dans la vie réelle, vie mêlée au rêve. Se répercutent alors des sons musicaux qui ont révulsé les oreilles quand elle s'est imposée hors de normes apprises. Il n'est pas question d'apprivoiser qui que ce soit, l'amour n'a de raison d'être que s'il est mal vécu. Nous ne sommes pas loin des romantiques du XIXe siècle. Cependant, Jean-Guy Forget devra faire preuve de plus de rationalité pour plaire à une majorité de lecteurs et lectrices habitués à la complaisance d'histoires qui se meurent, aboutissent non à une fin tragique mais à un after prenant tout son sens dans les habitudes rassurantes —gestes et paroles — de la vie quotidienne. Malgré ses embûches, ses travers, ses émotions mal cicatrisées, privilège attendrissant d'une génération survoltant sa vingtaine d'années dans des relations passionnelles. Instabilité de l'être humain qui se retrouve dépouillé de son entièreté face à l'écriture quand il a la chance de savoir, de pouvoir s'exprimer loin du métro de la rupture.
Un roman dérangeant, on en lit plusieurs ces derniers temps, qui nous a à peine étonnée. On est témoin d'une relève qui ne veut pas être dupée ni par des lecteurs straight, ni par ceux et celles qui s'offusquent d'une éloquence désemparée, affichée dans un langage débridé, pour employer un terme cher à Arthur Rimbaud.
After, Jean-Guy Forget
Éditions Hamac, Québec, 2018, 175 pages