Parc La Fontaine. On y a passé une partie de l'été. Nous réjouissant de l'ombre des arbres, de la limpidité du bassin. Le parcourant au rythme de la chaleur, on a observé les maîtres et leur chien, les joggeurs et joggeuses, les parents et leurs enfants, les pique-niqueurs, les quidams nourrissant pigeons, écureuils et canards. Les cyclistes, les amoureux. On s'est désaltérée à la terrasse ombragée du bistrot, amusée par la courte randonnée du petit train rutilant. On s'est assise au soleil selon l'heure du jour. Dans ce lieu privilégié, on a lu le deuxième roman de François Leblanc, Quelques jours à vivre.
Véronique a invité son mari, Antoine Barcelo, au restaurant et lui annonce que depuis plusieurs mois, elle a un amant. Un professeur d'éducation physique, un collègue de travail, qui aime le camping et lit Harry Potter. Vingt-cinq ans de mariage unissent Véronique et Antoine. Ils ont un fils, Julien, treize ans. Véronique est issue d'une famille aisée, Antoine, de la classe ouvrière. D'où, se lamente ce dernier, la raison primordiale de la fatigue conjugale de sa compagne. Il se remémore la manière dont il l'a séduite : la fréquentation de bons restaurants, leurs promenades dans le Mile End, le soir pluvieux et venteux où, dans une rue, Véronique a reconnu Leonard Cohen qui lui a souri... Antoine était à l'époque employé à temps partiel dans une buanderie, vingt-cinq ans plus tard, il est travailleur de nuit dans un établissement de détention. Nuits qu'il partage avec Jimmy, un rescapé de la société, se vantant vulgairement d'exploits sexuels, fantasmes dont il se nourrit pour épater Antoine.
Est-ce si grave que votre épouse prenne un amant, vous en informe dans un chic restaurant ? Cela fait mal comme un coup de poignard dans le dos, cela se soigne en éclusant bière sur bière, cela ouvre les yeux sur des jeunes filles à peine sorties de l'enfance... Mais quand votre mère vous téléphone que votre père, diabétique et souffrant d'un début d'Alzheimer, a disparu mystérieusement, emportant son portefeuille, ses papiers d'identité qu'elle gardait précieusement dans une boîte, chapardant des billets de vingt dollars, cela prend des proportions désastreuses : cela vous renverse, vous bascule dans un univers où vous n'avez plus rien à perdre. Cela vous fait téléphoner à votre sœur, égoïstement occupée, pour vous secourir. Réflexions désabusées d'Antoine qui, pour aggraver la colère qu'il ressent envers Véronique et sa sœur, sera menacé de mort par un toxicomane, une nuit où il l'appréhende au téléphone. Jimmy a beau faire, il ne peut raisonner Antoine qui, ayant malencontreusement croisé l'amant de Véronique dans leur maison, se réfugie chez son meilleur ami, Pierre-Luc. Autre spécimen humain. Faisant fi de ses réussites professionnelles, marié à un ex-mannequin, psychologue réputé spécialisé dans la thérapie conjugale, il redoute d'être considéré bientôt comme un " has been ". En lui, s'incruste un redoutable sentiment d'échec qu'il ne peut contrôler. Dérobade de deux hommes en proie à la hantise du vieillissement, l'un perdant sa jeunesse et son épouse, l'autre jonglant avec des lubies pour faire taire une voix dérangeante...
L'épouse, la mère, la sœur se greffant maladroitement au désarroi d'Antoine, ne peuvent que renforcer sa rancœur contre une existence qu'il juge cruelle. La police n'agit pas mieux, la disparition de personnes âgées ne l'impressionnant pas outre-mesure. Enfin, à la suite de surprenants indices, l'agent Cournoyer informe la famille que Roger Barcelo loue une cabine au bord de l'eau à l'auberge des Salines, à Despentes, municipalité proche de Rimouski. Incompris de ses proches, l'intimidation d'un potentiel agresseur le taraudant, frôlant la dépression, Antoine obtient un arrêt de travail et part à Despentes rechercher son père.
Après quelques péripéties anodines, un voyage en voiture touristique qui le séduit, Antoine parvient à Despentes, repère l'auberge des Salines où s'alignent une douzaine de minuscules habitations blanches datant d'après-guerre. Ému, il imagine son père habitant l'une d'elles ; à l'auberge, le patron lui apprend que monsieur Barcelo a quitté Despentes depuis deux jours. Il le considérait comme un « type bien ». Il y a le « gros Michel » avec qui il allait à la pêche... Intrigué, Antoine passera la nuit à Despentes, occupera la cabine blanche « laissée libre par son père. » Trop perturbé pour dormir, échauffé par un " pack " de bière, il mettra de l'ordre dans la confusion de ses sentiments. Nébuleux, il se souvient de faits agréables survenus durant son enfance, plus tard, dans son adolescence, de l'humour paternel mentionné par Véronique. Se ressemblaient-ils au point de se détester ?
Récit narré sur un ton badin par un cinquantenaire désenchanté. Voulant dissimuler les causes profondes de son mal-être existentiel, Antoine Barcelo entraîne le lecteur dans la course épuisante des complexités humaines, d'angoissants silences se dérobant à quelque oreille compatissante. Les femmes gravitant autour d'Antoine, son épouse, sa mère, sa sœur, sont à l'image de celles qui ont entouré Roger Barcelo. Vieillissant et malade, il est allé vivre ses derniers mois loin des intrigues et manigances familiales, loin de l'esprit borné d'un fils conventionnel. Malgré les apparences, c'est un roman à ne pas lire à la légère. Telles les chansons mélancoliques de Leonard Cohen, essaimant les parcours d'Antoine Barcelo, que nous écoutons le regard empreint de nostalgie.
Quelques jours à vivre, François Leblanc
Éditions Triptyque, Montréal, 2012, 170 pages