Si la chaleur va et vient, colle encore à la peau, façonne des brouillards matinaux, elle n'en est que plus appréciée. Contrairement à d'autres personnes, on n'attend jamais la fraicheur de l'automne, les feuilles qui jaunissent, meurent lentement sur le sol de terre ou le sol asphalté. On aime que chaque matin nous branche à l'énergie du soleil, à sa lumière, belle comme un sursaut de joie. On commente les nouvelles de Lyne Richard, Prismacolor no 325.
Il nous est difficile d'échapper aux charmes diversifiés de la nouvelle, ces fables souvent brèves se qualifient d'une finale inattendue, qui nous laisse pantoise. Il faut énormément de talent et d'habileté pour cerner ces histoires qui se résument en quelques pages, suspendues sur leurs cordes à linge. Clin d'œil au précédent recueil de cette écrivaine, poète et romancière, qui nous a donné l'envie de poursuivre notre lecture interrompue par le passage du temps inspiré. On s'est donc attardée dans les allées mélancoliques tracées par des protagonistes qui, parfois, se recoupent agréablement. Comme si la nouvelliste, magnanime, désirait apporter quelques moments de joie, d'espoir, à des humains malmenés par la vie. C'est parfois tragique, irréparable, ces femmes et mères qui souffrent de ne pas se suffire à ce qu'elles pourraient être. Comme les nouvelles Prismacolor no 325, d'où le titre du recueil, Un rouge qui dévore, L'odeur des roses, La chute. Ce sont souvent les enfants qui témoignent du malheur déboussolant les " grandes personnes ". Pourtant, il suffit que l'un d'eux ait une idée salvatrice pour que refleurissent dans le cœur de ces femmes qui se croyaient égarées, un rayon de soleil, un carré de ciel bleu. Les nuages, lentement, se sont dilués. La petite librairie gratuite, fabriquée par Mathias, qui a perdu sa mère dans un accident de voiture, aimé inconditionnellement de son père, s'avère un havre de paix où passent et reviennent filles et garçons dont la mère a échoué misérablement dans des intentions de bien-être. On y retrouve Amélia, la sienne s'est ouvert les veines dans la baignoire, Emmanuelle, subjuguée par la beauté maternelle. Mais l'espoir, petite fleur poussée entre les pavés, ne manque jamais de se montrer chaque fois qu'un fait inespéré éloigne ces femmes du noir de leur existence, ici on devrait mentionner la puissance du rouge. Sang, larmes, solitude. Mais aussi solidarité dans ce monde en partie pris en main par des enfants, représentant l'innocence du présent dans lequel ils se démènent, se reposant hâtivement non sur le deuil de leurs proches, mais sur le rêve qu'offrent des histoires écrites noir sur blanc. Ressource que les adultes utilisent rarement, se complaisant dans l'imbroglio de leurs affres.
Si les protagonistes se réconcilient avec eux-mêmes, grâce à l'initiative généreuse d'un enfant, il est indéniable que quelques-unes de ces brèves histoires sont un hommage au livre, au bienfait qu'apporte la lecture, telle une eau nous désaltère à sa source. Toutefois, d'autres fictions se suffisent à elles-mêmes, comme Un amour aussi nu, Un autre cœur, La cour à scrap, l'une de nos préférées. Ce jeune homme qui ne vit que pour réparer des voitures, démonter, remonter leur moteur, se révèlera un génie de la mécanique. Réalisme réconfortant dans cet univers de lamentations bien souvent féminines. La boue aura un goût de fruits, ou le premier amour retrouvé à un âge avancé. Des réminiscences qui incitent à vivre au-delà des mésententes du passé, telle cette femme qui se souvient de sa voisine, amoureuse éperdue d'un obscur chanteur populaire qui a détruit ses illusions, elle en est morte. En parallèle, la narratrice admet qu'elle n'a su aimer « paisiblement ». Une marée de bleu, l'échec d'un homme face à ses tubes de couleur, qui pensait pouvoir peindre mais dont l'inspiration lui fait défaut. Peut-être une métaphore de l'existence manquée, filigranée dans ce recueil. La douceur de Julie, Le bénévolat, deux femmes, l'une écrivaine, l'autre bénévole, se laissent emprisonner dans les dédales sans issue de leur existence aux prises avec des êtres de papier, ou avec les sentiments pathétiques d'un homme qui supplie sa femme de ne pas le quitter. Il y a un air de refus dans ces textes sulfureux de placidité, des femmes qui n'adhèrent pas au bonheur simple révélé par de petites choses, la vie ordinaire ne leur suffisant pas. Ordinaire et banale, Le lit king confirment ce que l'on avance. Des femmes prêtes à beaucoup pour raccommoder l'usure de leur couple. Deux textes qui nous ont touchée consacrés à de jeunes enfants victimes de la violence, de l'indifférence sociétale, éléments actuels avec lesquels nous devons composer. Comme dans un tableau de Lemieux, Delphine et Marco.
De cet abondant recueil — vingt-sept textes le composent — quelques nouvelles nous ont échappé, on mentionne l'amour immense que contiennent ces fictions. Une tendresse jamais démentie submerge les intentions de ces êtres de chair qui s'évertuent à sauvegarder leur reste de dignité pour s'offrir une deuxième ou troisième chance, ménageant les possibilités qui s'offrent à leur bonne volonté. Bien que nous soyons fabriqués pour le bonheur, une profonde amertume mélancolique imprègne hommes et femmes occupant ces lieux de papier, nous demandant si l'avenir se rapporte aux enfants qui ont la vie devant eux, déroulant leur propre actualité. On ne peut terminer notre écho virtuel sans faire cas de l'harmonique écriture de l'écrivaine, de ses trouvailles poétiques, sensibles et palpables. Prismacolor de l'existence, toutes les couleurs ouvrent leur éventail pour nous assurer que ni le noir, ni le gris, ne ternissent plus qu'il ne faut la panoplie de nos joies, de nos certitudes expiatoires.
Prismacolor no 325, Lyne Richard
Lévesque Éditeur, Montréal, 2021, 165 pages