Le bleu du ciel, le vert des vagues, le gris des galets, le blond du sable, l'odeur des algues, les gens qui passent, rieurs ou rêveurs. Un monde de carte postale qu'il est rassurant de fréquenter quelques semaines, le paysage le plus alléchant ne durant que le temps de fixer dans notre mémoire des images mouvantes qui finiront par s'user. Se désintégrer, même si nous n'oublions rien. Banalité redondante mais nécessaire pour aborder le numéro 126 de La Revue XYZ de la nouvelle.
Notre introduction ne pouvait mieux tomber, les textes, graves et ludiques, proposés par les auteurs invités de Jean-Paul Beaumier, responsable du numéro avec Hélène Rioux, nous entraînent sur le thème de l'eau ondoyante. " Nouvelles d'une plage ". De quoi méditer sur le sujet, éveillant nos mémoires fatiguées à des événements que seul le temps atténue, efface, tel un pied balaie un intime aveu inscrit dans le sable.
Profitant d'une fin de saison littéraire, on butine d'un texte à un autre. On prend son temps pour savourer quelque histoire qui nous a touchée, comme celle du narrateur fébrile d'Antoine Desjardins qui, marchant le long d'une grève, aperçoit la carcasse desséchée d'un oiseau. Perturbé par ce spectacle, il pense à sa propre mort, réflexion qui l'épouvante, avant de réaliser que son amour pour son ex-compagne n'était rien qu'un trou, un abîme duquel il ne pourra réchapper. Le désespoir contenu dans quatre vers explosifs. Volatile. Se baladant sur une plage, le narrateur de Gaëtan Brulotte, Au bord de l'autre, dépeint au lecteur comment un homme et sa famille, toutes des femmes voilées, s'installent sous sa terrasse « pour pique-niquer sur la plage. » À un moment donné, l'aînée des filles, qui est allée se baigner, empêtrée dans ses voiles, est en train de se noyer. Le père, tonitruant, s'oppose radicalement au sauveteur de garde qui tente de porter secours à la jeune fille. Profitant de l'inattention du père à son égard, ahuri, le narrateur se précipite pour sauver l'adolescente, mais elle a disparu. Le choc, souvent incompréhensible, entre deux cultures... Sylvie Massicotte ou Le décompte. Deux amies sont en vacances. Juliette et Fanny. Juliette, angoissée, se demande pourquoi sa beauté n'attire pas les garçons. Fanny, rieuse, insouciante, se remémore sa soirée où elle a séduit un « bel Antillais ». Ont-ils fait l'amour ensemble, la question se pose. Jusqu'au moment où sur la plage se produit un accident qui attire l'amoureux de Fanny. Étonnement de celui-ci quand il regarde Juliette, sa beauté l'éblouit. Et, elle, qui compte les jours pour que les vacances finissent... Dénouement, nouvelle signée Jean-Paul Beaumier. Un écrivain, plutôt assujetti à sa compagne, Mireille, décide d'aller se promener, un polar en cours de lecture. Une nouvelle en panne d'écriture. Au loin, une inconnue et son chien, qui ne lui prête aucune attention ; la promeneuse écrit dans le sable, l'écrivain la compare à Mireille. Elle s'éloigne, il lit les lettres et les chiffres qu'elle a tracés. Les vagues vont tout effacer. De ce texte, on a aimé l'amalgame que fait Beaumier entre le livre que le narrateur lit et celui qu'il essaie d'écrire. Les deux ne le satisfont pas, pas mieux que l'image de Mireille avec celle de la jeune femme et son chien. Impression d'une vie factice entremêlée à une existence rêvée, l'avenir de l'écrivain-narrateur s'annonçant incertain, peu enviable. La nouvelle d'Hélène Rioux, Faune, nous a amusée. Représentation animale de certains humains folâtrant sur une plage, que La Fontaine n'eût pas reniée. Concision du langage, comme sait si bien s'y prendre l'écrivaine.
Cependant, la fiction qui nous a le plus touchée par son originalité marginale, son approche désespérée vers le possible quand il se révèle, au premier abord, impossible. Une jeune femme se contente pendant une décennie des allers-et-retours de son amante. Le temps passant, celle-ci s'est mariée, à eu des enfants. La narratrice, meurtrie, accepte les mensonges, les promesses. Inlassablement, elle l'attend dans la mansarde qu'au bord de la plage elle a louée. Ce jour-là, son amoureuse viendra, elle en est certaine, elle sera transformée pour la recevoir. Une histoire mélancolique où l'attente ne semble plus faire partie de la vie moderne. Signée Véronique Bossé, Ressac. D'autres fictions s'inscrivent aussi dans ce numéro consacré aux souvenirs ensablés, telle la mémoire les réhabilite, à grand renfort de déni, parfois lestés d'une acceptation grinçante. Autre ressac. Classée dans la rubrique " Hors-frontières ", la nouvelle de Henry Lawson, La femme du conducteur de bestiaux, traduite par Jean-Marcel Morlat, s'avère particulièrement émouvante. Nous oublions trop souvent que le bonheur peut être violent, ou dangereux, avant d'en savourer l'ambroisie.
On a savouré ces histoires, un brin d'été dans le regard, même si la saison estivale ne nous conduit pas tous et toutes vers l'insouciance dépaysante d'un littoral. Mais que de possibilités probantes à imaginer des situations insolites. À chacun et chacune son eau ondoyante, la proximité du rêve n'atteignant que celui et celle qui s'y abandonne, la plume à la main, l'ordinateur banni pour quelques semaines, on le souhaite. Contentons-nous de lire ces récits éloquents, courts pour la plupart. Rassemblés ici pour notre plus grand plaisir de lecture. Il eût été dommage d'ignorer le rendez-vous avec des nouvelières et nouveliers réunis sur les rivages de territoires conquis par la mémoire friable ou par un présent éphémère sur le point de l'être.
XYZ, la revue de la nouvelle, numéro 126
Piloté par Jean-Paul Beaumier et Hélène Rioux
Montréal, 2016, 102 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 25 juillet 2016
lundi 11 juillet 2016
Le sang réconciliateur *** 1/2
Innocemment, S. nous demande pour quelles raisons on ne parle que de livres qui nous plaisent. On lui répond qu'étant soi-même écrivaine, notre rôle n'est pas de juger d'un livre mais d'en signaler les qualités. On se permet quelques prudentes remarques sur des éléments par trop visibles. Le reste n'est pas de notre ressort, on n'est pas éditrice. On se penche sur le récent roman d'Elsa Pépin, Les sanguines.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce livre insolite ne peut laisser quiconque indifférent. L'histoire captive ou rebute. Le sang y coule abondamment, non pour des causes de tuerie, mais pour la vie qu'il brasse dans nos artères et nos veines. Nous traversons des siècles à partir d'un récit contemporain. Deux sœurs, Sarah lunaire, Avril solaire, s'affrontent sans jamais vraiment se détester. Sarah, solitaire, est une passionnée qui ne réussit pas à s'affirmer. Copiste, elle s'est fait vampiriser par un amant plus âgé qu'elle, pour qui elle était prête à sacrifier son talent d'artiste peintre. À l'inverse, Avril s'est mariée, est mère de deux petites filles, un mari dont l'auteure ne nous dit pas grand-chose. Elle a désiré être danseuse, actrice, chanteuse, ses échecs ont abouti à un bouleversement irrémédiable. Elle est atteinte d'une leucémie rare. Seule, peut la sauver une greffe de la moelle épinière. Et seule, sa sœur sera en mesure de la lui donner.
On a résumé la trame moderne du récit. Nous nous faufilons dans un siècle où des médecins se demandent, en disséquant des cadavres, comment irrigue le sang dans le corps. L'un d'eux, Jean-Baptiste Denis, médecin de Louis XIV, espérant guérir l'aliénation, transfèrera du sang animal dans celui d'un homme dément, repéré dans une rue. Nous sommes en 1667. En parallèle, sous le règne de Charles Ier, William Harvey, médecin anglais, se cherche un cœur pour tester et prouver le mouvement circulaire du muscle. Ces deux anecdotes sont habilement dépeintes par l'écrivaine, nécessaires au déroulement de la maladie sanguine d'Avril.
Tôt dans le roman, un homme surgira dans le présent de Sarah, Victor Eliot, rescapé provisoire d'une grave leucémie. Enfermé dans sa chambre, il ne se résoud pas à mourir seul. Pendant ses six mois de rémission, il a mené une vie dissolue, persuadé de sa guérison. Maintenant que le mal a récidivé, il se consacre à des recherches scientifiques, tout en faisant face à des souvenirs familiaux. Il a eu un frère jumeau qui est mort, alors qu'il aurait pu le sauver. On est frappée par l'ombre portée du frère hypothétique, comme le mari d'Avril, émigré balkanais, qui a perdu un frère et ses parents durant la guerre. Symbolisme s'appliquant à la relation complexe qu'entretiennent les deux sœurs Becker. Le lecteur devra partager avec Sarah une intériorité qui, peu à peu, fera la lumière sur son rapport à ses parents, à Avril, à son amant qui l'a considérée telle une esclave au service de sa réputation d'artiste. De passive, Sarah devient furie. Mais aussi perméable au dernier désir d'Avril, au chagrin incommensurable de leurs parents, à la tendresse des deux fillettes de sa sœur. Ouverture aussi sur son art, étouffé par le rejet familial, par les outrances d'un homme définitivement banni de son existence. Aux yeux de Sarah, il a commis l'irréparable.
Récit composé de couches successives, telle l'accumulation de roches sédimentaires. L'art de Sarah en est constamment le fil conducteur, qu'elle pratique d'abord pour gagner sa vie. Qui lui permet de se retrouver face à elle-même, comme les changements déconcertants opérés chez Avril lui feront prendre conscience de plusieurs de ses erreurs. Victor Eliot ne sera pas étranger à la métamorphose de Sarah, quand il lui enverra un étrange héritage.
Roman fascinant, construit avec intelligence, témoignant d'une surprenante empathie envers les êtres qui ont fait avancer la médecine. Des cobayes oubliés qui ont souffert, ont eu peur de mourir seuls, ignorant à quel point leur mort s'inscrivait dans une interminable lignée vitale. Et que de poésie pour narrer une balade tumultueuse dans les rigoles du sang, cet élément liquide impressionnant celui ou celle qui en ignore les méandres à l'intérieur du corps. Captivante et singulière histoire de deux sœurs portant en elles l'avenir du monde. Il suffira que l'une meure, que l'autre existe, pour éveiller la curiosité de professeurs, comme le fit Karl Lansteiner, dernier clin d'œil d'Elsa Pépin à un début de siècle encore balbutiant, avant de conclure à la réconciliation du sang entre des inconciliables.
Les sanguines, Elsa Pépin
Éditions Alto, Québec, 2016, 168 pages
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce livre insolite ne peut laisser quiconque indifférent. L'histoire captive ou rebute. Le sang y coule abondamment, non pour des causes de tuerie, mais pour la vie qu'il brasse dans nos artères et nos veines. Nous traversons des siècles à partir d'un récit contemporain. Deux sœurs, Sarah lunaire, Avril solaire, s'affrontent sans jamais vraiment se détester. Sarah, solitaire, est une passionnée qui ne réussit pas à s'affirmer. Copiste, elle s'est fait vampiriser par un amant plus âgé qu'elle, pour qui elle était prête à sacrifier son talent d'artiste peintre. À l'inverse, Avril s'est mariée, est mère de deux petites filles, un mari dont l'auteure ne nous dit pas grand-chose. Elle a désiré être danseuse, actrice, chanteuse, ses échecs ont abouti à un bouleversement irrémédiable. Elle est atteinte d'une leucémie rare. Seule, peut la sauver une greffe de la moelle épinière. Et seule, sa sœur sera en mesure de la lui donner.
On a résumé la trame moderne du récit. Nous nous faufilons dans un siècle où des médecins se demandent, en disséquant des cadavres, comment irrigue le sang dans le corps. L'un d'eux, Jean-Baptiste Denis, médecin de Louis XIV, espérant guérir l'aliénation, transfèrera du sang animal dans celui d'un homme dément, repéré dans une rue. Nous sommes en 1667. En parallèle, sous le règne de Charles Ier, William Harvey, médecin anglais, se cherche un cœur pour tester et prouver le mouvement circulaire du muscle. Ces deux anecdotes sont habilement dépeintes par l'écrivaine, nécessaires au déroulement de la maladie sanguine d'Avril.
Tôt dans le roman, un homme surgira dans le présent de Sarah, Victor Eliot, rescapé provisoire d'une grave leucémie. Enfermé dans sa chambre, il ne se résoud pas à mourir seul. Pendant ses six mois de rémission, il a mené une vie dissolue, persuadé de sa guérison. Maintenant que le mal a récidivé, il se consacre à des recherches scientifiques, tout en faisant face à des souvenirs familiaux. Il a eu un frère jumeau qui est mort, alors qu'il aurait pu le sauver. On est frappée par l'ombre portée du frère hypothétique, comme le mari d'Avril, émigré balkanais, qui a perdu un frère et ses parents durant la guerre. Symbolisme s'appliquant à la relation complexe qu'entretiennent les deux sœurs Becker. Le lecteur devra partager avec Sarah une intériorité qui, peu à peu, fera la lumière sur son rapport à ses parents, à Avril, à son amant qui l'a considérée telle une esclave au service de sa réputation d'artiste. De passive, Sarah devient furie. Mais aussi perméable au dernier désir d'Avril, au chagrin incommensurable de leurs parents, à la tendresse des deux fillettes de sa sœur. Ouverture aussi sur son art, étouffé par le rejet familial, par les outrances d'un homme définitivement banni de son existence. Aux yeux de Sarah, il a commis l'irréparable.
Récit composé de couches successives, telle l'accumulation de roches sédimentaires. L'art de Sarah en est constamment le fil conducteur, qu'elle pratique d'abord pour gagner sa vie. Qui lui permet de se retrouver face à elle-même, comme les changements déconcertants opérés chez Avril lui feront prendre conscience de plusieurs de ses erreurs. Victor Eliot ne sera pas étranger à la métamorphose de Sarah, quand il lui enverra un étrange héritage.
Roman fascinant, construit avec intelligence, témoignant d'une surprenante empathie envers les êtres qui ont fait avancer la médecine. Des cobayes oubliés qui ont souffert, ont eu peur de mourir seuls, ignorant à quel point leur mort s'inscrivait dans une interminable lignée vitale. Et que de poésie pour narrer une balade tumultueuse dans les rigoles du sang, cet élément liquide impressionnant celui ou celle qui en ignore les méandres à l'intérieur du corps. Captivante et singulière histoire de deux sœurs portant en elles l'avenir du monde. Il suffira que l'une meure, que l'autre existe, pour éveiller la curiosité de professeurs, comme le fit Karl Lansteiner, dernier clin d'œil d'Elsa Pépin à un début de siècle encore balbutiant, avant de conclure à la réconciliation du sang entre des inconciliables.
Les sanguines, Elsa Pépin
Éditions Alto, Québec, 2016, 168 pages
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