On a des levers de soleil mirobolants, qui nous donnent envie de vivre, de décider par soi-même ce que l'on fera de la journée, à savoir, écrire ou lire. Nous promener dans les rues, dans le parc à côté, à parler à des inconnus, ou simplement leur sourire pour les encourager à traverser les heures insipides de l'ennui. Le reste, les résidus d'un peu de fatigue, on s'en occupe. On commente le roman de Grégoire Courtois, Les lois du ciel.
L'histoire aurait dû être attrayante, bucolique. Un groupe de douze enfants et leur instituteur partent trois jours camper dans une forêt d'une province française. Cette récréation champêtre devait être l'occasion de se rapprocher de la nature, d'apprendre aux enfants ce qu'ils ignorent de la magie forestière, trop proches qu'ils sont d'une technologie électronique, qui les détourne du plaisir de folâtrer parmi les sentiers, de renifler les odeurs sauvages des feuilles, d'écouter le chant puéril des oiseaux, paysage doux au regard, qui ne sait pas encore grand-chose des saisons se répétant inlassablement. Or, dans ce récit, le lecteur est de suite informé qu'un drame se prépare dès que franchies les limites du monde civilisé. Se sont jointes à l'instituteur deux mères dont les enfants font partie du groupe. Sandra et Nathalie. Il n'est pas simple de diriger des garçons et filles âgés entre six et sept ans qui, pour la première fois, affronteront les dangers calfeutrés de la forêt. Leur imagination étant démesurée, les arbres se transforment en trolls, les enfants se réfugient dans des abris inusités, comme lorsqu'ils devront échapper au monstre qui détruira l'harmonie pépiante du groupe. Il faut dire que tout s'en mêle. Nathalie a un malaise, Sandra téléphone à son mari de venir la chercher, ce qu'il fera, alors que vautré devant la télé, tétant sa bouteille de whisky, ses pensées dérivent vers une liberté relative qu'il éprouve face à l'absence de sa femme et de leur fille.
Pendant ce temps, le monstre, âgé de sept ans, a sévi crapuleusement. Sous l'influence d'un père qui lui a seriné que les garçons ne doivent pas pleurer, ni se plaindre, il n'accepte pas la punition de l'instituteur qui, excédé par ses manières brutales envers ses camarades, ira au bout de la violence qui bouillonne en lui. Explosion du groupe, fuite vers des retraites aléatoires, le monstre poursuit ses camarades, désirant les exécuter les uns après les autres. La nuit exacerbe les petites têtes blondes et brunes, celle-ci dévore leurs peurs innocentes sous le couvert de démons malhabiles, ne faisant qu'amplifier le désarroi qui les consume, ravivant des jeux dangereux, comme nous en avons tous connus lors d'événements dépassant notre entendement. Leur cri de ralliement demeure celui de " maman " qui reste vain, leur mère à chacun et chacune ne se doutant pas du drame traumatisant que vit sa progéniture, livrée à elle-même, c'est-à-dire à ses propres démons quand la nuit éveille les loups des contes, les chauves-souris prisonnières de ténèbres...
Ça finira mal, l'écrivain n'accordant aucune concession à la soi-disant gentillesse innée des petits enfants. Pour les deux mères bénévoles, ça n'ira guère mieux. La forêt, durant ces deux nuits de carnage et de sang, s'est vêtue de ses atours hostiles, savourant une vengeance qui n'a d'égale que la déforestation généralisée. Pour juger le monstre de sept ans, elle mettra sur pied un châtiment terrifiant qui n'en finit pas d'étirer l'action dans sa propre horreur.
On s'est interrogée sur la capacité d'un enfant à savourer en son âme abîmée pareille ignominie. On s'est dit aussi que l'écrivain, magistralement doué pour rédiger un tel cauchemar, avait dû consulter des spécialistes en psychologie enfantine. On a essayé de chercher des revers aux uns et aux autres, adultes y compris, on n'a rien trouvé qui puisse excuser les méfaits d'un homme aux prises avec l'alcool, d'un autre homme engoncé dans des préjugés indéracinables. Ce qui fait qu'on n'a pas eu envie de narrer l'histoire réelle mais de la ranger dans une hypothétique confiance en la bonté humaine. À qui la faute si l'enfance outragée se précipite jusqu'au vertige dans le crime presque parfait, tous les témoins étant morts eux aussi, lors de circonstances non atténuantes.
À lire, pour déguster l'amplitude de l'écriture, du style incantatoire de Grégoire Courtois, ouvert tel un éventail derrière lequel se dissimule le malheur du monde, celui qui risque de détraquer le cerveau des jeunes enfants, victimes malléables de guerres meurtrières, le sort de ces derniers s'amoindrissant à cause d'hommes encaqués dans leur infortune personnelle où la place de l'innocent sera toujours à combattre et à défendre...
Les lois du ciel, Grégoire Courtois
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2016, 208 pages