Même si des personnes, derrière leur écran, surveillent la publication de nos critiques, se précipitent sur nos introductions, on garde l'entière liberté de leur jour et date de parution. On ne cédera jamais aux privilèges, encore moins au favoritisme. Notre travail étant exigeant, il est essentiel de ne ressentir aucune pression extérieure. On se satisfait avant de convenir aux autres, d'où notre indépendance intellectuelle envers qui que ce soit. On a lu l'essai d'Alain Gagnon, Fantômes d'étoiles.
Il en faut de la persuasion à notre époque du selfie pour s'oublier en surface, se refléter en une dimension différente et profonde. Se défaire de la peau du " vieil homme ", se revêtir d'un habit, dirons-nous, de lumière. Durant douze mois, de janvier à décembre, un narrateur — l'auteur ? — nous informe, en la disséquant, de son approche divine. Persuasion, certes, mais aussi interrogation qui n'oblige pas le lecteur à partager le point du vue charismatique de l'écrivain. Si le doute s'installe, faisant fonction de faille, nous sommes sauvés de trop d'insistance, ternissant une spiritualité créée pour soi, ressentie en soi-même. Dans le cas contraire, on aurait refermé l'essai, ne supportant pas d'être imprégnée de modèles identiques. On aime l'originalité de la diversité, qu'elle soit d'ordre terrestre ou céleste. Et quels saints vénérables n'ont pas douté de leur conviction évangélique ? Quel homme, hésitant à se déployer, n'a pas sombré avant de se relever ? La force du désespoir stimule ou abat, il est vrai, mais faut-il en arriver à ces extrêmes pour croire aux dieux que nous ne serons jamais ? Guerriers exemptés d'indulgence, ne valant pas mieux que l'être humain.
L'essai se divisant en plusieurs parties réflexives et poétiques, il est agréable de le lire, tel un recueil de nouvelles, en le feuilletant au hasard, mâchonnant des pensées et concepts du narrateur, impossibles à partager sans un froncement de sourcils. Ne parvenant pas à nous dissuader de notre manière d'engranger notre spiritualité dans notre demeure, qui ne sera jamais celle d'une quelconque divinité mais résultée de nos expériences personnelles. Lire les « lignes » du narrateur pour y trouver quelque « réconfort », ce qu'on a fait avec intérêt. On a posé un pied sur l'île suggérée mais les brumes l'enveloppant nous ont caché Dieu ainsi que son auguste personne. On s'est engagée sur le pont, ne désirant pas aborder ses rives. Ce que narre l'écrivain s'avère tellement humain — poignant —, qu'on n'a nul besoin de se compromettre avec une suprême absence. La paix se transforme en joie chaque fois qu'on s'acquitte d'une action qui élève notre transcendance vers les étoiles du firmament. Ultime récompense justifiant notre effort. Se suffire à soi-même est présomptueux mais si rassurant dans ce monde où, pour nous, l'oubli de soi n'existe pas. On aime tellement vivre qu'on se croit parfois immortelle ! Est-on un dieu pour autant ? Haine, peur, superstitions, autres dérogations ignorantes ou préméditées, ne font pas partie de nos bagages intérieurs. Il n'empêche que « la soif demeure » au même titre que la joie, musiquée par Jean-Sébastien Bach. On classe cette altération dans un futur où les étoiles invisibles nous guideront sans nous décevoir. Ces « fantômes d'étoiles » titillent favorablement l'imagination, plutôt que les religions qui n'en finissent pas de se soustraire à l'impossible alliance entre des hommes et des femmes, soudoyés par des ignorants, incapables d'émerger sans des « réalités fondamentales » et, surtout, d'exprimer ce qui leur convient, abêtissant ainsi leur quotidien d'une trompeuse transcendance, confinée en leur for intérieur cadenassé.
« Ce qui vit se nourrit de mort. » N'est-ce point là notre quête vitale et légitime ? La mort se nourrissant même de beauté, cette vertu s'abstrayant de nos cycles essentiels : nos âges délimitent nos possibilités quand il s'agit d'appréhender l'angoisse de nos incertitudes, l'ampleur de nos méconnaissances. On croit à l'évolution d'un monde essaimé d'êtres qui ont bondi dans l'univers, tels des sauts de puces, pour accomplir leur mission forcenée, faire progresser l'humanité : Vinci, Gutenberg, Colomb, trois hommes exceptionnels qu'on a choisis en exemples, porteurs d'une foi invincible, profondément marqués d'une imparable solitude. On a mis de côté les philosophes, un ensemble d'artistes dont le génie a dérangé les esprits obséquieux. « La terre est une fabrique d'âmes », mentionne témérairement Alain Gagnon, notre croyance en ces âmes se restreignant à une perception dictée par notre scepticisme naturel. Considérant que Dieu, perçu telle une divinité, est une invention des hommes pour les sécuriser et meurtrir leur prochain. Dans ce cas, il nous est impossible de renier qui ou quoi que ce soit. Ni d'en éprouver la divine essence.
« Le seul péché pour l'humain c'est de s'oublier, de s'éloigner de soi, de nier sa véritable nature. » D'une manière définitive, on en doute. Les irréductibles d'une foi universelle, faillibles donc si peu tolérants — ô paradoxe ! —, ne peuvent rivaliser avec les agnostiques vivant richement ceints, pour ne pas avancer auréolés, d'une espérance paisible, se posant peut-être une immuable question : Qu'y avait-il avant le Big Bang, modèle cosmologique qui décrit l'origine et l'évolution de l'Univers ? Dieu ? Lequel ? Celui, multiple, désunissant les hommes ou celui, unique, se désintéressant de la médiocrité de son invention téméraire ? Ni l'un ni l'autre ne nous séduisant, avant que la question devienne une défaite, retournons au fond des océans nous refaire une colonne vertébrale ! De là, scientifiquement, a découlé la vie. Notre soi, source bienveillante, ne s'assèche nullement aux nécessités matérielles auxquelles il s'abreuve.
Cet essai très convaincant, alliant le vivant et l'éternel, à notre regard, mélancolique, étonnamment objectif, parfois naïf, mériterait la chaleur intelligente et passionnée d'un débat. Alain Gagnon démontre beaucoup de courage et d'humilité à faire part au lecteur de ses croyances panthéistes, sauf qu'y adhérer serait au-dessus de nos convictions basées sur l'humain, rien que sur l'humain. Foi d'une inconditionnelle en la philosophie nietzschéenne... On remet nos responsabilités intellectuelles et morales entre nos propres mains, sans inviter nos semblables à en vérifier le contenu, considérant que nous ne serons jamais « finis » mais constamment en mutation oscillatoire. D'un côté, les démons abrutis, de l'autre, les anges persuasifs. Allégorie rassurante sur l'état de notre conscience se prêtant rarement à des interprétations erronées, repérées dans les Livres écrits pour des tribus de peu d'envergure, analphabètes et superstitieuses.
Pascal n'a-t-il pas affirmé que nous étions composés de deux natures opposées : l'âme et le corps ? Jouissons donc de la supériorité de notre esprit, délivré enfin de la chair périssable, avant de nous hasarder en poussière d'étoiles. Peut-être nous rencontrerons-nous, fantômes cosmogoniques se mirant à l'infini, désenchaînés de nos infernales crispations humaines. L'idée de Dieu ne donne-t-elle pas des illusions ?
Fantômes d'étoiles, Alain Gagnon
Marcel Broquet Éditeur,
Saint-Sauveur, 2015, 114 pages