Jour bleu, jour gris, humeur citadine qui oscille entre deux teintes. Reflétant, tel un baromètre, les aspects éveillés ou endormis de la ville. Le juste milieu des événements, souvent, nous échappe, les jours s'obscurcissant selon le regard, lui aussi bleu ou gris, que nous portons sur eux. C'est de ces encombrements de couleurs indéfinies que se façonne notre existence. De jour, de nuit. On a lu le récit de Simon Boulerice, Pleurer au fond des mascottes.
Il est rare qu'on commente une autofiction ou une autobiographie, chaque existence étant le privilège de chacun et chacune. Ayant abordé notre lecture, on s'est laissée emporter par l'originalité de la parole de l'écrivain polyvalent. Le théâtre, on en connaissait les apparences, celles qui divertissent le spectateur. Derrière le rideau magique, quelles en étaient les assemblages entre la scène, les actrices et acteurs, on l'ignorait. Il est certain qu'après avoir traversé les joies et les angoisses du narrateur, on n'ira plus au théâtre avec quelques idées préconçues.
Trois niveaux, réunis dans le titre, donnent le ton aux confidences de l'écrivain. Comme il se doit, l'enfance d'un garçon pas tout à fait comme les autres. Le narrateur affirme qu'il était fait pour la pénombre, parce que sauvage. Son corps grassouillet lui vaut le sobriquet douteux de Bouboule. Il chante, il sourit, la joie le possède. Plus tard, le rire lui sera un rempart contre des impératifs professionnels, un baume réparant les blessures morales. Il est né à Saint-Rémy, sur la rive-sud de Montréal, ses parents possèdent un club vidéo où l'enfant visionne des films à satiété, influençant peut-être sa vocation de comédien, bien que le théâtre fût entré dans sa vie accidentellement. Adolescent admiratif de sa cousine, c'est elle la future comédienne de la famille. Il lira des piles de livres en français, mais son jeune âge lui fera commettre des impairs quant à la formulation de certains qualificatifs. À quinze ans, il sera embauché par sa voisine, Claire Létourneau, qui lui enseignera l'aménagement paysager. Avide de tout ce qu'il entreprend, il y met tout son « génie d'acharnement ». De cette expérience, il apprendra la rigueur de l'artisan, vertu qu'il cultivera sa vie entière. Le jardinage lui fera faire la connaissance de Louise, amie de Claire Létourneau, qui, l'entendant chanter, l'observant danser, lui proposera de devenir la mascotte de la Croix-Rouge, Didi, pour le défilé de la Saint-Jean-Baptiste. Premier rôle qu'il acceptera, défendant une cause, celle des gens qui se noient, négligeant de porter un gilet de sauvetage. Il entame, alors, une vie de porte-parole, il aime éveiller les consciences. Entre-temps, il lit énormément, se passionne pour l'œuvre picturale de Vincent van Gogh. Tout ce qu'il touche du regard ou des mains devient sujet d'émerveillement. Un stroboscope offert par son père, le fascinera au point de défragmenter son corps, son esprit, s'interrogeant sur sa propre multitude, opposant le blanc et le noir que nous possédons en chacune de nos oscillations... Il jouera sa première pièce, qu'il a écrite, dans la salle communautaire de son village. C'est un succès qui le flatte, le rend excessivement lucide pour la suite de ses engagements. Puis, retour vers la mascotte qu'il décrit avec amour et compassion, celle-ci lui révélant d'insondables questions...
Peu d'ordre chronologique dans ce parcours d'homme voué à la profession nomade qui lui tient à cœur. Des souvenirs affluent, des noms d'acteurs, d'écrivains, de chanteurs, sillonnent la mémoire qui s'épanche sur le papier, comme pour ne rien laisser se dénaturer, s'effilocher dans l'oubli. Il étudie la littérature, le théâtre à l'UQAM. Un contrat de clown dans les Loblaw lui convient. Une autre occasion d'apprendre, sa curiosité inassouvie se raccroche à moult apprentissages, rencontrant des gens qui le guident, lui, leur offrant son sourire constamment affiché sur son visage. En 2002, l'adolescence étant sevrée, il cohabitera avec deux cousines. L'une et l'autre terminent leurs études. L'une en littérature, l'autre prépare ses auditions pour les écoles de théâtre. Digression qui nous vaut un bref portrait de la romancière Violette Leduc. Il est toujours agréable de s'instruire auprès d'un jeune homme de dix-huit ans qui ne cessera de se pâmer pour des écrivains dont le talent n'est plus à mentionner. Jean Cocteau, Françoise Sagan, Raymond Radiguet, une époque de jeunes prodiges, que Simon Boulerice, humblement, admire. Lui-même publiera son premier livre à vingt-sept ans. Lectures d'agrément, certes, stimulant le jeune homme quand il arrive à l'école de théâtre, partagé qu'il est entre la solitude et la collectivité, entre la sauvagerie et l'entregent. Beaucoup de voix se propagent d'une manière chorale dans l'apprentissage d'une profession tant exigeante. Intemporalité et souvenirs s'avèrent deux particularités qui le somment d'aller toujours plus loin, au-delà de toute agitation mentale. Il retient des noms qui lui enseignent les rudiments du métier, Suzanne Garceau, Catherine Bégin, Johanne Fontaine, comédiennes qui lui assureront le succès. Mais le tendre et rieur Simon doit se fabriquer une carapace, pour poursuivre sans anicroches sentimentales ses ambitions professionnelles. Il y parviendra, deviendra lui-même un exemple à suivre, à imiter, sa personnalité rigoureuse captivant les artistes en herbe de la jeune génération. Lisant son cheminement, on a l'impression que son amour pour les mascottes ne l'a jamais quitté, mettant à profit ce qu'il protège en lui, soit être présent sans être vu. Des pages admirables parsemées de reconnaissance envers ce personnage de peluche, nous ont émue, imaginant l'homme soumis aux affres de l'enfermement dans ces corps inanimés à qui il donne vie, le temps d'un défilé festif. Simon Boulerice ne dit-il pas qu'il n'est qu'un cintre, qu'armature pour porter de la peluche ?
Il est impossible de citer ici toutes les merveilleuses et douloureuses aventures qui ont formé le comédien acclamé qu'il est devenu, ses préférences, partagées entre livres écrits et publiés, pour les pièces de jeunesse. Nina Simone chante, Mishima le questionne. Protagonistes réels ou fictifs, toutes et tous trouvent une place presque philosophique durant les années qui ont façonné un être exceptionnel. De ce destin, car s'en est un, on a aimé le temps élastique nourri de poèmes, de chansons, de citations. Leurs auteurs recevant sans faillir plusieurs onces de reconnaissance de la part d'un homme qui a réussi à cacher ses larmes derrière des sourires, des rires, autres masques qu'il ne manque pas d'affubler d'un clin d'œil pour Julia Roberts, affirmant que son rire est le plus beau du milieu du cinéma. « Le rire de Julia avale tout. Le rire de Julia nous tire dans la joie. » Devenu dramaturge, chroniqueur radio, metteur en scène, poète et romancier, auteur de littérature de jeunesse, ne serait-il pas décent de retourner à Simon Boulerice un tel compliment intense, s'il est vrai que nous devons à cette tonitruance la presque certitude d'un talent que l'enfant de huit ans avait décelé en lui ?
Pleurer au fond des mascottes, Simon Boulerice
Collection III, dirigée par Danielle Laurin
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2020, 190 pages