Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
jeudi 15 janvier 2009
Telle une soie...
Avec impatience, on attend la publication d'un ouvrage de l'écrivaine d'origine japonaise, Aki Shimazaki. Sans nulle intention de froisser qui que ce soit, on avance être une inconditionnelle de l'œuvre de cette auteure. Plusieurs jours du début de l'année nouvelle ont passé à savourer son dernier roman, Zakuro.
Dans chacun de ses livres, Aki Shimazaki exploite un événement japonais tragique, servant de toile de fond à la trame d'un scénario familial. Après l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima, le tremblement de terre survenu à Tokyo en 1923, ce sont les camps de travail sibériens où des milliers de Japonais furent écroués, accusés d'avoir participé à l'occupation de la Chine lors de la Deuxième Guerre mondiale, qui motiveront le péril d'une famille japonaise établie en Mandchourie. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que le père a été expédié dans les goulags. La mère, sombrant dans les errances d'Alzheimer, attend toujours son mari, persuadée qu'il est vivant. Le fils, Tsuyoshi, sur qui repose le déroulement de l'histoire, doute de l'entêtement de sa mère, jusqu'au jour où un ami le convainc que son père vit sous un faux nom, Eiji Satô : il s'est remarié, a monté un restaurant à Yokohama, ville proche de Tokyo. Fort de ces indices accablants, Tsuyoshi ira sur place voir ce qu'il en est vraiment. Il découvre le restaurant dont l'enseigne s'intitule Zakuro, fruit du grenadier. L'arbre poussait dans le jardin de leur maison quand son père a été envoyé en Sibérie. Entre les rendez-vous avec celui-ci et les allers et retours à la résidence où est soignée sa mère, Tsuyoshi essaiera de saisir le drame qu'a vécu son père, en 1942. Une lettre qu'il a écrite lui apportera les explications nécessaires, justifiant sa volontaire disparition, l'achat du restaurant, son soi-disant remariage...
On n'en dira pas davantage sur l'intrigue, nouant et dénouant le destin d'individus traqués par d'irréparables désastres. Il en est ainsi dans les romans d'Aki Shimazaki ; ses récits, dosés à la perfection de mots précis, de phrases incisives, emportent le lecteur vers une voix limpide qui relate, sans fioritures, les affres de l'âme humaine quand elle a subi les pires humiliations. Parvenus au-delà de la souffrance, comme à bout de souffle, les personnages glissent un regard conciliateur vers une fleur, un arbre, le haussent vers le ciel, se réconfortant à la tiédeur d'un rayon de soleil, s'abritant à la fraîcheur d'une ombre médiane. Tout finit par se poser avec une délicatesse indicible sur l'eau immobile, les tracas et les rancœurs noyés une fois pour toutes. Contrairement à la fiction qui s'écrit aujourd'hui, aucune violence n'alourdit un geste, aucune impudeur n'entache les paroles prononcées. N'ayant pas d'autre choix que d'accepter les malheurs antérieurs, les protagonistes les remisent dans une sorte de fatalité contre laquelle il est inutile de s'acharner avec des cris. Des larmes coulent, des chuchotements alimentent les émotions, les déchirent, telle une soie...
On fera comme Aki Shimazaki, on n'ajoutera rien qui fournirait un contrepoint superflu à la beauté lumineuse du roman. Avec enthousiasme, on en recommande la lecture. Si vous n'avez rien lu de cette écrivaine, commencez par le commencement, soit sa pentalogie, Le poids des secrets, amorcée avec Tsubaki, terminée avec Hotaru qui a obtenu le Prix du Gouverneur général en 2005.
Zakuro, Aki Shimazaki
Éditions Leméac / Actes Sud
Montréal / Arles, 2008, 152 pages
Inscription à :
Articles (Atom)