Parfois, l'inspiration manque pour alimenter nos introductions. On invente des amours foudroyantes, des séparations déchirantes. On regarde par la fenêtre le temps qui nous nargue. Froid polaire, canicule moite. Plus loin, les quidams, baromètres terrestres. Finalement, on traverse des passerelles où quelques-unes de nos expériences se prélassent, admettent leur peu d'importance. On a lu le deuxième roman de Mylène Durand, La chaleur avant midi.
Délaissons la froidure de février, prenons quelques jours de congé au Costa-Rica. Descendons dans l'hôtel balnéaire où travaille Clarisse comme femme de ménage. Enfoui dans la nature, proche de la jungle, ce lieu aux abords paradisiaques nous réserve quelques désagréments difficiles à cerner. La chaleur, on le sait, chancit les moindres détails, les noie dans les vagues du Pacifique, omniprésent dans cette histoire de désaveu, que ranime l'arrivée inattendue d'une jeune fille malade, Éloïse. Qui est-elle ? Nul ne le sait. Les questions fusent, les réponses n'existent que dans la tête de Clarisse, Québécoise exilée des années plus tôt au Costa-Rica, abandonnant son mari, sa fillette. Terrifiant secret qu'elle ne partage avec personne, qu'avec Éloïse, croit-elle. L'inconnue ne ressemble-t-elle pas à sa fille ? Même peau si pâle, même cheveux sombres. Même regard interrogateur. Près de Clarisse, la vie chemine entre ses compagnes, elles aussi femmes de ménage, entre les propriétaires de l'hôtel, Carmen et Manuel, leurs cinq enfants, les touristes qui vont et viennent. Entre son amant, Joaquin, qui a deviné que bien des chagrins assaillent Clarisse depuis l'arrivée d'Éloïse. Rétablie, la jeune femme harcèlera Clarisse de ses caprices, de sous-entendus que cette dernière aura du mal à assumer. Ensemble, elles visiteront les sites que l'hôtel a mis au programme des attractions touristiques. Éruption des volcans, attirance dangereuse vers leur cratère en colère. Sur les plages où Clarisse aime se réfugier, Éloïse n'en finit pas de bouleverser celle-ci, sans ne jamais rien révéler. Est-elle venue lui demander des comptes ? Elle instille des paraboles douteuses, pénètre dans le cœur de la femme de ménage, insinuant des propos déconcertants. Elle trouble les hommes, méduse les enfants, son comportement agace, l'atmosphère habituellement détendue s'alourdit, les orages redoublent de violence. Clarisse ne sait plus différencier les rebuffades excessives de la nature, qui se confondent avec la présence accaparante de la jeune touriste. Chacun souhaite qu'elle parte bientôt. Après sa disparition, la vieille Yolanda, mi-sorcière, attise l'angoisse, affirmant à l'un des enfants de Manuel et Carmen qu'Éloïse est encore parmi eux.
Sur ce questionnement partagé entre le doute et la certitude, l'oscillation demeure, l'auteure rappelant au lecteur que rien, jamais, n'est acquis. Que l'oubli de soi, pour parvenir à oublier les autres, est avant tout nécessaire. Même un être humain qui depuis des années se tait. La venue inopinée d'une jeune fille malade suffit à déconstruire ce château de cartes, Clarisse se doit d'endosser la personnalité de celle qu'elle a été ailleurs : une épouse déçue, une mère frustrée.
Roman envoûtant où la chaleur matinale influence les humeurs des habitants de l'hôtel, des touristes, ceux-ci ignorant le drame qui fige les sourires convenus, les paroles qu'oblige la bienséance. Dans la chambre 6, une convalescente s'approprie goutte à goutte, telle une goule avide, le passé d'une femme mais, aussi, immobilise le présent dans un malaise qu'elle semble ne pas vouloir alléger malgré les menaces répétées de la nature. Malgré les réticences de chacun et chacune à la protéger contre elle-même, abandonnée à son tour à ses jeux dangereux. Si ce lieu paradisiaque se libère d'une crispation dont Éloïse est responsable, plus rien ne se vivra comme avant, le rêve avorté éveillant les consciences à ce qu'elles sont en réalité.
Que s'est-il passé dans ces existences parasitées par un corps étranger ? Presque rien, un peu de fatigue causée par la densité de la chaleur. Le ton balzacien qu'instaure la description de la nature environnante nous a fait penser à une longue plainte étouffée entendue au loin, à la douleur d'un secret soudainement éventé, nous ne savons trop de quelle manière indiscrète. Étrange récit soumis à un rythme concis où s'entremêlent réalisme et surnaturel, attestant que les relations humaines s'avèrent fragiles, incertaines.
À lire, pour apprécier une écrivaine qui tient à faire savoir au lecteur que les traditions, même mussées dans une prison dorée, comme l'est une station balnéaire, se révèlent infaillibles, bien que dangereusement déstabilisées à l'arrivée d'une inconnue, elle-même instable et tourmentée.
La chaleur avant midi, Mylène Durand
Éditions de la Pleine Lune, Lachine, 2014, 236 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 2 février 2015
lundi 26 janvier 2015
Au revoir, place au cauchemar *** 1/2
Elle nous a fait rire en s'exclamant, outrée, que nos introductions sont
claires, que certaines personnes ne comprennent rien, ou ne veulent
rien comprendre. Elle mentionne aussi celles qui se dissimulent
derrière le nom d'une ville autre que la leur. On a recommandé à notre amie de se
calmer, puis on a conclu que l'aveuglement volontaire est l'une des
pires calamités qui soit, il use si on n'y prend garde. On a lu le récent roman de Pascal Millet, Sayonara.
L'histoire commence mal, elle ne finit pas mieux. Aux dires de la quatrième de couverture, ce récit se passe dans un village insignifiant de la Côte Nord. Ray, adolescent, rêve de quitter ce semblant de vie, encombré d'une mère dépressive, d'un père alcoolique. Zeb, son frère aîné, lui a promis qu'ils partiraient ensemble au Japon, continent mythique pour Ray. Zeb, qui ravitaillait ses parents et son frère en braconnant, en jouant au poker, a soudainement disparu, personne ne sait ce qu'il est devenu. Tout en faisant de la photo-amateur, Ray mène une enquête discrète. Il ne comprend pas pourquoi Zeb l'a abandonné, de même que son chien. Dans un climat angoissant qui se resserre autour du jeune homme et de Lou, serveuse du bar de Beef, maîtresse de Zeb, il découvrira ce que ses yeux lui défendaient de voir. La tricherie, le mensonge. Les agissements éhontés du père. Deux ou trois trous creusés dans le cimetière. Un homme blessé dans la forêt, retrouvé mort sur la berge d'une rivière. Lou, étouffant dans un étau de sang et de vengeance. Poursuite contre le sort qui s'acharne, le fantôme de Zeb apparaissant dans sa voiture qui, si elle pouvait raconter, se ferait un témoin accablant. Des chemins empoussiérés, enneigés, le ciel et ses étoiles, définissent les saisons pendant lesquelles Ray témoigne de la disparition de son frère. Va-et-vient incessant des personnages entre le bar, la « baraque » familiale, le cimetière, le lac. La rivière, la forêt. On évoque une sinistre scène de théâtre où se baladeraient sans but des comédiens dépassés, usés par leur propre rôle, n'essayant pas de se prémunir contre le malheur qui plane autour d'eux, s'infiltre en eux. Ray marche et court, chasse avec le chien de Zeb. Tire des conclusions naïves fondées sur des suppositions qui ne tiennent qu'au bout d'une carabine, ou d'un revolver trop lourd dans ses mains maladroites. Des ombres funestes rongent chacun des protagonistes, qui se taisent ou s'expriment sous l'effet de l'alcool. Prétexte faillible au remords du père qui se croit responsable d'un accident survenu sur la route, causant la mort d'un enfant. Maladresse qu'il utilisera pour confier un terrible secret à la mère, concernant le départ précipité de Zeb. Ce qui est arrivé après que les cartes ont avoué leur tricherie. Zeb a payé de ses doigts écrasés, Lou a dû se soumettre à des hommes indignes. Monologue infernal qu'elle confiera à Ray, lasse de le voir commettre des bévues dues à l'intransigeance de sa jeunesse. Explose alors la colère de l'adolescent qui, après avoir bravé les amis suspects de Zeb, se répète, tel un lancinant souvenir, les paroles prophétiques de son frère. « C'est quelquefois nécessaire de tuer. » La folie des mots ne l'emportera pas, Ray essaiera de renier son frère, sans y parvenir. Se contentant de lui faire ses adieux. Sayonara Zeb. Le lecteur sort du cauchemar, ne se demandant plus comment se terminera l'aventure. Sur une route, la nuit avec la voiture de Zeb, Lou au volant. Ray, se recueillant sur la tombe de sa mère, y pose le revolver, souhaite que son père vienne au rendez-vous de l'ultime réparation. Ray n'aura plus qu'à se laisser cueillir par Lou, abandonnant ses rêves japonais à un frère qui n'a fait que l'entretenir dans un mensonge grotesque. Ailleurs, n'est-il pas prêt à tout recommencer avec Zeb ? À pardonner ? Ailleurs, mais où ? Sayonara Ray.
Récit intimiste, terriblement efficace et poignant. Le discours se limitant à dénoncer l'inexprimable à coups de mots menaçants, rarement prononcés sur un ton compassé. Le village semble fabriqué de carton, prêt à s'écrouler, les villageois existant peu, relégués à leurs occupations quotidiennes. Personnages de composition. L'essentiel de l'action se déroule entre des hommes malveillants, deux femmes, l'une âgée, l'autre jeune, servant d'exutoire à leurs sinistres desseins. Un drame humain qui, chaque fois qu'il agite ses tentacules voraces, assaille des êtres prisonniers de carcans trompeurs, impossibles à désentraver.
Roman bref, où ce qui doit être accompli l'est avec démesure, rarement avec prudence. Seule la jeunesse dépitée de Ray secoue le village, risque de le transformer en un brasier gigantesque qui tient autant de la vengeance que de la trahison. Les aboiements du chien de Zeb, le bruit du moteur de sa voiture, le crissement des pneus, le saccage dans sa chambre, le nom d'une ville japonaise appris par cœur, Yokosuka, fracas qui infectera une blessure qui jamais, nous le devinons, ne se refermera. Une impression de vide que la maturité de Ray colmatera peut-être, s'il parvient avec Lou à conquérir une ville sans nom, celle-là, engageante. Ray ne dit-il pas à Lou qu'il veut aller le plus loin possible ? Synthèse de la vie quand la jeune femme dépeint une histoire qui, peu à peu, se combine à toutes les autres épreuves.
Un roman noir, certes, qui ne demande qu'à être lu pour en retirer quelques lueurs d'espérance. Ou même en créer. L'écriture sobre, autant concise que la parole des êtres prenant vie sous le crayon expérimenté de l'écrivain, Pascal Millet. On a aimé ce combat sombre et troublant. Une lente élucidation d'un mystère traquant des zones humaines trop longtemps laissées à l'abandon.
Sayonara, Pascal Millet
Éditions XYZ, Montréal 2014, 162 pages
L'histoire commence mal, elle ne finit pas mieux. Aux dires de la quatrième de couverture, ce récit se passe dans un village insignifiant de la Côte Nord. Ray, adolescent, rêve de quitter ce semblant de vie, encombré d'une mère dépressive, d'un père alcoolique. Zeb, son frère aîné, lui a promis qu'ils partiraient ensemble au Japon, continent mythique pour Ray. Zeb, qui ravitaillait ses parents et son frère en braconnant, en jouant au poker, a soudainement disparu, personne ne sait ce qu'il est devenu. Tout en faisant de la photo-amateur, Ray mène une enquête discrète. Il ne comprend pas pourquoi Zeb l'a abandonné, de même que son chien. Dans un climat angoissant qui se resserre autour du jeune homme et de Lou, serveuse du bar de Beef, maîtresse de Zeb, il découvrira ce que ses yeux lui défendaient de voir. La tricherie, le mensonge. Les agissements éhontés du père. Deux ou trois trous creusés dans le cimetière. Un homme blessé dans la forêt, retrouvé mort sur la berge d'une rivière. Lou, étouffant dans un étau de sang et de vengeance. Poursuite contre le sort qui s'acharne, le fantôme de Zeb apparaissant dans sa voiture qui, si elle pouvait raconter, se ferait un témoin accablant. Des chemins empoussiérés, enneigés, le ciel et ses étoiles, définissent les saisons pendant lesquelles Ray témoigne de la disparition de son frère. Va-et-vient incessant des personnages entre le bar, la « baraque » familiale, le cimetière, le lac. La rivière, la forêt. On évoque une sinistre scène de théâtre où se baladeraient sans but des comédiens dépassés, usés par leur propre rôle, n'essayant pas de se prémunir contre le malheur qui plane autour d'eux, s'infiltre en eux. Ray marche et court, chasse avec le chien de Zeb. Tire des conclusions naïves fondées sur des suppositions qui ne tiennent qu'au bout d'une carabine, ou d'un revolver trop lourd dans ses mains maladroites. Des ombres funestes rongent chacun des protagonistes, qui se taisent ou s'expriment sous l'effet de l'alcool. Prétexte faillible au remords du père qui se croit responsable d'un accident survenu sur la route, causant la mort d'un enfant. Maladresse qu'il utilisera pour confier un terrible secret à la mère, concernant le départ précipité de Zeb. Ce qui est arrivé après que les cartes ont avoué leur tricherie. Zeb a payé de ses doigts écrasés, Lou a dû se soumettre à des hommes indignes. Monologue infernal qu'elle confiera à Ray, lasse de le voir commettre des bévues dues à l'intransigeance de sa jeunesse. Explose alors la colère de l'adolescent qui, après avoir bravé les amis suspects de Zeb, se répète, tel un lancinant souvenir, les paroles prophétiques de son frère. « C'est quelquefois nécessaire de tuer. » La folie des mots ne l'emportera pas, Ray essaiera de renier son frère, sans y parvenir. Se contentant de lui faire ses adieux. Sayonara Zeb. Le lecteur sort du cauchemar, ne se demandant plus comment se terminera l'aventure. Sur une route, la nuit avec la voiture de Zeb, Lou au volant. Ray, se recueillant sur la tombe de sa mère, y pose le revolver, souhaite que son père vienne au rendez-vous de l'ultime réparation. Ray n'aura plus qu'à se laisser cueillir par Lou, abandonnant ses rêves japonais à un frère qui n'a fait que l'entretenir dans un mensonge grotesque. Ailleurs, n'est-il pas prêt à tout recommencer avec Zeb ? À pardonner ? Ailleurs, mais où ? Sayonara Ray.
Récit intimiste, terriblement efficace et poignant. Le discours se limitant à dénoncer l'inexprimable à coups de mots menaçants, rarement prononcés sur un ton compassé. Le village semble fabriqué de carton, prêt à s'écrouler, les villageois existant peu, relégués à leurs occupations quotidiennes. Personnages de composition. L'essentiel de l'action se déroule entre des hommes malveillants, deux femmes, l'une âgée, l'autre jeune, servant d'exutoire à leurs sinistres desseins. Un drame humain qui, chaque fois qu'il agite ses tentacules voraces, assaille des êtres prisonniers de carcans trompeurs, impossibles à désentraver.
Roman bref, où ce qui doit être accompli l'est avec démesure, rarement avec prudence. Seule la jeunesse dépitée de Ray secoue le village, risque de le transformer en un brasier gigantesque qui tient autant de la vengeance que de la trahison. Les aboiements du chien de Zeb, le bruit du moteur de sa voiture, le crissement des pneus, le saccage dans sa chambre, le nom d'une ville japonaise appris par cœur, Yokosuka, fracas qui infectera une blessure qui jamais, nous le devinons, ne se refermera. Une impression de vide que la maturité de Ray colmatera peut-être, s'il parvient avec Lou à conquérir une ville sans nom, celle-là, engageante. Ray ne dit-il pas à Lou qu'il veut aller le plus loin possible ? Synthèse de la vie quand la jeune femme dépeint une histoire qui, peu à peu, se combine à toutes les autres épreuves.
Un roman noir, certes, qui ne demande qu'à être lu pour en retirer quelques lueurs d'espérance. Ou même en créer. L'écriture sobre, autant concise que la parole des êtres prenant vie sous le crayon expérimenté de l'écrivain, Pascal Millet. On a aimé ce combat sombre et troublant. Une lente élucidation d'un mystère traquant des zones humaines trop longtemps laissées à l'abandon.
Sayonara, Pascal Millet
Éditions XYZ, Montréal 2014, 162 pages
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