Âgée de quatre-vingts ans, elle affirme que les déboires de son existence ont dévoré la bonté innée en chaque être humain. Hier, elle a vu un film qui a bouleversé les spectateurs. Elle, elle n'a ressenti qu'un profond ennui émanant de la situation romanesque d'un couple qui se sépare. Il y a cent manières de décrire deux cœurs qui se brisent mutuellement, peut-être celle-ci n'était pas la bonne pour l'attendrir. On la console, sans trop y croire. On a lu le roman de Fanie Demeule, Roux clair naturel.
En cette époque où un peu partout dans le monde, il est question d'identité perdue, d'abandons territoriaux, de refuges hasardeux, pour échapper à la misère guerrière, à la famine dans son propre pays, nous nous heurtons, dans ce roman, à la prise de conscience de soi-même à partir d'une chevelure. Il suffit de peu pour se pencher sur ce que nous représentons face à quelques personnes qui nous font nous questionner sur d'apparentes futilités. Est-ce important d'être blonde ou brune, rousse ? De falsifier sa teinte naturelle de cheveux pour appâter un homme attiré par les femmes rousses ? Il semblerait que cela s'avère une question de survie, après avoir suivi le périple de la jeune narratrice de ce récit audacieux, préoccupée qu'elle est par ses allures de fausse rousse, essayant sans y parvenir tout à fait à rechercher la teinte nuancée qui séduirait son amoureux. La fiction se déroule sur cinq années environ, le temps de terminer le cégep, d'enseigner à l'université, d'acheter une maison, croyant prendre ainsi son amant en otage. À la décharge de celui-ci, il se plie, sans se faire prier, aux désirs de sa jeune compagne. Fausse rousseur que lui rappellent sans cesse sa mère, ses amis. Obsession qui frôle le cauchemar à la moindre remarque désobligeante sur ses cheveux. Fixation douteuse qu'elle tient de sa grand-mère qui, durant sa vie, a caché à son mari qu'elle s'était fait arracher toutes ses dents à dix-huit ans. Femmes outrancières qui se plaisent dans des situations extrêmes, la narratrice ne choisit-elle pas un « parfum idéal pour couvrir les odeurs d'ammoniaque et de peroxyde. » Elle joue au chat et à la souris avec son conjoint, profitant de ses absences pour, enfermée dans la salle de bains, briguer la couleur idéale de la chevelure des rousses, mais surtout, recouvrir ses racines, brunes, rêvant d'être une « rousse Supérieure ». Les nuances reflétées doivent concorder avec la pâleur de sa peau, se référant à des femmes momentanément célèbres, comme Lindsay Lohan. « Comme elle, je passe par toutes les palettes offertes. » Est-elle heureuse de ces cachotteries qui la minent ? Même le factice, l'artificiel, la rongent. Des ratages colorants la font courir chez la coiffeuse, sa chevelure brûlée par de malencontreux abus capillaires, casse par poignées, qu'elle réussit à camoufler sous son épaisseur.
Elle, aux attitudes rebelles, se soumet sans rechigner à la banalité de la vie quotidienne. Elle prépare les repas, fait le ménage, ramasse les feuilles mortes dans la cour, toujours avec la pensée récurrente que son conjoint se rende compte de son subterfuge. Son angoisse est si intolérable qu'elle prend rendez-vous chez une psychologue qui ne résoud aucun de ses troubles. Même dans le métro, elle repère les roux puis les fuit. Sur un coup de tête, elle organise un voyage en Écosse, sa grand-mère n'origine-t-elle pas de ce pays, cette dernière la priant de se rendre « au patelin de sa mère, dans les Highlands... » Le voyage sera périlleux, son obnubilation ne la quittant jamais. Étrangement, son compagnon semble peu inquiet de sa nervosité, elle réussit à se calmer en ayant recours à des souvenirs familiaux qui lui procurent momentanément une assurance qu'elle est incapable d'assumer auprès d'un homme qui ne jure que par la beauté des femmes rousses. Chevelure tyrannique et amour jaloux s'entremêlent, s'amalgament dangereusement, le moindre compliment la tourmente, elle se précipite dans une pharmacie pour acheter ses bouteilles de teinture. Elle doit se rendre à l'évidence, il est impossible que son compagnon qui, chaque soir, lui fait des tresses, ignore la teinte naturelle de ses repousses. Nous supposons qu'il se doute, qu'il sait, qu'il se tait. Le mensonge est trop violent à dissimuler, elle en perd le souffle, lui écrit une lettre qu'elle n'aura pas le courage de lui remettre, la lui enverra par courriel. N'affirme-t-elle pas que la fin est proche ? « Je reconnais qu'il est doux de perdre la conscience de ses malheurs, de s'abandonner au risque de tout perdre. »
On pense aux immigrants qui, se référant de nulle part, adoptent l'accueil d'un pays étranger, ne sachant trop s'ils continueront à y vivre, affirmant pour s'en convaincre que leur vie d'autrefois, sur leurs propres terres, ne compte plus. Cependant, contaminés par des réminiscences qui, brusquement, les aveuglent, comme le symbolisera la narratrice pour échapper au traquenard de la survie. Où se niche l'identité sinon dans des choses minimes, desquelles on ignorait le pouvoir. C'est un roman initiatique, certes, mais confronté aux pièges du mensonge, éveillant notre curiosité aux rapports de soi avec d'apparentes futilités. Qui croirait que la texture d'une chevelure flamboyante, risque de nous entrouvrir les portes grinçantes de la folie, la tricherie intentionnelle ne réglant aucun de nos déboires. Les origines, qu'elles appartiennent à un pays, à une chevelure, trahissent à un moment donné la conviction que nous sommes dans le vrai. Le silence, tel celui du compagnon de la narratrice, dévoilant une intrigue plus complexe que les agissements complotés de sa compagne. On a aimé que aucun soupçon de moralité ne surgisse à quelque coin de l'histoire, la romancière se tenant proche de la concision de son écriture, convenant parfaitement aux éparpillements désordonnés de sa protagoniste. La concision mais, aussi, des effets poétiques chatoyant les reflets déambulatoires de son parcours soumis à des exagérations, la chevelure devenant ainsi un personnage attractif.
Roux clair naturel, Fanie Demeule
Éditions Hamac, Québec, 2019, 155 pages
Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 3 juin 2019
lundi 27 mai 2019
Les sournoiseries du corps et de la mémoire *** 1/2
Plus on vieillit, plus on apprécie le soleil et ses apparats. Sa chaleur qu'on attend depuis le premier jour de l'hiver, refusant de l'oublier tel un amant abandonné à sa piètre destinée. On se laisse envelopper par ses rayons, bras chauds qui, parfois, nous consument pour le bien-être des années qui nous restent à vivre et à aimer. On a lu les nouvelles de Michel Dufour, Cette part d'obscurité.
Voici un thème rarement exploité dans les recueils de nouvelles actuels. Fait-il peur ou bien la vieillesse nous tient-elle en otages quand nous parvenons à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, sans éprouver la nécessité d'en rajouter davantage ? À défaut de l'aborder avec sagesse, surtout pas avec résignation, l'auteur a usé d'ironie pour nous inciter à vivre loin de ses embarras. Douze récits que nous abordons avec une curiosité indécise. Vieillesse et jeunesse s'y côtoient, établissant une sorte de relief charnel entre le passé et le présent. Comme d'habitude, on ne mentionnera pas la majorité de ces fictions, quelques-unes nous ayant plus touchée que d'autres. Tel un symbole, la première nouvelle, La maladie de Paco Nino, met en action un jeune garçon atteint d'une maladie rare. Il vieillit prématurément dans un corps d'enfant, devant se résoudre à accepter cette anomalie de la nature. Sur Facebook, il publie des photos qui rejoindront une fillette atteinte du même mal intolérable. Elle l'invite à la rencontrer même si elle habite au bout d'un monde. Souhait que réaliseront les parents de Paco, au détriment de ses dernières forces. La fin s'avère celle d'un conte, des papillons jusque-là invisibles, prélude à la mort, atteignent la joue de la fillette, Paco et elle ont écrit une histoire qu'ils doivent terminer en un élan vertigineux. Une aura de surréalisme baigne tous les textes, atténue l'angoisse qui, à la suite d'un incident imprévisible, taraude les protagonistes. Les bonbons-lumière, nouvelle insolite, confirme ce qu'on avance. Les sucreries d'un vieux bonhomme bougon qui tient une petite épicerie, attirent les enfants, surtout Loulou, fillette intrépide, qui ne « manque pas de cran » pour essayer d'amadouer le bonhomme Godbout. Ce jour-là, c'est la cave qui l'intrigue, elle est persuadée que des trésors s'y logent. La suite du conte — c'en est un — est un régal pour l'imagination fertile des enfants, pour les adultes qui croient encore à la transcendance des objets. La fiction Une grosse fringale, nous entraine loin des péripéties rationnelles qui gouvernent sans cesse notre existence. Une histoire de poisson dans un bocal qui sera dévoré par une mère gloutonne, obèse. Son fils adolescent raconte ses faims insatiables à lui, celles de sa mère, tributaire du bien-être social. Un jour où celle-ci s'est absentée, il a voulu nourrir le poisson. La conclusion est rabelaisienne, on en laisse la surprise au lecteur.
Cependant, la lecture se fait plus exigeante. Nous entrons dans les phases douloureuses de la vieillesse, partagée par des femmes et hommes, pour ainsi dire prisonniers de douteuses maisons de retraites. L'ironie devient percutante, comme pour dissimuler le malaise que le lecteur éprouve en scrutant les dernières années de pensionnaires qui, lucides ou déjà égarés, attendent la mort. La fiction traitant du dépouillement mental et physique, Le bel âge vaut son pesant d'or, en dit peu sur le sujet, combien révélateur entre les lignes et les mots. Dans une résidence, les pensionnaires se préparent sans enthousiasme à recevoir la fonctionnaire de la Direction de la protection de la vieillesse. Vérification de routine. Complicité entre la directrice de la résidence et la fonctionnaire. C'est un des retraités qui narre la visite, suspecte en bien des points. D'abord, le ton condescendant de la visiteuse, celui mielleux de la directrice, la nervosité de la préposée du jour. Le titre du recueil justifie les soupçons du vieux narrateur, qui laisse entendre que des « choses » se passent dans ces lieux, qu'il ne révèlera pas. Il se garde « une petite gêne »... Il y a aussi des femmes âgées qui désirent rester dans leur maison pour y mourir. L'une est harcelée par une bru ambitieuse, une autre, affolée par un artefact insolite qui se balade sur une plage. Un ancien nazi, rattrapé par les horreurs qu'il a commises pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des hallucinations, sous forme de petits carrosses où des poupées semblent dormir, le dirigeront droit vers la catastrophe. Le dernier récit qui clôt le livre nous a étonnée, bien qu'il contienne tous les ingrédients déversés dans l'ensemble de ces histoires peu communes. Un écrivain âgé veut se venger d'un jeune auteur qui se révèle un imposteur, aux dires du vieil homme. Là encore, l'afflux d'une imagination débordante. Est-il dû à l'écrivain, Michel Dufour, ou au vieil écrivain qui, jamais, ne pardonnera à son jeune pair ? Même le monde céleste où repose le vieil homme n'y pourra rien quand, à son tour, son rival littéraire attitré vieillira. Cette nouvelle a fait jaillir en notre mémoire, l'histoire peu banale de Romain Gary et de son double, Émile Ajar...
Des nouvelles qui nous ont fait vivre moult émotions. Du sourire à la compassion. De l'indignation à l'étonnement. On ose écrire qu'un brin de perversité pimente ces histoires, qui nous a réjouie, accentuant l'effet empoisonné que ressentent ces vieilles personnes s'agitant entre les divers déchirements que fomente l'âge avancé. Décryptant l'inutilité des choses qui ne servent plus à rien, sinon à observer le comportement de ses semblables enfermés avec soi-même, victimes de gens qui, se retirant dans le déni, s'astreignent à croire que la vieillesse est un accident de parcours qui n'arrive qu'aux autres. Déniant de cette manière consciente le travail lent mais impitoyable qui opère sur le corps et dans la mémoire. Miroir infaillible du temps qui s'écoule, qu'a su si bien dépeindre un écrivain perspicace avant que l'accablent les premières griffures sournoises d'un âge caduc.
Cette part d'obscurité, Michel Dufour
Éditions Sémaphore, Montréal, 2019, 85 pages
Voici un thème rarement exploité dans les recueils de nouvelles actuels. Fait-il peur ou bien la vieillesse nous tient-elle en otages quand nous parvenons à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, sans éprouver la nécessité d'en rajouter davantage ? À défaut de l'aborder avec sagesse, surtout pas avec résignation, l'auteur a usé d'ironie pour nous inciter à vivre loin de ses embarras. Douze récits que nous abordons avec une curiosité indécise. Vieillesse et jeunesse s'y côtoient, établissant une sorte de relief charnel entre le passé et le présent. Comme d'habitude, on ne mentionnera pas la majorité de ces fictions, quelques-unes nous ayant plus touchée que d'autres. Tel un symbole, la première nouvelle, La maladie de Paco Nino, met en action un jeune garçon atteint d'une maladie rare. Il vieillit prématurément dans un corps d'enfant, devant se résoudre à accepter cette anomalie de la nature. Sur Facebook, il publie des photos qui rejoindront une fillette atteinte du même mal intolérable. Elle l'invite à la rencontrer même si elle habite au bout d'un monde. Souhait que réaliseront les parents de Paco, au détriment de ses dernières forces. La fin s'avère celle d'un conte, des papillons jusque-là invisibles, prélude à la mort, atteignent la joue de la fillette, Paco et elle ont écrit une histoire qu'ils doivent terminer en un élan vertigineux. Une aura de surréalisme baigne tous les textes, atténue l'angoisse qui, à la suite d'un incident imprévisible, taraude les protagonistes. Les bonbons-lumière, nouvelle insolite, confirme ce qu'on avance. Les sucreries d'un vieux bonhomme bougon qui tient une petite épicerie, attirent les enfants, surtout Loulou, fillette intrépide, qui ne « manque pas de cran » pour essayer d'amadouer le bonhomme Godbout. Ce jour-là, c'est la cave qui l'intrigue, elle est persuadée que des trésors s'y logent. La suite du conte — c'en est un — est un régal pour l'imagination fertile des enfants, pour les adultes qui croient encore à la transcendance des objets. La fiction Une grosse fringale, nous entraine loin des péripéties rationnelles qui gouvernent sans cesse notre existence. Une histoire de poisson dans un bocal qui sera dévoré par une mère gloutonne, obèse. Son fils adolescent raconte ses faims insatiables à lui, celles de sa mère, tributaire du bien-être social. Un jour où celle-ci s'est absentée, il a voulu nourrir le poisson. La conclusion est rabelaisienne, on en laisse la surprise au lecteur.
Cependant, la lecture se fait plus exigeante. Nous entrons dans les phases douloureuses de la vieillesse, partagée par des femmes et hommes, pour ainsi dire prisonniers de douteuses maisons de retraites. L'ironie devient percutante, comme pour dissimuler le malaise que le lecteur éprouve en scrutant les dernières années de pensionnaires qui, lucides ou déjà égarés, attendent la mort. La fiction traitant du dépouillement mental et physique, Le bel âge vaut son pesant d'or, en dit peu sur le sujet, combien révélateur entre les lignes et les mots. Dans une résidence, les pensionnaires se préparent sans enthousiasme à recevoir la fonctionnaire de la Direction de la protection de la vieillesse. Vérification de routine. Complicité entre la directrice de la résidence et la fonctionnaire. C'est un des retraités qui narre la visite, suspecte en bien des points. D'abord, le ton condescendant de la visiteuse, celui mielleux de la directrice, la nervosité de la préposée du jour. Le titre du recueil justifie les soupçons du vieux narrateur, qui laisse entendre que des « choses » se passent dans ces lieux, qu'il ne révèlera pas. Il se garde « une petite gêne »... Il y a aussi des femmes âgées qui désirent rester dans leur maison pour y mourir. L'une est harcelée par une bru ambitieuse, une autre, affolée par un artefact insolite qui se balade sur une plage. Un ancien nazi, rattrapé par les horreurs qu'il a commises pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des hallucinations, sous forme de petits carrosses où des poupées semblent dormir, le dirigeront droit vers la catastrophe. Le dernier récit qui clôt le livre nous a étonnée, bien qu'il contienne tous les ingrédients déversés dans l'ensemble de ces histoires peu communes. Un écrivain âgé veut se venger d'un jeune auteur qui se révèle un imposteur, aux dires du vieil homme. Là encore, l'afflux d'une imagination débordante. Est-il dû à l'écrivain, Michel Dufour, ou au vieil écrivain qui, jamais, ne pardonnera à son jeune pair ? Même le monde céleste où repose le vieil homme n'y pourra rien quand, à son tour, son rival littéraire attitré vieillira. Cette nouvelle a fait jaillir en notre mémoire, l'histoire peu banale de Romain Gary et de son double, Émile Ajar...
Des nouvelles qui nous ont fait vivre moult émotions. Du sourire à la compassion. De l'indignation à l'étonnement. On ose écrire qu'un brin de perversité pimente ces histoires, qui nous a réjouie, accentuant l'effet empoisonné que ressentent ces vieilles personnes s'agitant entre les divers déchirements que fomente l'âge avancé. Décryptant l'inutilité des choses qui ne servent plus à rien, sinon à observer le comportement de ses semblables enfermés avec soi-même, victimes de gens qui, se retirant dans le déni, s'astreignent à croire que la vieillesse est un accident de parcours qui n'arrive qu'aux autres. Déniant de cette manière consciente le travail lent mais impitoyable qui opère sur le corps et dans la mémoire. Miroir infaillible du temps qui s'écoule, qu'a su si bien dépeindre un écrivain perspicace avant que l'accablent les premières griffures sournoises d'un âge caduc.
Cette part d'obscurité, Michel Dufour
Éditions Sémaphore, Montréal, 2019, 85 pages
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