Si les vacances estivales se pointaient à l'horizon, on recommanderait la lecture d'un roman qui nous a fait sourire... Après avoir parlé de livres graves et réfléchis, il est plaisant de flâner au soleil, un bouquin divertissant serré entre les doigts. Avril nous permet enfin de savourer le printemps qui nous assure de la longueur de ses journées, de ses promesses de chaleur, assise à une terrasse, les pages du roman qui nous a fait sourire voletant dans la brise. On nomme Belle-Bite le hobo, À la poursuite de Jonas 1, signé Hector Vigo, patronyme Guy Genest.
Le roman s'ouvre sur l'itinérant Jonas qui, de passage à Québec, arpente la ville qu'il ne connaît pas, une nuit de froid intense. Il s'arrête pour vider sa vessie sans savoir que, proche de lui, se tient l'itinérante Betty-la-Bombe, « blottie dans une encoignure sous un amoncellement de papier journal ». En admirant le « biblique organe » de Jonas, elle se jure d'en retrouver le propriétaire, alors que lui a déguerpi, s'enfonçant dans la nuit glaciale. À partir du membre convoité, toutes sortes de tribulations cocasses feront s'entrecroiser une magistrale poignée d'individus, évoluant dans une société de rats réfugiés dans les égouts de Québec. Il est troublant de penser que sous nos pieds, une vie secrète détient ses propres lois, sa faune souterraine fomentant de cruelles revanches. Nous connaissons le trafic assourdissant des égouts de New York, mais que des humains s'activent avec une multitude de rats dans les bas-fonds fétides de Québec incite le lecteur à poursuivre l'histoire captivante d'hommes et de femmes, dont le but disparate les rassemble dans la cave du Conseil, pour se confronter durement à leurs dangereux dilemmes.
Jonas, alias Belle-Bite, surnommé ainsi par Betty-la-Bombe, prisonnier d'un groupe de rats dirigé par le Grand Bernie, le Roi des rats, doit être livré au Polonais Vladimir le Borgne, un homme monstrueux au visage défoncé lors d'une attaque de malfrats, à Saint-Diego. Il est convaincu que Jonas a été témoin de sa maltraitance sans intervenir auprès de ses tortionnaires. De son côté, Betty-la-Bombe, persuadé que Jonas s'est engouffré dans les égouts, part à sa recherche avec ses deux amies, Piment et Roxy, itinérantes comme elle. Il y a aussi la Brigade des égouts qui extermine les rats, ceux-ci n'hésitant pas à tuer les agents de ladite Brigade pour se nourrir. La population compte sur le lieutenant Vincent Bouillon et ses hommes pour « juguler l'infecte menace que la prolifération des rats faisait peser sur tous [...] » Soupçonneux, les uns et les autres qui cheminent dans les « intestins nauséabonds de la ville », iront de surprise en surprise. Toutefois, aucune moralité n'est à tirer de cette fable gigantesque, la conclusion échappant à une finalité probable. L'auteur, Hector Vigo, intervenant parfois dans l'action, tel un témoin voyeur, complice des décisions farfelues ou irrationnelles de ses personnages, n'a pas jugé utile de s'arrêter en si bon chemin. La déroute causée par des faits survenus inopinément, entraîne Jonas, Betty-la-Bombe, Vladimir le Borgne, Vincent Bouillon et ses acolytes, dans des échappatoires qui vaudront au lecteur la description jouissive de péripéties burlesques... Au passage du terrible ouragan humain qui a chassé plusieurs intrus hors des égouts, le massacre des rats a été inévitable.
Pourtant, ne nous y trompons pas. Derrière ces rencontres inaccoutumées de rats et d'humains combattant pour ne pas périr, se dissimulent des vérités que l'auteur glisse intentionnellement. D'ailleurs, quelques-uns des protagonistes et les rats n'ont-ils pas un langage commun, l'un des points forts du roman. Ceux et celles qui communiquent avec les muridés privilégient une part d'innocence dissimulée en eux. Jonas n'a-t-il pas toujours fui pour échapper à ses grands-parents qui « la nuit, s'adonnaient à leurs cochonneries sans plus s'occuper de lui. » ? Ces derniers ont recueilli l'enfant « quand ses parents étaient morts dans l'incendie de leur maison. » Prisonnier du Grand Bernie, surveillé par une troupe de rats vindicatifs, des souvenirs de sa triste enfance renaîtront à ses dépens. Ce qui lui permettra de renouer avec une force mentale qu'il pensait perdue, de ressentir des désirs sexuels qu'il a rarement assouvis. Au fur et à mesure que les acteurs creusent leur propre drame, des fragments du passé surgissent, remettant en cause ce qu'ils sont devenus, pour la plupart, suspicieux, gonflés de hargne.
Cependant, une question se pose. Comment aurait été perçu ce roman au langage cru, qu'on a évité de reproduire ici, dédié entre autres à la regrettée Gabrielle Gourdeau, s'il avait été rédigé par une femme ? On salue le courage de Josée Bonneville, nouvelle directrice littéraire de chez XYZ, d'avoir publié tel quel cet ouvrage. N'ignorant point les insolences verbales de Gabrielle Gourdeau, qui, malheureusement, ont desservi son œuvre, on doute encore de l'évolution des mœurs langagières quand il s'agit de promulguer un livre aux accents sulfureux écrit au féminin. En attendant une réponse favorable à notre question épineuse, régalons-nous des intrigues désopilantes, manigancées habilement par Hector Vigo. Savoureuses, crédibles malgré l'inusité du sujet, elles sont dépeintes sans prétention. Une fable délectable dont on attend avec patience le tome 2, titré Les malheurs de Siphon, (bonjour, comtesse de Ségur !) peut-être au printemps prochain...
Belle-Bite le hobo. À la poursuite de Jonas 1, Hector Vigo
Les éditions XYZ inc. Montréal, 2010, 220 pages
Ce roman est sur ma pile. J'ai trouvé à prime abord qu'il avait l'air très amusant. Je reviendrai lire votre commentaire en profondeur (je retiens votre interrogation du dernier paragraphe) après ma lecture, pour mon obsession de le découvrir avant de lire sur le sujet. D'ailleurs, je fais la même chose pour La Recrue du mois, je lis les critiques des médias que l'on publie sur notre site seulement après.
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