samedi 10 novembre 2007

La flûte et le saxophone


Il était une fois un poète qui avait rencontré un philosophe. Peu de paroles avaient été prononcées, mais un échange épistolaire les avait animés. Sur leur route se tenait un éditeur qui avait hâte de publier leur correspondance. C'est ainsi que le poète Martin Thibault et le philosophe Pierre Bertrand nous font part de l'intimité de leurs pensées pour échafauder un dialogue où la poésie se hisse, tel un mystérieux personnage. On pense aussi à deux voix musicales qui s'interpellent et se répondent. La voix de Martin Thibault aurait l'humeur vagabonde de la flûte, celle de Pierre Bertrand l'ample sonorité du saxophone.

Pour savourer ce bonheur de réflexion intense, le lecteur doit se laisser aller à la magie de cette rencontre entre deux hommes qui consacrent leur temps à l'écriture. Si tous deux élaborent autour de la poésie, s'interrogeant sur la condition du poète qui «s'ouvre à quelque chose de plus grand que soi», ils témoignent de la nature sans laquelle l'écriture ne serait rien, de la mort que nous devons accepter pour créer. Pierre Bertrand nous questionne : «De tous les défis, pouvons-nous vivre vraiment sans mourir?» Ce sujet ne cesse aussi de nous interroger sur nos capacités à vivre. Nous tournons en rond puisque la vie et la mort sont indissociables de la nature que nous contemplons jusqu'au vertige. Pour s'exposer aux moindres événements qui surviennent dans la vie du poète et qui l'inspirent, il lui faut mourir chaque fois pour revivre, le temps nécessaire à fixer les mots - les «cueillir» - pour mieux les savourer et s'en réjouir. Peut-on parler de commotion? De l'ébranlement de l'être humain face au miracle de l'acte d'écriture?

Chacun à sa manière, le poète et le philosophe s'expriment sur sa façon de voir le monde, de s'en servir comme exutoire. Ce qui nous vaut des pages magnifiques de Pierre Bertrand sur l'art d'écrire. Le pourquoi et le comment s'imposant comme une nécessité à résoudre cette «entreprise». Si la philosophie se nourrit davantage d'idées et de concepts, elle répond magistralement au désir du poète Martin Thibault de se vouloir rassuré. Avec un sentiment mêlé de rage et de plénitude, ce dernier nous fait part de sa souffrance inhérente à l'acte d'écrire, mais aussi de sa joie quand le poème s'expose à la lumière, toutes les lumières. Il nous dit aussi que rien ne se crée seul, que le poète, malgré ses tâtonnements, ne peut s'isoler de la complicité de l'écriture du peintre, du musicien, des autres créateurs. Le poème est salvateur! La joie de Martin Thibault est absolue mais innommable quand le poème se définit comme hymne de vie.

Pour rendre compte de ce lien entre deux hommes qui se rejoignent et se complètent, il faudrait s'appesantir sur chaque mot, sur chaque phrase. Le livre se déroule comme une spirale. Tout d'abord, Martin Thibault et Pierre Bertrand décrivent avec prudence et éloquence à la fois - d'où des effets aporétiques -, leur point de vue sur la poésie et la philosophie. Puis, nous ouvrant les portes de leur «atelier», nous les discernons comme deux êtres distincts avant de percevoir avec bonheur que leurs pensées et eux-mêmes - leur style - s'amalgament en un semblable cheminement. L'effet en est saisissant, tels les deux instruments de musique - flûte et saxophone - s'accordant en un dernier mouvement qui nous dépeindrait l'amour de la vie. D'ailleurs, cet échange épistolaire se termine sur ce vocable : vie. Vie invivable pour Martin Thibault si «la poésie des poètes» n'était liée aux entre-deux des grands et petits événements. Vie, «indistinction du corps et de l'esprit» conclut Pierre Bertrand. Un élan similaire et généreux unit ces deux penseurs dans l'immanence d'écrire et dans leur foi «en la vertu de la persévérance.»

Merci à l'éditeur de sa démarche fructueuse. Nous l'encourageons à «multiplier les occasions de ce type de rencontre.»



Paroles de l'intériorité, dialogue autour de la poésie,
Pierre Bertrand, Martin Thibault,
éditions Liber, 2007, 136 pages