lundi 9 juin 2008

Adieu Indochine, bonjour Viêt Nam !


L'été s'inscrivant à nos portes, il est toujours plaisant de déguster un livre de voyage. Nous visitons un pays que d'autres yeux ont contemplé pour nous. Il n'y a qu'à se laisser porter par une voix nous décrivant les reliefs de différents paysages, la manière de vivre de ses habitants, leurs mœurs, leurs coutumes. Nous ne sommes pas obligés d'y croire tout à fait, nous nous laissons bercer par un rythme estival.

Alain Olivier nous invite à le suivre au Viêt Nam, voyage qu'il a entrepris avec sa conjointe, Anna, et leur jeune fils de onze ans, Daniel. Pendant cent jours, tous les trois sillonneront, du nord au sud, un pays stigmatisé par le colonialisme et la guerre... L'auteur s'attarde peu sur ces outrages douloureux et se refuse aussi à tout commentaire politique. En divers tableaux plus ou moins longs, il adresse des lettres à sa mère, remplies d'impressions multiples. Confidences qu'il n'aurait pu lui faire de vive voix. Double itinéraire qui témoigne de la quête d'identité d'un homme de quarante ans. On se réjouit que son regard déployé sur les Vietnamiens et Vietnamiennes en capte le sourire constant, peut-être le meilleur d'eux-mêmes. Cependant, la question se pose : que se cache-t-il derrière cet éternel sourire ? Ce qui nous vaut une interrogation sur les personnes qui ne sourient jamais. Plus loin, on lit ceci : « Et vous finissez par voler aux plus pauvres de la planète la seule chose dont vous n'aviez pas réussi à vous emparer : le sourire. » Chaque fois que l'auteur aborde un sujet dense, il plonge dans des zones obscures qui, on le sent au cours du récit, lui font parcourir des distances inappréciables jusqu'à l'enfance. Son jeune fils, Daniel, lui renvoie l'image de l'enfant timide et réservé qu'il a été, l'envers du garçon qu'il a conçu, extraverti, affable, attiré vers ces gens qu'il ne connaît pas, à la langue incompréhensible. L'auteur, Anna et Daniel, des mordus de balades à vélo, découvrent des hameaux paysans, assistent à des fêtes peu fréquentées par les touristes conventionnels que tous les trois évitent. Si les touristes engraissent l'économie du pays, ils y sèment une forme de pollution irrespirable, celle de l'abondance des pays occidentaux. Regards aveuglés par l'arrogance. On voit mal l'un d'entre eux nous dépeindre « le goût de l'eau, un doux zéphir à l'odeur de sapinède... » Il faut voyager dans l'intimité d'un pays et de ses habitants pour ressentir à quel point les odeurs nous pénètrent, assaillent nos sens. Ce sont les yeux du cœur qui nous sollicitent. Ce qu'on nomme des tableaux - lettres envoyées à la mère - sont presque tous émouvants. Il s'agit d'une conquête personnelle à partir du regard posé sur un enfant vietnamien, sur les femmes - la beauté des femmes vietnamiennes bouleverse Alain Olivier -, parfois sur un arbre, un coucher de soleil. Un lac. Des tableaux-lettres portant tous un sous-titre, la gravité et la candeur de quelques-uns ressortent : « L'identité », « La prière », « Le jardin secret », « Regarde-moi », « Faire la sourde oreille », « Au bout de nos rêves », « Marcher », et bien d'autres plus abrupts, telles des touches intimistes, visant peut-être à distraire le lecteur de la souffrance muette d'un peuple. On aime aussi la balade « sur le bord du lac Tuyên Lâm, [...] au beau milieu de la pinède ». L'auteur nous apprend que de « vastes pinèdes [...] entourent la ville. » On cite Dà Lat où se cultive un «délicieux petit vin blanc... » Ainsi, des scènes de vie très simples font le bonheur de l'auteur, d'Anna et de Daniel, le voyou du livre intitulé Voyage au Viêt Nam avec un voyou !

Les étapes du voyage et du récit seront ponctuées de scènes relatant les faits et gestes de Daniel ; on regrette qu'Anna soit laissée un peu dans l'ombre... À travers les rapports de l'enfant avec les Vietnamiens, l'émerveillement du père ne cesse de croître sur la facilité avec laquelle il est possible d'établir, grâce à l'innocence, une complicité avec des personnes jeunes et âgées. La disponibilité du cœur est la cause d'une telle liberté. Partout où nos voyageurs s'arrêtent pour manger et dormir, ils sont reçus par des hommes et des femmes extrêmement généreux et désintéressés malgré leur pauvreté. Que Alain Olivier s'attarde aux bras du Mê Kông, aux vendeurs de café, aux paysannes penchées sur les rizières, à la fête du Têt (le nouvel An), ses découvertes nous valent des pages empreintes d'une lente réflexion mêlée de tendresse. Au passage, l'auteur ne se prive pas de quelques coups de griffes contre l'injustice commise envers ce peuple pacifique. Pourtant, dès le début de son périple, il nous prévient que son récit « est celui d'un homme qui, trop souvent, garde les yeux fermés, le dos tourné, et fait la sourde oreille à la réalité », ce qui nous surprend...

C'est un livre étonnamment beau - dans le sens noble du terme - et révélateur sur la qualité des êtres qu'ont côtoyés Alain Olivier, sa conjointe et leur enfant. Il nous dit aussi que les guerres ne détruisent aucune racine profonde d'un pays sinon ses pierres que l'âge finit aussi par user. Durant la légèreté estivale, il fera bon s'asseoir à l'ombre d'un arbre ou dans la fraîcheur d'un lieu pour piquer au hasard quelque tableau-lettre qui aurait échappé à notre conscience. Daniel qui joue aux cartes avec une vieille femme vietnamienne, Anna qui invite à leur table un petit cireur de chaussures, Alain posant un regard extasié sur les jeunes femmes du Viêt Nam. On dirait que tous les trois sont enveloppés dans un bien-être dynamique faisant de ce voyage un hymne à la joie de vivre malgré les traces encore visibles laissées par des décennies d'occupation. Au loin, la complainte du dàn bâu - luth à une corde - accompagne notre lecture...


Voyage au Viêt Nam avec un voyou, Alain Olivier
XYZ éditeur, Montréal, 2008, 222 pages