lundi 13 mai 2013

Une époque hollywoodienne *** 1/2

Des chansons écrites à partir de célèbres partitions nous font frémir de désolation. Pourquoi exploiter le cœur humain avec de telles inepties, dans ce qu'il a de plus larmoyant ? Ici, c'est bien de cœur qu'il s'agit et non d'esprit. Drogue sirupeuse dénaturant le lyrisme de pièces musicales admirables. On parle du roman d'André Pronovost, Elvis et Dolores.

Leonard Cohen chante qu'il y a une fissure dans tout ce qui existe et que c'est par là qu'entre la lumière. Jolie formule pour entrouvrir une porte sur la vie de Dolores Hart, comédienne à Hollywood durant les années soixante ; promise au plus brillant avenir, à vingt-quatre ans, elle s'est retirée dans une abbaye bénédictine. À Bethlehem, Connecticut. Aujourd'hui, elle en est la mère prieure. Comment cette femme, belle comme l'était Grace Kelly, a-t-elle pu sacrifier ses biens matériels, son  pouvoir de séduction ? Pourquoi celle qui fut une amie proche d'Elvis Presley, avec qui elle a joué dans deux films, a-t-elle éprouvé le besoin de se soustraire irrévocablement au monde ?

Questions que se pose Alison l'été 2010 après avoir regardé un film tourné avec Elvis Presley, King Creole, rencontré Arthur, commis à la bibliothèque où travaille Blanche Roanoke, femme d'un certain âge « simple, joyeuse et belle comme une orange ». Questionnement qui mettra en branle les habitants de la petite ville du Maine où réside Alison, jeune femme enthousiaste qui, pour gagner modestement sa vie, s'emploie chez McDonald's. Son avenir est indécis, elle envisage le journalisme, le théâtre, la médecine. Son amitié avec la bibliothécaire Blanche Roanoke se compte au nombre des années de sa vie : vingt-cinq. Blanche lui aura proposé de parler de ce film à Arthur, il connaît tout de la vie du chanteur. De sa naissance à sa mort en passant par son amour inconditionnel pour sa mère. Les connaissances d'Arthur allant au-delà de ce qu'elle souhaite, Alison s'étonnera de la relation ambiguë qu'entretient Elvis Presley avec Dolores Hart. Impressionnée, elle tentera d'écrire un article concernant les deux artistes. Pour ce faire, elle rencontre régulièrement Arthur, timide et solitaire. Fin de la trentaine, possesseur d'un vieil harmonium de l'Estey Organ Compagny. Jusqu'au soir où, chez elle, elle visionne un extrait du film de saint François d'Assise, dans lequel Dolores Hart joue le rôle de la future sainte Claire. Alison la voit se dépouiller de ses beaux vêtements du début du Moyen Âge, invitée à revêtir une « longue tunique d'étoffe grossière [...] » Stupéfaite, ajustant sa part de féminisme, imaginant Dolores dans une telle situation asservissante, Alison se révolte : elle ne peut supporter qu'une femme aliène son corps de cette manière. À bicyclette, elle se précipite dans l'atelier d'Arthur, lui crache ce qu'elle pense du choix vocationnel de l'actrice. Hors d'elle, elle lui reproche encore de s'être entiché d'elle, Alison. Si elle est la cause du malheur d'Arthur, qui se répercute dans la petite ville, elle met une pléiade de personnages hétéroclites en émoi. À commencer par Blanche qui ne comprend pas le comportement de sa jeune amie. Bref, le comté se scinde : Dolores Hart est-elle une sainte ou bien est-elle entrée à l'abbaye de Regina Laudis pour y cacher son supposé amour déçu pour Elvis, chercher une paix ignorée du monde artificiel du cinéma hollywoodien ?

Blanche trouvera la solution pour que la ville redevienne paisible, pour réconcilier les deux antagonistes, Alison et Arthur. Aidée de Charlotte, gérante de l'American Hotel, bâtiment qui tombe en ruine, elle écrira une pièce de théâtre, parodie d'un procès de canonisation où Arthur jouera le présentateur de la cause, Alison le promoteur de justice. Y seront enrôlés Johny B. Goode, vétéran traumatisé de la guerre du Vietnam, Clarence Probst, adjoint du shérif, Joe et Joséphine, couple querelleur, Jennifer et Jenny, femmes de chambre délurées à l'American Hotel, Hibou Volant, l'homme à tout faire de Charlotte. Charlotte elle-même. Tante Rose. Le docteur Bill. Chacun d'eux revêtira la peau d'illustres personnages : Simone de Beauvoir, Marilyn Monroe, Sigmund Freud, Carl Gustav Jung, Denis Diderot et d'autres. Comment, se questionne Blanche réfugiée dans les coulisses, le procès se terminera-t-il ? Son succès hilarant dépassant ses attentes...

André Pronovost entraîne habilement le lecteur sur des pistes où des croisées s'ouvrent : laquelle emprunter ? On a été sensible à la saveur historique et fictive de l'histoire des deux célébrités, opposées depuis leur naissance. Les dialogues intelligemment subtils, souvent primesautiers, ravissent ; ils débouchent sur des suppositions, correspondant à celles d'Alison. Une jeune femme, divinement belle et talentueuse, avait-elle le droit de se retirer ainsi du monde, privant ses admirateurs — elle en avait un grand nombre — de sa présence cinématographique ? Un non-sens, s'indignerait Alison en enfourchant sa bicyclette. Sortant des sentiers mal définis d'Elvis Presley et de Dolores Hart, chacun protégeant son mystère, le lecteur apprendra beaucoup sur une époque où l'Amérique se cherchait, ses vérités tronquées énoncées par la bouche prophétique de Blanche Roanoke, teintées d'un humour désopilant qui traverse le récit, reléguant un homme et une femme exceptionnels dans les lieux nostalgiques des mythes sacrés et profanes.

À lire, parce qu'on aime le talent de cet écrivain généreux. Aussi parce qu'en 1978 il a parcouru d'un bout à l'autre, seul, le sentier des Appalaches.

On rappelle qu'André Pronovost anime avec son frère, un groupe musical " Cavalcade d'étoiles ". 


Elvis et Dolores, André Pronovost
Éditions XYZ, Montréal, 2013, 295 pages