mardi 11 octobre 2016

Survivre après Darwin ****

Lundi matin, on se lève, un peu ébouriffée de nos échappées du week-end. Deux heures plus tard, à peine remise de nos miasmes, de nos résidus d'une nuit sans rêves, on reçoit une invitation concernant un événement littéraire. Notre estime pour la personne qui nous a fait ce cadeau matinal, surpassant notre torpeur, on confirme notre présence. Le cœur, la tête, parfois se compromettent d'une manière étrange. On a lu L'héritier de Darwin, roman signé Alain Olivier.

De quoi s'agit-il au juste ? Nous entrons dans une histoire intelligente et fascinante, sevrés d'interrogations existentielles, en nous posant moult questions sur nos raisons d'être. Le narrateur nous faire réfléchir sur nos conditions d'humain, sur nos origines animales. Nous descendons du singe, prétendent certains. D'autres, davantage mystiques, y voient la marque omnisciente d'un dieu, qui nous aurait punis pour avoir assouvi notre curiosité, notre ignorance, au mépris du bonheur à portée de main dans un lieu paradisiaque. Le bonheur serait-il insoutenable ? Nous l'avons déserté en échange de la connaissance. En fuyant le jardin d'Éden, nous avons choisi d'évoluer, sinon de transcender. Mais aussi de chuter.

Le narrateur de ce récit, un chercheur en biologie, après avoir assisté à un congrès au Chili, entreprend avec son épouse, une randonnée en Patagonie. La diversité de la faune, la beauté époustouflante des paysages, le sidèrent au point de remettre en question la petitesse de notre nature humaine. Tâche ardue qui le laissera sceptique jusqu'au moment, où, ne s'étonnant pas plus qu'il faut, il rencontre Charles Darwin, le naturaliste qui, au XIXe siècle, a rompu l'inertie des Terriens, leur proposant un univers mouvementé et non figé dans sa probable préhistoire. Dans ses superstitions. Dans sa paresse. Il n'est pas simple de chambouler les habitudes, aussi universelles soient-elles. Charles Darwin l'apprendra à ses dépens. Cependant, les conversations se déroulant entre le naturaliste et le biologiste, mettront en relief nos manquements insolites depuis que nous nous sommes transformés progressivement en hommes et femmes qui se tiennent debout. — La formule n'est pas utopique. — La vision et les certitudes du narrateur seront bouleversées par les déclarations du savant qui, lui, n'étant pas rassasié de ses magistrales découvertes, s'entête à explorer ce qui doit l'être encore. Il est persuadé que nous ne sommes que matériau faillible dans un univers qui ne laisse aucune place au hasard. La théorie de l'évolution, généralisée par l'assurance de conclure, se résumerait à la terrifiante « loi du plus fort », ce qu'a toujours démenti le naturaliste au fur et à mesure qu'il poursuivait ses recherches dans les moindres poussières pierreuses du terrain qu'il fouille inlassablement. L'évolution humaine prendrait ses sources dans l'adaptation, dans l'entraide avec les plus démunis, dans l'éducation, la culture et la communication. Ces diversités, élaborées à partir du comportement de diverses espèces, les singes en particulier si proches de ce que notre cerveau relate d'intelligible, seraient la preuve inébranlable et fondamentale de la survie humaine. Ne nous leurrons pas, nous sommes bien en survie, remplacés tôt ou tard par des trublions encore à l'état larvaire.

Vu et lu sous cet aspect, le roman risquerait d'être rébarbatif au commun des mortels qui se démènent dans un monde quelque peu encombré de préjugés, quoique nous en pensions. Mais le narrateur, attentif à sa prise de conscience, se laisse aller aux confidences de son parcours personnel, partagé avec la femme qu'il aime. Malheureusement, celle-ci est infertile. Son désir de paternité ébranlé, des choix se présentent, comme celui de s'unir à une femme qui lui donnerait les enfants qu'il convoite. Solution de facilité dont il ne peut se satisfaire. Pour apaiser ses doutes, il se repaît dans les labyrinthes de thèmes insoupçonnés : relations amoureuses, parentalité, décès d'êtres chers et, surtout, le défi environnemental responsable, en quelque sorte, de l'appauvrissement de notre regard sur le paradis perdu...

Les interrogations entourant le destin individuel sont soulevées à plusieurs reprises, chevauchant entre le passé, l'extrême passé, et un présent aléatoire, un présent enfin équilibré entre un homme et une femme qui ont failli se déchirer au-delà de toute considération de survivance parmi laquelle tous deux ne sont qu'un infime grain de sable. Le narrateur ne peut que se réjouir lorsque Darwin, qu'il convient avoir lu distraitement, éclairera sa pensée nébuleuse, prisonnier d'une lobotomie immémoriale à jeter aux orties... La diversité profitable parmi des collectivités devrait l'être aussi chez un seul individu. Ce qui mettra en lumière les diverses facettes qui composent la personnalité du narrateur, de chacun d'entre nous. Cependant, l'importance de l'histoire narrée avec une lucidité tourmentée tient dans le fait que l'évolution des espèces est loin d'être terminée. Les changements climatiques jouent déjà leur rôle de prédateur acharné.

La dernière rencontre entre le narrateur et Charles Darwin s'avère émouvante. Le naturaliste recommande au biologiste de ne jamais oublier que, si nous voulons survivre, la seule voie que nous devons emprunter est celle d'une véritable amitié entre les hommes. Message contemporain qui devrait atteindre ceux qui périssent pour de discutables idéaux, ceux et celles qui refusent de prêter une voie hiérarchique à tout véritable sentiment... Avec qui ne sommes-nous pas amis aujourd'hui ?


L'héritier de Darwin, Alain Olivier
Lévesque éditeur, Montréal, 2016, 360 pages