mardi 22 mai 2012

Des hommes de jadis ** 1/2

On est toujours contrariée par les petites déceptions qui jalonnent la vie de nos proches. Des ombres, certes, mais qui risquent de s'épaissir inexorablement. De s'engluer dans les méandres d'une profonde morosité. Un nom qu'on taira, nourrit les causes d'une telle mélancolie. Ses effets s'insinuent jusque dans la saveur de notre quotidien. Toile d'araignée dont il faut se dépêtrer avant qu'elle étouffe nos élans créateurs. À chacun et chacune de s'y reconnaître. On parle aujourd'hui du recueil de nouvelles, Les cavaleurs, signé Fernand J. Hould.

Six hommes désignés par leur prénom titrent les six nouvelles que l'auteur présente comme étant des instants amoureux. Il y a Alexis, professeur de physiologie à la Faculté de médecine, qui s'apprête à s'envoler pour la Finlande, devant assister à un congrès. À Turku, il rencontrera Annika,  une « splendide Nordique, blonde aux yeux bleus. » Christophe, professeur au Conservatoire d'art dramatique de Québec, sera attirée par Delphine, une « comédienne vivant à Paris, venue en stage d'échange au Conservatoire [...] ». Quant à Romain, médecin spécialiste à Québec, il connaîtra une aventure avec Bérengère, une Française originaire de Paris. Christian, cadre au sein du gouvernement fédéral canadien, fera la connaissance de Christine, « à la cafétéria de son lieu de travail. » Théodore, critique musical, sera invité par l'un de ses amis à assister au concert d'une violoniste, Judith S. Il la raccompagnera à son hôtel, ils dîneront ensemble. Sébastien, cadre au ministère des Affaires extérieures, partira en mission dans plusieurs villages du Grand Nord. Dans le groupe auquel il se joint, se trouve Viviane L., « femme lucide, mature, apparemment portée par le bonheur. » Il ne manquera pas de s'intéresser à elle.

Si on a résumé en peu de lignes la situation libérale de ces hommes, c'est pour signifier la ressemblance sociale qui les unit lors d'aventures sans lendemain. Âgés entre quarante et soixante ans, célibataires, ils sont piégés dans un confort bourgeois. Fait vraisemblable, ils s'ennuient, " cavalent " après des femmes, elles aussi plutôt aisées, que pour la plupart, ils séduisent autour d'une bonne table. Nous pénétrons avec ces hommes désabusés, ces femmes compliquées, dans des brasseries chics, dans les meilleurs restaurants parisiens. Ces relations superficielles se déroulent sur des mois, voire des années. Un échange épistolaire s'est établi entre Romain et Bérengère, couple qui s'use et se désagrège, comme s'effrite un bas-relief antique. Cultivé, l'auteur essaime ici et là plusieurs citations démontrant que ses personnages, entre quelques escapades sentimentales, ont pris le temps de lire. Seule, la chair est triste...

Nous aussi, on est attristée par ces nouvelles désuètes, nous rappelant des livres français des années cinquante et soixante. De temps à autre, se glissent des relents à la Sagan, qu'à son époque on a lue et admirée. Les cavaleurs — quel terme éculé ! — ne sont que des hommes cherchant une liaison instable avec de jolies femmes occasionnelles. Cela se pratique depuis la nuit des temps, depuis que deux êtres de sexes différents ont réalisé que certains attraits physiques les aimantaient l'un vers l'autre. Mis à part les déboires amoureux de ces désenchantés, que se passe-t-il dans le monde ?

Si quelque charme suranné colore ces nouvelles, on déplore leur bavardage, l'inutilité de détails décrivant les corps, des atouts superflus, telles la longueur d'une chevelure, la teinte d'un regard, la rondeur d'une hanche. Ce genre ne fait-il pas appel, par excellence, à une habile économie de vocables, au savant camouflage de non-dits ? Silencieuse inspiration laissant au lecteur le plaisir de la découverte littéraire, ce que nous ne trouvons pas dans ces récits délayés dans un maniérisme périmé. Nous lisons ces nouvelles puis, agacés, nous les oublions, après avoir conclu qu'elles n'apporteraient rien de neuf à la littérature fictive québécoise...


Les cavaleurs, Fernand J. Hould
Lévesque éditeur, Montréal, 2012, 105 pages.