lundi 5 août 2013

Allah akbar ! *** 1/2

« D'un geste brusque, elle [ Virginia Woolf ] jeta les feuilles en vrac sous son lit. Ces verbes et ces adjectifs accolés en une forme poétique, ces mares entières d'eau de rose, de rimes trop coulantes n'étaient pas dignes de son œuvre. » On suggère à des pseudo poètes de prendre exemple. On a lu le roman de Flemming Jensen, Maurice et Mahmoud.

Il s'appelle Maurice Johansen, il est danois, expert-comptable. Après vingt-huit années de mariage, sa femme l'a mis à la porte. Ne sachant où aller, il dort dans son bureau. Il a un assistant féru d'informatique, Mahmoud Abusaada, musulman, « mais totalement danois et c'est un vrai petit geek. » Un soir, Mahmoud, revenant au bureau régler un dossier, se heurte à Maurice en pyjama. Il écoute tristement son histoire, lui propose de venir dormir chez lui. Maurice accepte. Mahmoud habite dans une banlieue cosmopolite, au septième étage d'un édifice vétuste, alors que Maurice résidait dans une banlieue cossue. Au-dessus de chez Mahmoud demeure Lærke Neumann, jeune femme vindicative de qui Mahmoud est amoureux fou. Il a un réveil réglé sur la fréquence du muezzin, qui sonne cinq fois par jour l'appel à la prière, offert par sa terrible maman. Excédée, Lærke finira par lui confisquer son réveil, ce qu'il considèrera comme une preuve d'amour ! Quant à Maurice, il ne saisit pas très bien le comportement de Mahmoud vis-à-vis de sa voisine et de sa mère. Cette dernière n'est-elle pas venue rendre visite à son fils et, horrifiée, a trouvé Maurice couché dans le divan encombrant le salon. Elle s'est emportée violemment, redoutant les mœurs inavouables dans lesquelles Maurice aurait entraîné Mahmoud. Elle s'inquiète qu'à trente-deux ans, il ne soit pas encore marié. Le jeune homme est un passionné de l'ère des vinyles et de Nat King Cole qu'à tout propos, pour convaincre Maurice, calmer sa mère, séduire Lærke, il leur fait inlassablement écouter. Intervient aussi l'imam Khalid Yasin, de Bronshoj, depuis toujours l'ami de Mahmoud, qui surgit à l'improviste, se rue sur le frigidaire. « Un pur concentré d'aménité », conclut Maurice.

La première fois que Lærke et Maurice se rencontreront, les deux seront étonnés de se connaître depuis longtemps. Au cours de vacances passées dans un village de pêcheurs, avec sa femme et les enfants, informé par un groupe d'hommes soupçonneux, Maurice avait remis à flots la comptabilité frauduleuse du père de la jeune fille, exportateur de poisson. Ravi de cette nouvelle, et comme il veut épouser Lærke, ce qu'elle ignore, à quelques jours de Noël, Mahmoud prend l'initiative d'inviter ses parents. Maurice s'occupera de concocter un repas, d'organiser la soirée. Même si les musulmans ne fêtent pas Noël, Mahmoud ne veut rien entendre du raisonnement pragmatique de son patron et ami. Désirant contenter Mahmoud, à bout d'arguments, Maurice optera pour un rôti de porc. D'abord sceptique, Mahmoud y verra un signe flagrant de prévenance et d'ouverture, il se montrera sans préjugés. Lui, mangera des pommes de terre et de la garniture.

Malheureusement, la soirée de tolérance, pour ne pas dire d'amnistie, entre les cultures, ne se déroulera pas comme prévue. C'était sans compter sur l'imam de Bronshoj, ni sur la redoutable maman de Mahmoud. Ni sur les origines surprenantes des parents de Lærke Neumann. Ni sur un mot dérisoire qu'utilise innocemment Lærke quand elle se met en colère. Ni sur le claquement d'une porte qui déclenchera de violents courants d'air, remettant en cause les occupations professionnelles de Mahmoud. Il suffit d'une ressemblance erronée pour que la vie d'un homme risque de basculer dans d'outrancières accusations. Surprenante Lærke qui résoudra le complot machiavélique. Durant cette déroute humaine se poursuit lamentablement la procédure de divorce de Maurice, autre monde égratigné par de retorses diffamations.

C'est avec beaucoup de délicatesse et de doigté que Flemming Jensen aborde le thème très actuel des libertés culturelles et diversités religieuses, mais elles ne sont pas aussi cohérentes que l'histoire burlesque qu'il soumet aux lecteurs. Ne dit-il pas que ce récit est un conte humoristique ? N'ajoute-t-il pas, à travers la voix de Maurice, qu'il a quotidiennement frayé avec des problématiques susceptibles de déclencher des guerres et de plonger les peuples dans la confusion ? On le croit, en avalant une grande goulée d'air, tellement son humour danois dédramatise la gravité du sujet. « Ne pas perdre les pédales chaque fois qu'on croise une différence. » On le croit encore, on le remercie de nous avoir permis de rire complaisamment des badineries savoureuses de deux hommes qui font vraiment connaissance ailleurs que dans une ambiance frelatée de travail. Satire sociale, que nous le voulions ou pas, nous rapproche les uns des autres.

De cet écrivain humoriste, on avait lu et commenté son premier roman, Le blues du braqueur de banque, pamphlet politique qui nous avait révélé l'humour féroce, à fleur de peau, d'un homme soucieux du bien-être de ses semblables.

La traduction subtile d'Andréas Saint-Bonnet méritait d'être soulignée.


Maurice et Mahmoud, Flemming Jensen
traduit du danois par Andréas Saint-Bonnet
Éditions Leméac, Montréal, 2013, 208 pages.