lundi 10 juillet 2017

Des visages qui en disent long *** 1/2

Le temps estival ressemble à un grand amour qui nous transforme et nous indéfinit. La vie n'est plus la même, on se prend à souhaiter que la saison lumineuse ne finisse jamais. Ce serait comme dans les pays méditerranéens où l'abondance de soleil, la générosité de la nature, nous font oublier que le monde porte en lui ses drames et ses indignités. On parle du numéro 130 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle. 

On aime les nouvelles, on ne s'est donc pas privée de se satisfaire à la lecture de ce collectif, dirigé par l'écrivain Jean-Paul Beaumier. On a droit à un thème peu usité, celui de la famille, fictive ou réelle, à partir de photographies, signées Anne-Marie Guérineau. Elles sont inspirantes et les écrivaines, écrivains invités n'ont pas manqué d'imagination. Tous ont pris la liberté de s'inventer un être familial qui aurait fait preuve d'originalité en se taillant une place prépondérante dans le sein  d'hommes et de femmes charriés dans le flot mouvant de leur existence. L'absence se fait mystère angoissant ou ludique. Le texte de Gaëtan Brulotte, Fierté de famille, ouvre judicieusement cet album de famille, en nous présentant une photo de groupe sur laquelle il se penche, confiant au lecteur avoir renié ces êtres issus d'un milieu modeste mais courageux. À l'âge ingrat de l'adolescence, qui n'en a pas fait autant, se créant des origines n'ayant aucun rapport avec sa propre réalité ? Tôt ou tard, après qu'un accident se soit produit, nous revenons de notre prétention affligeante avec remords... Christiane Lahaie, dans sa nouvelle, Il n'est pas venu, aborde la tristesse d'une petite fille qui, fêtant son anniversaire, attend la venue d'un homme qui ne viendra jamais. Catherine, déjà aux prises avec Godot, souffrira du manque de la présence d'un être qu'elle s'est peut-être inventé, qui sait ? Dans un texte bref, La chaise berçante, David Dorais invite le lecteur à suivre l'étrange parcours de Mortimer qui s'assied dans la chaise berçante du grand-père décédé, que personne n'occupe, sinon la contourne. L'enfant a une attirance morbide pour les choses hétéroclites, comme une « fenêtre carrée, opaque en permanence. » Il a un goût immodéré pour la mort... Enfant qui rejoint la fillette mal aimée de l'écrivaine Esther Croft, Béatrice, que, depuis sa naissance, sa mère supporte difficilement alors qu'elle aime ses autres filles, surtout son fils, dernier-né. Béatrice et la mère seront, toute leur vie, témoin et victime d'une indifférence inexplicable, parfois présente dans une fratrie. Il y a l'enfant préféré, pourquoi n'y aurait-il pas l'enfant délaissé parmi ses frères et sœurs, sans pour autant le détester ?

Un collectif aussi talentueux soit-il ne nous permet pas de nous attarder sur tous les textes rassemblés. On le regrette. Par manque de place mais aussi on laisse au lecteur le choix d'aller vers ce qui lui convient. Si la gravité l'emporte face à ces photographies, des auteurs ont privilégié l'humour et la jubilation. Hélène Rioux nous a emmenée vers un rêve prémonitoire, celui qu'elle se crée à partir d'une fausse Andalouse, Lola, qui, profitant de fêtes familiales, se montre, exubérante, dérangeant les tantes et les oncles sous ses accoutrements et son maquillage farfelus, outrageant une époque trop rigide. La jeune narratrice admire cette « cousine par alliance », elle veut lui ressembler, jusqu'au jour où le rêve s'effrite, cruel, au désarroi de la fillette. En quelques lignes, Christine Champagne met en scène une femme âgée, Célesta, constamment attendrie par le regard amoureux d'Émile, son cadet de tant d'années que l'évidence de leur relation saute aux yeux du lecteur avec un étonnant revirement. Une nouvelle signée Sylvie Massicotte nous a particulièrement touchée. La table de chevet. Une femme vient de perdre son mari, Stéphane. Aidée de ses deux adolescents, elle fait le tri de ses affaires personnelles. Elle se souvient avec regret de sa double vie que son mari n'a jamais détectée. Sa vie à lui a été terne, monotone. Le couple rangé, dans sa plus ennuyeuse expression. Les souvenirs de la narratrice affluent sans ne rien chambarder. Cependant, il reste à vider la table de chevet de Stéphane avant que les adolescents ne repartent chez eux... Une fiction qui, au premier abord, ne nous apprend rien de nouveau sur un couple uni depuis des décennies, dont la double vie de l'un n'inquiétait pas l'autre. Pourquoi se séparer quand, sous des apparences trompeuses, l'existence s'avère tranquille et sans risque ? Un récit intitulé Tu pars quand ? sous la plume de Jean-Paul Beaumier, épaissit le mystère existant dans de nombreuses familles ; mystère celé pour ne pas déroger aux réglementations du respect que nous devons à nos proches. La photographie nous montre le doux visage brun d'une jeune fille qui s'appelle Irène. C'est encore un vieil homme qui, sous le point de mourir, révèlera à son fils, attentif à son chevet, qui était Irène. Dans ce recueil, plusieurs auteurs se sont inspirés de l'agonie, du secret étouffé, d'une mise en scène existentielle illusoire qui s'appelle bonheur...

Dans la rubrique " Hors-frontières ", on a été sensible au texte de James Kirkup, écrivain anglais, auteur d'une œuvre prolifique. Sa nouvelle, Le maître du bonsaï, dépeint à travers la démarche d'un vieux Japonais retraité, la création discutable des bonsaïs, arbres miniatures, métaphore étouffante des pieds bandés des Japonaises. On lit entre les lignes la répulsion de James Kirkup pour ce procédé inhumain, considérant les arbres telles des entités vivantes que nous devons laisser se développer comme n'importe quel autre végétal.  Si une fiction très simple souligne l'indignation du narrateur, elle sert de prétexte à une " chute " inattendue, particulière au genre de la nouvelle.

Voici un numéro XYZ très soigné, oscillant entre le grave et le divertissement, qu'impose une panoplie d'écrivains aguerris à l'écriture, la majorité faisant partie du collectif de la rédaction. On ne pouvait donc être happée par une quelconque déception ou par une sensation de manque ou d'inachèvement face à ces magnifiques photographies. On a lu ce recueil, entourée d'arbres et de verdure, de fleurs sauvages. On suggère aux nombreux lecteurs de la revue de se réfugier dans un décor champêtre pour savourer ces douze fictions autant délectables les unes que les autres...


XYZ. La Revue de la nouvelle
Numéro 130, piloté par Jean-Paul Beaumier
Montréal, 2017, 102 pages