lundi 2 juillet 2018

Un air de vacances nous instruit sans nous lasser *** 1/2

Après avoir lu un roman intense aux pages innombrables, on aime délasser notre corps et notre esprit en feuilletant un livre divertissant. Il nous désencombre de nos éternelles questions, à savoir si notre article est convenablement écrit, si sa clarté grammaticale suffit à sa compréhension. On est surtout obsédée par les sempiternelles coquilles. Faisant fi de nos exigences maniaques, on commente le numéro 134 de la revue XYZ. La revue de la nouvelle.

Cette dernière livraison s'avère pour le moins surprenante. Personne en particulier ne semble avoir été aux commandes de ce spécimen estival. Plusieurs écrivains ont participé à son élaboration, enrichissant de leur savoir le lecteur et la lectrice. C'est l'écrivain Gaëtan Brulotte qui ouvre les pages avec un long entretien en compagnie du nouvellier Etgar Keret, mettant sur pied un dossier fort instructif. Si on connaissait le nom de ce dernier, on ignorait la diversité impressionnante de son œuvre, récompensée de nombreux prix littéraires. Quelques indices sur son parcours nous révèlent qu'il est né et vit en Israël, qu'il est chargé de cours à l'Université Ben-Gourion de Beer-Sheva. Fils de survivants de l'Holocauste, son cheminement intellectuel a été influencé par des événements historiques qu'a traversés Israël. Comment y échapper quand, sous les pieds, des champs de mines risquent de se transformer en rigoles de sang ? Cet homme porte en lui de profonds stigmates hérités de drames collectifs, qu'il dépeint avec une lucidité aigüe, teintés d'un brin de subjectivité auquel il ne peut se soustraire, donnant corps et âme à des récits qui remportent un succès retentissant dans son pays et ailleurs. Gaëtan Brulotte a eu l'excellente idée de poursuivre cet entretien en insérant deux nouvelles de cet écrivain, traduites de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, extraites d'un recueil intitulé Sept années de bonheur. Deux textes qui complètent admirablement l'interrogatoire d'un homme qui se livre avec la simplicité franche des êtres déchirés, le regard pivotant vers ses propres frontières et hors de celles-ci.

Puis, nous rentrons dans le vif du numéro en lisant quatre nouvelles choisies, nous ne savons sur quels critères, mais combien diversifiées. La fiction de l'écrivain torontois Cary Fagan, nous a particulièrement touchée. On a aimé son ton nostalgique, histoire jamais alourdie de regrets inutiles. Quarante ans plus tard, un fils raconte l'aventure qui est arrivée à son père, sur une île où lui, ses parents et ses deux frères, villégiaturent chaque été. Deux sœurs, qui donnent le titre au récit, Les sœurs Creech, célibataires, âgées d'une quarantaine d'années, séjournent chez leur mère, une vieille dame au sommeil comateux. Ce détail importe quand le lecteur apprendra comment, un soir d'orage, réfugié chez les deux demoiselles, le père a échappé à leurs avances pitoyables. C'est un texte qui, hormis son contexte plutôt convenu, nous informe combien une action narrée à rebours du temps qui passe, transforme la vision de chacun et de chacune, ou bien se range dans une indifférence significative, comme pour occulter un malaise jamais résolu. On a pensé en le lisant, à un degré moindre de dramatisation, au film anglais Le Messager, signé du réalisateur britannique, Joseph Losey. Un homme éconduit relate une passion qu'il a éprouvé, des décennies auparavant, pour une jeune femme, d'une caste bourgeoise. La nouvelle de Luc Lafortune, Surfaces à peindre, nous ramène à la raison en décrivant les ambitions d'un jeune homme à qui la fortune sourit de toutes les couleurs. Chute fortuite qui a réjoui notre sens de l'humour !

Mais la chair de ce numéro réussi s'avère le dossier concocté par l'écrivain Jean-Paul Beaumier, mettant en scène la regrettée nouvellière française, Annie Saumont, décédée en 2017. On a fait sa connaissance littéraire quand elle fut lauréate du prix Goncourt de la nouvelle en 1981 avec son recueil Quelquefois dans les cérémonies. Depuis cette digne récompense, on n'a jamais cessé de la lire. Nous lui devons d'avoir haussé la nouvelle à un niveau éminent, le lecteur français, semblable au lecteur québécois, apprécie peu ce genre outre mesure, faisant la part belle à l'œuvre romanesque plutôt qu'au texte succinct, celui-ci intelligemment décortiqué par la nouvellière passionnée que fut Annie Saumont. Comme l'a fait Gaëtan Brulotte pour achever son entretien avec Etgar Kerett, Jean-Paul Beaumier ferme l'hommage à son invitée en insérant un texte complémentaire, décrivant d'une manière fictive son rapport amicalement respectueux avec celle qui inspira de nombreux écrivains en herbe. Hommage qui enchantera le lecteur et la lectrice. Sylvie Massicotte n'est pas en reste avec sa très originale nouvelle écrite à l'image discrète de la disparue. Gaëtan Brulotte ajoute son grain de sel avec humour, narrant les mésaventures d'un couple « senior », désirant prendre l'avion Paris-Lisbonne, subissant une grève impromptue. L'action se déroule en France, pays régulièrement soumis à des grèves de transports en commun.

On ne saurait clore la revue, conclure notre chronique, sans mentionner, dans la section " Comptes-rendus ", l'analyse du livre de René Godenne, traitant de la nouvelle de langue française de 1940 à 2000. Cette enquête est signée Michel Lord. Répertoire critique publié à Genève, qu'on avait déjà lu avec grand intérêt avant qu'il soit remanié de façon exhaustive.

Ce dernier numéro, édifiant et savoureux, nous a égayée de sa bonne humeur littéraire ! Un air de vacances allège des propos parfois sensibles, aucun sujet ne se limitant aux exigences d'une personne responsable, chacun et chacune y trouvera son compte au meilleur de son temps estival. À lire dans un décor bucolique, le nez tourné vers les nuages de l'imagination. Au loin se profilent les contraintes d'une rentrée littéraire qui nous apportera d'autres surprises, autant agréables que la lecture de cette revue, fidèle à ses écrits qualitatifs.


XYZ. La revue de la nouvelle
Numéro 134
Montréal, 2018, 102 pages