lundi 27 juin 2022

Des feux d'artifice avec ou sans étincelles ****


Il pleut, c'est l'été. Pluie passagère et réconfortante, la nature est en liesse. Au bord de l'étang, les grenouilles coassent, elles se retrouvent aux origines de leur monde liquide. La canopée du parc oscille gracieusement, les canards plongent et refont surface, agitant leurs ailes à ne plus savoir s'envoler. Les papillons batifolent, ils se prennent pour des cigales ! On commente le numéro 150 de La revue XYZ de la nouvelle. 

Quelle riche idée que d'avoir fêté ce " spécial " avec des feux d'artifice symboliques, imaginaires ou véridiques, selon la signification particulière que nous accordons à ces éclats de feux. Nous devons cette flambée d'étincelles à l'initiative éclairée de Gaëtan Brulotte et de Sylvie Massicotte qui, tous deux, se sont fait les complices de vingt auteurs-es qui ont valorisé, pudiques et enjoués, la représentation d'une telle fête à coups de sentiments évoqués parfois en sourdine. On a retrouvé quelque part, au gré des pages, la sapidité grinçante de ces feux qui ont dérangé nos jeunes et moins jeunes années. Les souvenirs sont intraitables, indélébiles! 

Se côtoient d'un texte à l'autre la vie et la mort, certains s'assemblent, les protagonistes n'ayant pu remonter plus loin dans leur errance. Tout se joue, semble-t-il, dans l'acuité de réminiscences qui ouvrent des blessures mal cicatrisées, parfois inguérissables. Comme les nouvelles d'Edem Awumey et de Francine Beaudin qui se complètent, sans vraiment se recouper. Dans le Carnet d'un voyage au centre de l'espoir d'Edem Awumey, entre en scène un homme qui, tenant la main de sa compagne, se remémore silencieusement sa fuite loin des atrocités de son pays en guerre. Alors qu'elle rêve d'un premier voyage avec lui, il se complait, armé d'une peur redoutable, dans ce pays où il a trouvé une certaine assurance. Il ne veut pas s'en éloigner. Repoussant un passé douloureux, il entend les premières explosions du feu d'artifice. Va-t-il accepter de voyager enfin avec sa compagne ? Dans Un puits d'étincelles, c'est du sur place que nous propose Francine Beaudin, mais quel voyage dans la tête d'Awah, adolescente congolaise, qui doit se rendre dans un édifice qu'elle ne connait pas. Timidement, gauchement, elle y parvient, elle descend dans un sous-sol, ce qu'elle déteste. Là, elle sera reçue avec enthousiasme, elle doit aider à éplucher les légumes pour un grand souper avant le feu d'artifice auquel elle est conviée. Awah est heureuse, elle qui est toujours seule, loin de ses grands-parents qu'elle n'a jamais revus. Le soir venu, elle entend les premières déflagrations, une pétarade de détonations, Awah ne s'attendait pas à ce cauchemar éveillé qu'elle ne supporte pas. C'est par suggestion que nous percevons ce qu'a traversé l'adolescente avant de se réfugier dans un pays plus serein. Semblable à l'homme de la nouvelle d'Edem Awumey, Awah est prisonnière de traumatismes qu'elle essaie d'adoucir en s'impliquant, non dans un amour, mais dans la simplicité de la vie quotidienne. 

On va d'un récit à un autre, séduite par leur diversité, par la puissance des mots, la disparité constante de la thématique qui nous entraine d'une condition de vivre à de confuses hésitations, à des refus troublants. Comme un coup de tonnerre, nouvelle signée Stanley Péan, un homme attend le retour de sa compagne absente depuis une semaine. De son balcon, pour distraire son impatience, il s'attarde sur un sans-abri noir que la police interroge. Plus tard, une détonation surgit dans le calme d'un après-midi ensoleillé, que le narrateur contourne en se disant que le feu d'artifice commence bien tôt. Inconscience ou peureuse manière de se déculpabiliser face au malheur d'un démuni qui affirmait au policier chercher quelque chose qu'il avait perdu. Métaphore de la perdition de soi et des êtres qui pourraient nous sauver... On suit Perrine Leblan, Terrorisme poétique, dans une ville qui se révolte contre la tyrannie d'un gouvernement totalitaire. Ce sont des tagueurs qui, manœuvrant sur des toits, ouvriront les vannes d'un feu d'artifice, provoqueront les patrouilles policières qui essaient de faire rentrer chez elle la population descendue hardiment dans les rues. Des flottements se produisent, seule la narratrice ne se conformera pas aux ordres. Sous une apparente désobéissance, on se rend compte à quel point le nombre influence les espoirs d'une population asservie, la narratrice, représentant une part d'insouciance, se dit que le feu d'artifice a bien eu lieu. Plus loin, Fanie Demeule et Bruno Lalonde jouent les trouble-fêtes. L'un en avouant ne pas aimer les feux festifs, l'autre en faisant preuve d'une lucidité dérangeante. Fictions respectivement titrées, Trouble fête et Poudrière.

On ne saurait mentionner la magnificence de tous les textes qui composent ce numéro. Aucune préférence, aucune lassitude en lisant Natalie Jean et les péripéties souriantes d'un narrateur aux prises avec les fantaisies débordantes de sa sœur, qui confie ses deux fillettes à son frère, celui-ci allant se distraire un week-end chez une amie artiste. Les nostalgies buissonnières se dessinent sous un ciel velouté d'étoiles filantes. Autre feu d'artifice... Julie Dugal anime une narratrice, étrangère dans un village, qui court là où elle peut pour trouver des feux d'artifice à l'occasion de l'anniversaire de son vieux père. Les souvenirs affluent, la discorde avec le père prend des allures réconciliatrices... On pourrait citer les auteurs-es qui ont participé à la composition de ce magnifique numéro mais on préfère nous repaitre de la tendresse du récit de Jean-Paul Beaumier, Le spectacle est terminé, sa tendresse, certes, mais aussi de sa sensibilité généreuse, débordant hors de l'histoire d'une mère agonisante qui assiste à son dernier feu d'artifice. Le narrateur se souvient que son père était un artificier reconnu, « une véritable vedette dans le quartier lorsque nous étions enfants. » Mais l'âge accentuant les rides, il s'est lassé de son attirail qu'il aura mis à l'abri pour un ultime rendez-vous. L'heure de sa femme, l'heure des souvenances ont sonné, heures qui auront une saveur amère et nostalgique, tendrement dépeintes une dernière fois par le narrateur, lui aussi à saveur douce-amère d'écrivain...

Boucle la revue la rubrique " De bref en bref " qui nous réserve moult critiques signées David Bélanger, Ketzali Yulmuk-Bray, Aglaé Boivin, David Dorais, Cécile Huysman. Tous les cinq y vont de leur analyse judicieuse, disséquant des nouvelles qu'on n'a pas eu le temps de lire dans le courant de l'année. Et même avant...

Éblouissante et fervente dernière couvée d'une revue qui fête non seulement son 150e numéro mais aussi occasionne la lecture d'une poignée d'écrivaines et d'écrivains, qui ont su faire flamber leurs propres étincelles, telles qu'imaginées ou surgies d'événements parfois irréels. Avec des flaques de larmes, pour paraphraser Christiane Lahaie, ou des sourires qui en disent long sur la magie des feux de la mémoire soudainement éveillée, mettant à contribution des flambées de souvenances dans la mémoire retrouvée, tel le temps proustien, de femmes et d'hommes qui, en des occasions moins réjouissantes, ou peut-être manquées, se seraient tus.


La revue XYZ de la nouvelle, numéro 150

Piloté par Gaëtan Brulotte et Sylvie Massicotte

Montréal, 2022, 120 pages