Cette entre-saison n'est plus tout à fait l'hiver, ni tout à fait le printemps. Le temps qu'on le mentionne, le soleil se montre, le vent chasse les nuages. Ce répit nous fait penser au livre qu'on a terminé de lire, ce qui est la moindre des choses quand on a partagé des heures palpitantes avec des personnages si proches de ce que nous sommes. Nous et les inconnus qui s'agitent dehors. On commente le premier roman de Marie-Christine Boyer, Farö.
Sur l'île d'un pays nordique imaginaire, Farö, ancien journaliste, qui vit depuis une dizaine d'années sur ce bout de terre envahie par l'eau, se remet en question quand arrive chez lui son meilleur ami, Milosh. Il est accompagné de la fille de Farö, Sakia, dix ans, que ce dernier ne connait pas. L'homme a eu une histoire d'amour échouée sur ce magma de terre et d'eau. Il a aimé une femme, Turit, qui l'aimait mais qui s'est lassée. Enceinte, elle est partie accoucher en ville, n'est jamais revenue. Deux ans plus tard, elle a choisi d'être enterrée dans la petite ville qui jouxte l'île. Silofjord. Depuis qu'un terrifiant naufrage a chassé les habitants de l'île, Farö y a trouvé refuge, employant sa solitude à dresser des digues, empêchant la mer d'envahir son territoire. Manière de ressasser son désespoir, qu'il entretient solidement, plongé dans le regret des choses qui n'ont pas été. Auraient pu être, est-il convaincu. Nous ne savons trop pour quelles raisons précises se défait un couple sur le point de se briser. Certains s'expliquent, certains se taisent, s'épient, comme l'ont fait Farö et Turit. Décomposition du sentiment amoureux, tari à même sa source.
Quand Milosh débarquera sur l'île avec Sakia, Farö décillera son regard vers les êtres qui résident sereinement dans les petites villes alentour. Ne se rendant pas compte qu'il est redouté parce que vivant seul dans un lieu indomptable. Ce sont ses fidèles compagnons, des pêcheurs, des montagnards, qui lui feront prendre conscience des nécessités de la ville, le persuaderont que l'île est hantée par les noyés d'hier et d'aujourd'hui. Une autre île, Kaljä, moins sauvage, a recueilli de nombreuses familles de pêcheurs, est devenue lieu de villégiature. Milosh et Sakia repartiront. Farö n'aura qu'un désir, les rejoindre, ce qu'il ne fera pas, une mission imprévue s'offrant à lui, atténuant bien des erreurs. Des peines.
Les saisons battent le rythme du temps qui passe, celui des marées qui régule et manœuvre les agissements de l'insulaire. Il n'a jamais possédé une montre, nous renseigne l'écrivaine, ce qui ne surprend pas le lecteur, Farö étant trop encaqué dans son obsession d'avoir négligé Turit, de l'avoir perdue par sa faute. Lui, Farö, s'est toujours mesuré à des défis surhumains. Prendre possession de l'île, la partager avec les cerfs, le sanctuaire d'oiseaux. Construire les barrières. Surveiller le phare. Se fiant enfin à la bonté des hommes et des femmes qui le considèrent, il mettra bientôt un terme à sa réclusion îlienne.
En lisant ce premier roman, on a eu l'impression que le personnage central en était l'île. Que les hommes et les femmes gravitaient vers ses ressources marines, agissant selon son calendrier saisonnier. L'eau magmatique, la terre nourricière. Le vent et ses saccages. Agrégat bouillonnant désirant reprendre ses droits, faire fuir ceux et celles qui seraient tentés de s'y installer à demeure. Sur l'île, « la frontière du rêve se fondait dans la brume. » Évanescence d'une femme inconnue qui apparaît de dos, comme si l'île se faisait réfractaire ou séduisante. Une marionnette à double visage la personnalise...
Histoire singulière, la mer, dominatrice, intervenant peu dans les romans lus récemment. Cependant, on a été dérangée par la trop grande retenue de l'écriture bellement maîtrisée, au détriment des émotions, insufflant aux protagonistes une certaine froideur que leur rôle tragique, ici, contredit. Récit davantage axé sur la gestuelle et sur la parole, que plongeant dans l'intériorité des âmes touchées par les humeurs colériques de l'île.
Farö, Marie-Christine Boyer
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 140 pages