dimanche 5 février 2017

Requiem pour un avocat *** 1/2

On n'est pas comme Juliette Gréco, qui haïssait les dimanches. On les aime pour le repos qu'ils nous procurent, pour le farniente qu'ils créent dans nos agissements, pour la lenteur qu'on reconquiert durant quelques heures. Les dimanches sont comme la goutte d'eau dans un océan d'illusions, le frisson du vent sur un lac de platitudes. On pourrait faire mieux, on ne fait rien, on ne pense surtout pas, on attend le lundi en se lamentant. On parle du livre d'Antoine Brea, Récit d'un avocat.

On ne connaissait pas cet écrivain que grâce à son éditeur, on a découvert en lisant son dernier opus. Le titre, sobre et rationnel, ne nous invitait pas à nous introduire dans l'histoire d'un homme qui, à la suite de péripéties survenues environ une année plus tôt, démontre avec moult détails, que l'honnêteté professionnelle, pas mieux que le goût de la perfection, ne s'avèrent des vertus suffisantes pour ébranler les barrières d'ordres établis. Bien que cet homme, atteint de problèmes mentaux, ait toujours su maîtriser son handicap envers la société.


Le drame, dépeint brièvement par l'écrivain, mentionne au lecteur le crime commis sur la personne d'une jeune femme de vingt-cinq ans, Annie B., aide soignante, d'origine alsacienne. Enlevée par deux immigrants kurdes, Ahmet A. et Unwer K., elle avait été violée, brûlée vive, dans une forêt du Jura. Fait divers authentique commis dans la nuit du 8 et 9 juillet 1994.

Cette affaire sordide, l'avocat la décrira minutieusement avant de se résigner au pire. À la suite d'une rencontre avec une vieille dame richissime, qui a pris en une amicale pitié Ahmet A., détenu à la prison Centrale de Clairvaux, elle demande à son interlocuteur de mettre au clair les complications administratives, inhérentes à la condition d'étranger de Ahmet A., d'influencer sa libération conditionnelle.

Le narrateur nous tient en haleine dès qu'il fait la connaissance de cet homme, apprécié du personnel carcéral, des codétenus. Depuis sa réclusion, le criminiel se montre docile, réfractaire à tout acte de rébellion. Exemplaire, il serait donc équitable que son sort de prisonnier soit adouci, sa sanction révisée. Mais s'y opposant, Ahmet A. surprendra son avocat par l'opiniâtreté à vouloir expier sa peine dans les conditions imposées deux décennies plus tôt.

Plus on pénètre dans ce récit invraisemblable, plus la lecture devient passionnante. L'étau se resserre certes, mais subjuguée par les rouages ténébreux d'un système judiciaire gangrené, on suit cet homme dans ses déboires professionnels, sa personnalité fragile s'aggravant jusqu'au dénouement final. Fatal. Vie insipide d'un avocat, condamné à des amours trébuchantes, astreint à dénouer des dossiers autant ennuyeux que l'est son quotidien.

Récit bouleversant se révélant à travers des chapitres séquentiels, une écriture élégante, un style concis, empreint d'une nostalgie maladive. Écriture un peu désuète comme l'avocat agissant dans une dimension qui n'est plus tout à fait sa réalité propre, qu'il accepte sans très bien la comprendre et surtout sans n'y pouvoir rien. L'écrivain Antoine Brea, qui exerce lui-même, sous un autre nom, la profession d'avocat, pose discrètement au lecteur une pléiade de questions que nous ne pouvons résoudre sans risquer de nous retrouver au bout d'une corde...

Histoire à lire, pour apprendre à ne pas céder aux mécanismes outranciers et trompeurs d'une justice aux plateaux instables. Mais de s'interroger sur les problématiques du milieu judiciaire et carcéral, sur les mesures drastiques en prison.


Récit d'un avocat, Antoine Brea
Éditions Le Quartanier, Montréal, 2016, 120 pages