lundi 7 janvier 2019

Une enseignante blanche chez les Inuits *** 1/2

Il nous a été souvent demandé pour quelles raisons on ne publiait pas dans notre page Facebook, des levers et couchers de soleil. Question pertinente, mais on laisse à d'autres ce privilège. Il y a tellement de ces images qui passent et repassent, qu'on s'en fatigue. On préfère les choses immuables comme des œuvres d'art ou leurs pendants, sous d'autres formes. On commente les nouvelles de Lucie Lachapelle, Histoires nordiques. 

On a toujours privilégié les livres qui nous apprennent quelque chose, nous instruisant sans lassitude à diverses sources. En lisant les péripéties d'une jeune enseignante montréalaise qui, pour échapper à la monotonie de sa profession, se fixe pour plusieurs années au Nunavik, notre ignorance sur les autochtones qui, aujourd'hui, revendiquent leurs droits autrefois bafoués par les Blancs, a été mise à mal. On s'est impliquée de toute notre curiosité intellectuelle dans ces histoires qui ne sont pas tout à fait des nouvelles, mais plutôt des chroniques inspirées de souvenirs émouvants. Louise, l'enseignante, après avoir fait un premier voyage dans le Nord, n'aura plus qu'un désir, celui d'y retourner, de se mêler à la culture inuite, d'y nouer des amitiés, d'y risquer un amour qui ira au-delà des préjugés.

Treize récits suffisent à nous glisser dans l'existence périlleuse d'hommes et de femmes qui vivent en accord avec la nature et ses exigences saisonnières. Une personne étrangère, comme Louise, si elle ne se plie pas aux consignes de ces lieux rébarbatifs, mais avenants, ne survivra pas à la dureté du climat, ni aux mœurs coutumières, déstabilisantes des habitants. Tel un intermède, le premier récit fait part au lecteur du voyage initiatique, en quelque sorte, de Louise. Elle assiste son oncle, dentiste, qui lui a obtenu ce travail d'été. Elle se liera d'amitié avec une jeune femme inuite, qui, parlant très bien l'anglais, joue le rôle d'interprète. Louise a dix-neuf ans, décide de finir ses études, de revenir travailler dans le Nord.

Ce qu'elle fera quelques années plus tard. Nous la rencontrons à nouveau dans des conditions professionnelles. Ce jour-là, elle doit aller chez les parents de ses quinze élèves, garçons et filles, rendre compte des résultats de leurs travaux scolaires. Elle redoute un peu de se rendre chez Pitaa, enfant rêveur qui n'apprend aucune matière, s'absente durant plusieurs jours. Elle doit rencontrer le père, homme respecté et redouté des Blancs, qui accueillera Louise avec froideur et déférence. Il a éduqué ses fils à la manière inuite, mais les temps changeant, il prendra en considération les conseils de la professeure. Plus tard, pour la remercier, il lui fera apporter une offrande par Pitaa, dont l'avenir l'inquiète.

Tout le livre est ainsi, empreint de la générosité ricaneuse des élèves et de leur famille. De la compassion reconnaissante de Louise. Chaque nouvelle relate au lecteur ses réflexions intérieures, ses joies, sa solitude. Sa naïveté quand elle s'éprendra de Tamusi, jeune Inuk dont l'ambition est de séduire les femmes étrangères qui débarquent dans le Grand Nord. Louise, à l'esprit indépendant, se tient loin des rumeurs qui circulent sur son amoureux. Jusqu'au jour où elle devra se rendre à l'évidence. Révoltée, ne croyant pas à son abandon, elle risquera sa vie en voulant retourner chez Tamusi. Ce sont deux chasseurs qui la sauveront d'une mort certaine. Entre les récits narrant les mésaventures de Louise, Lucie Lachapelle nous entraine vers des êtres insolites, tel Kurt, un Blanc, la soixantaine, qui travaille à l'aéroport. Tel Qumaluq, un Inuk, voisin de Kurt, obsédé par des images insoutenables, surgies dans sa tête, après s'être enrôlé, en 1940, chez les fantassins. Il est revenu de la guerre stigmatisé par l'horreur. Ces êtres solitaires nous rappellent ceux qui, en des lieux de sable et de pierres, se sont ancrés dans des existences où la mort se dessine, où le silence farouche tient lieu de confession. À la merci d'un destin implacable.

Qu'ils soient d'ailleurs ou natifs de l'endroit, hommes et femmes boivent beaucoup. Pour survivre ou supporter une vie étriquée qui promet peu. Les hommes battent les femmes, elles doivent se soumettre, se résigner. La violence, la jalousie, font œuvre de déraison, s'alliant à la grandeur du paysage, sublime, inquiétant. On mentionne que ces histoires dramatiques, bardées durement de poésie, se déroulent durant les années cinquante. Louise consacrera une partie de sa vie, autant dire sa jeunesse, à ces gens qu'elle ne pourra jamais oublier malgré ce qui la séparait d'eux. Et inversement. Quand elle reviendra au village, vingt ans plus tard, sa première visite sera pour l'école où elle a enseigné. Des souvenirs abondent, la bouleversent. Puis, voulant créer une surprise à Annie, sa meilleure amie inuite, elle sera décontenancée lorsqu'elle apprendra son décès survenu quelques mois plus tôt. C'est le fantôme d'Annie qui bouclera ces textes aux angles aigus. Elle hante le cimetière, son esprit ne voulant pas mourir. Subtilement, l'écrivaine abordera le suicide des adolescents à travers la débâcle de l'esprit d'Annie, dont le dernier fils a été une victime. Peu à peu, le récit entre dans la marginalité des événements quand Annie croit apercevoir la silhouette d'une femme qui s'attarde devant sa tombe. C'est Louise de qui elle n'a plus de nouvelles depuis longtemps. Enfin, Annie se résigne, se glisse sous les pierres, ferme les yeux, ne résiste plus...

Ce sont de magnifiques fictions — en sont-elles vraiment ? — rédigées habilement par Lucie Lachapelle, invitant le lecteur à savourer des cultures différentes, minoritaires trop souvent, desquelles sont rejetées des valeurs ancestrales. La vision qu'en donne l'écrivaine se réfère à des sentiments de nature instinctive, s'opposant à ceux plus sophistiqués du lecteur moderne, essayant de comprendre la distance culturelle et géographique qui le sépare de peuples enfermés dans des silences opprimés. En nos années qui bougent et parlent, des remises en question se font, des agissements se dénouent, les blessures des uns et des autres cicatrisant lentement, mais jamais tout à fait.

Le lexique inuktitut-français, mentionné à la fin du livre, sera fort apprécié de certains lecteurs.

 
Histoires nordiques, Lucie Lachapelle
Bibliothèque québécoise ( BQ ), Montréal, 2018, 136 pages