Critique de livres, romans, nouvelles, récits.
Écrire est un acte d'amour. S'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture. Jean Cocteau
lundi 4 mai 2009
Pattes de velours, griffes acérées *** 1/2
De nombreux écrivains ont loué la beauté et le mystère des chats. Nous viennent à l'esprit les noms de Charles Baudelaire fasciné par leur regard ; celui de Colette qui, à la brunante, se promenant en leur compagnie, parlait de " l'heure des chats ". Feu l'écrivain Yves Navarre, dans ses Carnets publiés, il y a plusieurs années, dans le quotidien Le Devoir, a longuement entretenu ses lecteurs de ses deux chats, Pattavan et Pattarrière. C'est au tour de l'écrivain Hans-Jürgen Greif de nous présenter des histoires insolites qui, soulignées de proverbes populaires mondiaux, mettent en scène ces animaux louangés ou vilipendés, titrées Le chat proverbial.
Onze nouvelles dans lesquelles le chat est omniprésent. Il va d'un lieu à un autre, d'un pays à un autre. L'espace n'a aucun effet sur lui, de tout temps il a existé. C'est un être libre, parfois rebelle aux meilleures intentions des hommes et des femmes qui se veulent ses maîtres. Le chat est méfiant, mais d'une fidélité à toute épreuve quand il a trouvé chaussure à sa patte, des genoux où s'endormir. Tant de qualités opposées à celles des humains font de lui un pestiféré ou le roi de la maison qu'il a choisie. Le chat s'installe à demeure ; s'il se sent emprisonné, il cherchera ailleurs le bien-être convoité. Il est avant tout un épicurien. Les chats qui fréquentent les nouvelles de Hans-Jünger Greif font foi de ce qu'on avance. La chatte au pelage blond, partageant notre quotidien, nous fait savoir d'un clignement des paupières qu'elle approuve nos commentaires !
Il y a le chat Birbone, que la belle et distinguée veuve Vannina Vannini a apprivoisé dans un cimetière napolitain. Traquant les rats et souris, Birbone lui rapportera un trésor qui lui permettra de retourner à Florence, sa ville natale, d'y vivre paisiblement jusqu'à sa mort. Le chat Honoré tient entre ses pattes un héritage qui déterminera du sort de celui qui l'empochera. Les conditions stipulées par le testateur, Ernest Bolduc, avantagent Honoré, au grand dam du frère d'Ernest, de sa femme et de leurs enfants. Mais, maître Jacques Turgeon, le notaire, veille. Un proverbe sénégalais a inspiré à Hans-Jürgen Greif une nouvelle qui n'est pas sans rappeler le thème du court roman de Colette, La Chatte : pour plaire à son amant, ami des chats, une jeune femme de carrière achète un chaton ; très vite, celui-ci se rendra compte que cette femme méprise les animaux. Il se réfugiera vers l'amant, occasionnant des scènes de jalousie jusqu'à la rupture finale. Une nouvelle touchante, sous le signe d'un proverbe néerlandais, nous emporte dans une résidence pour personnes âgées. Madame Bonnefoy vient d'y entrer à contrecœur. Cet endroit lui déplaît, de plus en plus le remords la ronge : elle a fait euthanasier son vieux chat Arachide, la résidence n'acceptant pas les animaux. Affectée d'un début de dépression, madame Bonnefoy fera la connaissance d'un pensionnaire, monsieur Daoust, qui l'aidera, d'une manière élégante, à sortir de ce mouroir.
On feuillette le recueil, chaque page nous happe, nous fait aimer les chats davantage. Victimes du bêtisier humain, on voudrait, tel le prophète Mohamed, couper un pan de notre manteau pour ne pas les déranger et leur apporter un brin de confort. On évoque les chats de Hameln qui, en 1284, sauvèrent la ville envahie par les rats, sans aucune reconnaissance de la part des habitants. Plus loin, Ilena, jolie femme russe, rétive au tempérament indépendant des chats, ne supporte que les chevaux et les chiens qui lui sont soumis. Une nuit, Butler, le chat de son amant, est attaqué par un chien vagabond. Sa mort, dont elle est en partie responsable, mettra un terme à leur liaison. En passant, on nomme Marcel, le chat mélomane et critique d'opéra ; Pastille, la chatte de Christiane et d'Albert, « une siamoise blue point, mignonne comme tout [...] » ; Gustave, le chat détective qui laisse des messages sur l'ordinateur de son maître pour l'aider à démanteler un complot ourdi contre des chats de laboratoire. Nouvelle cruelle, nous rappelant que le chat n'a pas toujours un sort enviable.
Dans ces récits écrits avec la verve, le dynamisme que nous connaissons à Hans-Jünger Greif, l'intelligence et l'humour se côtoient au long de soliloques émis par l'auteur — miaulements et feulements ! —, nous attirant immanquablement vers l'histoire particulière d'un chat et de son entourage. L'auteur privilégie la pensée des chats, leur octroie un raisonnement que seul un amoureux de ces félidés peut imaginer. Aucun anthropomorphisme, mais une réelle fascination qu'exercent les chats sur des hommes et des femmes irrationnels et rêveurs comme eux. Louis de Bonald, écrivain et philosophe français du XVIIIe siècle, n'a-t-il pas écrit : " L'homme naît perfectible, l'animal naît parfait " ? Maxime qui conviendrait magnifiquement au chat.
Un livre à offrir à ceux qui se croient supérieurs aux chats et dénigrent leurs fervents admirateurs !
Le chat proverbial, Hans-Jünger Greif
les Éditions de L'Instant même, Québec, 2009, 300 pages