lundi 15 juin 2009

Bêtes de nuit et oiseaux blessés ***


L'été étant à nos portes, on a décidé de faire une place bien méritée à quelques livres estivaux. Au-delà de quatre cents pages, ils racontent des histoires d'aventures et d'amour. Des histoires qui font peur ou rêver, écrites pour dépayser et divertir. On a commencé notre randonnée avec le roman policier d'Andrée A. Michaud, Lazy Bird.

Bob Richard, quarante ans, albinos célibataire, animateur de nuit à la station de radio locale WZCZ, à Solitary Mountain, Vermont. Depuis le suicide de ses parents, vingt ans plus tôt, il habite n'importe où, vit n'importe comment, sans attaches et sans racines. Il privilégie la nuit au jour, les animaux aux hommes, évitant ainsi les sarcasmes de ses semblables. Pourtant, la solitude qu'il souhaite trouver dans la petite ville ne durera pas. Une auditrice obsessionnelle lui téléphone presque chaque nuit, le menaçant de tuer son chien, l'obligeant à jouer sur les ondes des pièces musicales signifiantes. L'animateur apprendra par sa collègue Polly Jackson qu'à la suite de pareils avertissements, son prédécesseur, Cliff Ryan, a mystérieusement disparu. Bob Richard tentera alors de dépister son harceleuse, qu'il surnomme Misty, en référence à Errol Garner ; elle l'emportera dans des péripéties qui se dénoueront tragiquement. Sous le signe du film réalisé par Clint Eastwood, Play Misty for Me, se dessineront des indices accusateurs, occasionnant des rencontres avec des gens pas mieux lotis que lui. Étranger en ce lieu replié sur lui-même, considéré comme un handicapé, il deviendra le premier suspect. Les désastres ne se sont-ils pas accumulés depuis son arrivée ?

Si les nuits blanches se déroulent sur des airs de jazz, s'alimentent d'images de films, si chaque chapitre débute par une citation de Jim Morrison, Bob Richard se présente comme un hypersensible enchaîné à un douloureux passé ineffaçable. Intervient une ado paumée, pour qui il éprouve une tendresse ambiguë. Il l'appelle Lazy Bird, inspiré d'une pièce de John Coltrane. Au Dinah's Diner « seul restaurant de la place ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre [...] », il rencontre un dénommé Charlie Parker avec qui il se liera d'amitié. Celui-ci porte des « bottes de cow-boy et ses cheveux gris [sont] tressés derrière la tête. » Retiré dans une cabane près d'une rivière, à l'abri de l'agitation citadine, il n'est préoccupé que par l'essentiel. Fait plus inusité encore, Bob Richard attirera un vieux chevreuil albinos, disparu de la forêt depuis longtemps. L'animal se laissera vaguement apprivoisé, se pointant à la veille de chaque nouvelle catastrophe... Un patchwork de personnages percutants et attachants compose ce polar psychologique qu'Andrée A. Michaud dépeint avec le talent qui la caractérise.

Pourtant, entre les bêtes de nuit et de jour, humaines et animales, entre les oiseaux qui volent trop proches du malheur, l'intrigue traîne en longueur. Bob Richard élabore sur la sauvegarde de la nature, sur les particularités excentriques des humains, mettant lentement en place les pièces manquantes du puzzle géré par l'inconnue détraquée, qui s'impose de plus en plus dangereusement. Clins d'œil au cinéma, gros plans sur les sentiments exacerbés d'un homme constamment déchiré par de nombreux états d'âme et de conscience, ralentissant ainsi le rythme fatal d'un premier assassinat qui survient seulement au milieu du roman. À partir de ce meurtre, l'auteure met en branle des événements imparables, attendus du lecteur, soit le meurtre de trois femmes. Comme si une espèce de somnolence nocturne avait figé les protagonistes dans les brumes incertaines d'une expectative maniaque et décisive. Le mouvement infernal s'installe enfin, c'est la descente aux enfers de Bob Richard mais aussi l'affolement d'un être qui finit par se noyer dans le sang des autres et le sien.

Roman parfaitement approprié durant le temps d'un été. Les odeurs de la terre se mêlent à celles des corps revenus à leur primitive expression cadavérique. Seule demeure l'importance de la musique et des images que d'une manière fort habile, l'auteure a intégrées au scénario. Lancinantes, elles submergent l'histoire d'un homme mortellement blessé par la perte brutale de ses parents, marginalisé par sa différence, toutefois compatissant aux misères des autres.

Les qualités littéraires du livre ne font pas défaut. À son habitude, Andrée A. Michaud a su décanter la situation pathétique d'individus face à leur propre tragédie. Le drame traversé par l'albinos Bob Richard, à peine conclu, terni du visage flou d'un homme duquel nous ne savons rien, ne signifie-t-il pas qu'en permanence une ombre innommable nous poursuit, menace de son arme blanche les êtres que nous pensions les plus innocents, les mieux aptes à nous aimer ?


Lazy Bird, Andrée A. Michaud
Québec Amérique, Montréal, 2009, 420 pages

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