À quoi tient d'être présent dans un lieu particulier, seul ou avec une personne aimée ? On se dit que « là » s'avère un point cardinal potentiel, qui déterminera la suite d'une vie. Divers sentiments contradictoires, telles la tendresse et la révolte, occupent la majorité des nouvelles du recueil. On ne pourra toutes les noter, mais citons les textes, courts pour la plupart, qui nous ont fait réfléchir sur l'entièreté des émotions, rarement mitigées, des uns pour les autres. Dans Voir, une mère a perdu trois enfants. Un nombre incalculable de fois par nuit, elle se lève pour « voir » si son dernier-né respire toujours. Un petit miroir qu'elle tient devant sa bouche, s'embue du souffle de son fils. Adulte, il ne comprendra pas « pourquoi l'idée de fermer les yeux au creux d'un grand lit le remplit immédiatement d'angoisse [...] » Des voitures automobiles nous mettent en face de deux jeunes garçons mal aimés, livrés à eux-mêmes. Ils s'inventent un avenir où des voitures rutilantes auront une « vraie généalogie, une vraie famille, une vraie vie bien entourée [...] » Se dessinent aussi « oncle Volvo, tante Maybach, cousine Mazda, grand-mère Lincoln, mamie Mercedes... » L'insuffisance d'amour parental est compensé par le besoin de montrer qu'ils existent. Perdre le crayon, le cri de révolte d'une adolescente envers son père qui agit sous l'influence de sa mère. Plainte très brève mais combien saisissante. Le pire, l'existence gâchée d'un homme à cause d'un désir d'enfant non comblé, celui de « passer sa vie dans le monde de la peinture », un art qui le captive. Bien sûr, ses parents obtus ont refusé : un artiste, ce n'est pas sérieux... À quatorze ans, il a fait ses bagages, n'ayant derrière et devant lui que le vide. Il le recréera au trente-neuvième étage d'un édifice haut de gamme. Les années se succéderont à mesurer sa vacuité accablante malgré les femmes qu'il invite chez lui. Il est « riche à craquer » grâce à une idée ingénieuse de son cru pour détecter les faux tableaux. Une détresse incommensurable remplit cette nouvelle, l'une de nos préférées.
Perdu petit moleskine marine raconte l'histoire d'un homme affublé d'une tache de naissance. Il soigne des enfants atteints de cette anomalie mais ne prend pas le temps de soigner la sienne. Il refuse le compromis car, dit-il, « c'est elle qui m'a construit, c'est de là que je viens. » Son identité charnelle l'enfermant dans une sorte de déni, le contraindra à se dévouer à ceux et celles qui lui ressemblent... Le cherche-étoiles dépeint un autre homme jamais remis de l'indifférence de sa mère. Réclamant un baiser de sa part, elle le repousse et lui dit : « Laisse faire les cajoleries. C'est rien que du sentiment, ça. Tu cherches encore des étoiles, mon garçon. » Assoiffé d'amour maternel, il quête les étoiles malgré leur froideur à l'image de sa mère.
Nouvelles dérangeantes s'il en faut. Une fois au moins dans notre vie, nous avons dû affronter pareils manques, que ce soit quelque désamour ou inaccomplissement d'ordre professionnel. Combien d'entre nous ont dû batailler ferme pour traverser, sans trop se blesser, ce « là » trébuchant, lieu de frustration, de violence, de solitude. Les personnages de Diane-Monique Daviau se font ubiquistes pour sonder les failles menant là plutôt qu'ailleurs. Nous ne dirons jamais assez l'importance des lieux qui nous habitent, où nous nous sommes arrêtés avant de bifurquer vers une voie opposée à celle dont nous avions rêvé. Destin ou fatalité ? Sommes-nous censés répondre à des questions insolubles ?
Là (petites détresses géographiques), Diane-Monique Daviau
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2009, 160 pages
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