lundi 2 juin 2014

Avant que le monde soit monde *** 1/2

Aphorisme. Écrire, c'est le défi du phénix avant qu'il atteigne le soleil, s'y heurte, s'y enflamme. Avant qu'il soit réduit en cendres et, enfin, ressuscite. On a lu le roman de Vincent Thibault, Le Grand XXIIIe, ou ce qui arriva lorsqu'un orphelin de la Basse-Cité devint roi des elfes et l'éprouvante odyssée qui s'ensuivit.

On parle peu de ce genre de romans fantastiques destinés aux adolescents et aux jeunes adultes mais, étant sensible au talent de cet auteur qu'on suit depuis ses premières armes, on a décidé de passer outre. Le récit se déroule dans le Monde d'Avant, quand les humains n'existaient pas encore ou bien se manifestaient sous la forme d'elfes, créatures issues d'une démone passionnée et d'un singe solitaire. Leurs descendants sont respectueux, paisibles, ils ne vivent que pour s'aimer, aider leurs prochains. Mais le roi, le Grand XXIIe, adulé de son peuple, agonise. Il faut qu'avant son décès, il nomme son successeur, ce dernier ne pouvant être un membre de sa famille, selon le Commentaire du Code royal de Ramtakh. Ce sera donc un elfe orphelin de la Basse-Cité, Denlha, chapardeur, rebelle, qui héritera du trône royal. Son éducation sera prise en charge par le médecin du roi, Sapta, désigné comme le tuteur du jeune elfe, et par Gupta, son élève. Quand mourra le Grand Vingt-deuxième, la Haute-Cité sera attaquée par des milliers de Khorloks qui, depuis longtemps, aspirent à la colonisation de Ramtakh. Après que Denlha a été intronisé, il devra fuir, accompagné de Gupta, les Khorloks envisageant de le kidnapper.

Les aventures du jeune elfe, qui ne sont pas sans évoquer Le voyage d'Ulysse, signé Yvon Paré, ont un but précis. Les villages traversés, les montagnes franchies, les déserts parcourus symbolisent ce que l'elfe royal se doit d'apprivoiser en lui-même. Sagesse et humilité que le futur roi devra cultiver s'il veut que son peuple le considère tel un monarque digne de respect et d'amour. Les rencontres avec des elfes rigoureux, équitables, avec des bêtes répugnantes et avisées transmettent un message parfois édifiant, parfois silencieux. On se rappelle le rôle du serpent dans Le petit prince, imaginé par Antoine de Saint-Exupéry. La quête de Denlha s'avérera de plus en plus singulière à mesure que le temps — temps elfique — sera représenté par l'envahissement sanguinaire de Ramtakh. On aime qu'aucune anecdote guerrière ne soit fondée sur le bien ou le mal mûrissant en chacun de nous, sur des certitudes grotesques, trop souvent perçues dans ce genre de livre. Si l'ennemi meurt, le gentil meurt aussi, comme dans une guerre réelle ou rien n'est épargné au lecteur qui veut en savoir davantage. Il y a des héros, des repentis, des tortionnaires, des victimes, des morts inutiles. Personne n'est invincible. Pendant que s'intensifie ce carnage, Denlha combat seul ses propres démons, autre guerre. Les éléments naturels sont mis constamment en action, tels l'air, le feu, la terre, l'eau. Le corps s'harmonise à leur rythme, l'esprit se régénère. On devine que Vincent Thibault enseigne ce qui est cher à sa vision du monde et à ses bienfaits.

Roman initiatique avant tout, basé sur des préceptes qu'il n'est pas toujours simple de suivre, ni de poursuivre, quand le corps et l'esprit s'amalgament à des métamorphoses qu'imposent de longues randonnées dans des lieux menaçants, sur un îlet « banal au centre de rien. » L'île n'est-elle pas la métaphore favorable à transcender les exigences morales d'un être elfique ou humain ? N'est-elle pas l'aboutissement de soi, la plénitude qui nous pénètre avant de retourner au déferlement astreignant de la foule ? Ici, il s'agit d'un prince s'acheminant, fébrile, vers ses sujets.

Si ce roman palpitant s'inscrit différemment dans l'œuvre hétéroclite de Vincent Thibault, il nous a touché par sa profondeur à peine visible mais discernable chaque fois que les ombres, les Khorloks, essaient de dévaster la luminosité émanant des elfes et de leurs intentions bienveillantes. Émouvante leçon d'humilité que l'écrivain, elfe lui-même, nous sert à travers une histoire distrayante, intense.


Le Grand XXIIIe, Vincent Thibault
Éditions Hurtubise, Montréal, 2014, 243 pages 






2 commentaires:

  1. Votre aphorisme mériterait réflexion et ...réponse .

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    1. merci Brigitte,
      je l'ai envoyé à une personne qui n'a pas daigné répondre.

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Commentaires: