Et si on délaissait la feuille blanche, comme certaines parcelles de notre vie, comme un livre qu'on n'écrira jamais, comme une nuit d'insomnie où, au matin, la brume l'emporte sur la clarté bleue du ciel ? Tant de suppositions attisent la crainte de découvrir le vide, occupé de nos échouements sur un bord d'océan, dans un sentier tracé par les pas de l'homme. On se repose, on est bien. Ci-joint nos commentaires que nous a inspirés le roman de Jean-Marc Ouellet, Les griffes de l'invisible.
La thématique proposée par l'écrivain s'avère très actuelle. Un avertissement romancé qu'il ne faut pas prendre à la légère sous couvert que nous faisons confiance à la fiction. À l'imagination fertile du conteur. Bien souvent, un fait divers prend la tournure inusitée d'une rumeur avant de se transformer en certitude, qui dénonce ou garantit la teneur du propos annoncé. L'histoire, ici, se présente sous l'aspect d'une menace signalée par l'auteur, mais aussi par l'anesthésiologiste qui pratique dans un hôpital de Québec. La vérité peut-elle se confondre avec l'allégorie ? Dans ce cas précis, il eût été rassurant d'inscrire ce récit parmi les affabulations d'un médecin en quête de sensations fortes. Mais après un détour dans ce récit passionnant, on ne pouvait que s'interroger, le sort d'Alex Fournier nous ayant troublée.
La vie de cet homme est jusqu'à présent sans problème. Ce jour-là, heureux, il rend visite à sa sœur, veuve, installée à la campagne, mère de deux jeunes enfants. D'emblée, elle lui confiera que son fils est atteint de leucémie, qu'il n'a que quelques mois à vivre ; Charles a toujours été sensible aux effets perturbateurs des ondes électromagnétiques. À son retour chez lui, ébranlé par les révélations de sa sœur, taraudé par la curiosité, le médecin se met en quête de cerner ce terrible sujet auprès de ses collègues, de ses amis. Bien que chacun s'apitoyât sur le sort désespéré du neveu, personne ne croit au danger de l'électromagnétisme. Alex a compris qu'il doit, de son propre chef, prendre les choses en main. À la suite d'une conférence donnée par un célèbre hémato-oncologue, qu'il rencontrera, il sera confirmé dans sa décision. Ce chercheur s'est vainement penché sur les causes mortelles des ondes électromagnétiques, il n'a reçu que railleries et sarcasmes de la part de ses pairs, au point de se rétracter, de quitter le Québec. Il met Alex en garde mais ne le dissuade pas de différer ses ambitieux projets.
Ce dernier enverra une lettre à l'agence gouvernementale l'informant des méfaits des émissions électromagnétiques, espérant atteindre la méga compagnie WBS, qui détient le monopole de l'ensemble industriel. Après un certain temps, des menaces d'intimidation seront envoyées à Alex Fournier, l'intimant de se mêler de ses propres affaires. Il n'en fera rien, et commence alors une série d'atteintes sur son entourage, sur des personnes qui sont au courant de ses desseins. Une journaliste, son ex-épouse. Un employé de l'agence qui avait, délibérément, considéré sa demande. Entretemps, Charles est mort, la vie professionnelle d'Alex Fournier est soumise à la personnalité parfois difficile de collègues qui ont remarqué la nervosité angoissée de l'anesthésiologiste. Ne pouvant se dépêtrer seul du terrifiant piège que lui a tendu la WBS, il devra porter plainte, utiliser les services de l'inspecteur Picard, qui doute de la véracité des péripéties de son client, celui-ci n'ayant aucun argument solide à lui fournir. Jusqu'au jour où les preuves d'assassinat s'accumulant contre lui, Alex Fournier sera emprisonné, en attendant son procès.
On ne dévoilera pas les intrigues se nouant autour du médecin, n'altérant en rien son désir de combattre les multinationales qui empochent les profits générés par les émissions électromagnétiques, ne se souciant pas de la santé des humains, des dérives de la nature, du comportement parfois instable des animaux. Des insectes. Si Alex paie le prix fort de son acharnement, il sortira grandi de cette adversité, ayant réussi à déstabiliser un univers pernicieux, ignoré de la majorité des mortels, victimes silencieuses d'une poignée de profiteurs qui n'ont rien à perdre, la vie pour eux étant secondaire.
Roman classé parmi le genre policier, ce qui nous a un peu étonnée, tant l'action, captivante, se déroule autour du médecin Alex Fournier, sa lutte visant un monolithe humain inébranlable, ses collègues l'abandonnant à ses délires donquichottesques. Au moment venu, il devra faire la part des choses, saisissant avec amertume la solitude qui l'accable. Explorer à sa source le mal qu'accentuent, dans ce récit palpitant, de courts intertextes, menant le lecteur à son point de non-retour. À lire pour réfléchir au destin de l'humanité, à son avenir compromis par le despotisme de cupides individus réfractaires à la continuité d'un monde, déjà meurtri par les guerres...
Les griffes de l'invisible, Jean-Marc Ouellet
Éditions Triptyque, Montréal, 2016, 197 pages
C'est rendu que j'ai hâte de lire non pas la prochaine critique d'un livre mais votre intriguant premier paragraphe que je soupçonne vous appartenir et qui n'a rien à voir avec le livre lu. J'essaie d'en deviner le sens. En vain et c'est là le plus beau: je préfère rester dans le mystère de ce "On".
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