C'est une lectrice à qui on répond. Lectrice qui a la générosité de commenter chacune de nos publications. On n'a aucune préférence pour un genre de livres, mais certains ne conviennent pas à notre blogue. Un choix s'imposait dès qu'on a entrepris de consacrer du temps à la littérature québécoise. Les essais et la poésie se lisent en privé, se commentent pour soi. Des voix livresques nous interpellent qu'on écoute dans l'intimité d'un silence complice. On parle des nouvelles de François Gravel, Toute une vie sur les bancs d'école.
Une fois encore, pour des raisons commerciales, l'éditeur s'est adjugé un label qui ne convient pas aux textes qui composent ce livre. Ce ne sont pas des nouvelles mais des chroniques littéraires touchantes, graves et pudiques, d'un professeur à la retraite qui a enseigné l'économie pendant une trentaine d'années dans un collège. L'auteur, populaire, n'avait nul besoin de ce subterfuge pour atteindre son nombreux et fidèle lectorat.
En préambule, nous lisons la chronique éponyme qui nous informe des raisons pour lesquelles l'écrivain a donné une part belle au milieu de l'enseignement qu'il connaît si bien. Auteur d'une centaine de livres — adultes et jeunesse —, il a parcouru le territoire du Québec, franchi le seuil de provinces anglophones, pour rencontrer des jeunes de cultures différentes, les inciter à la lecture. Ce sont des souvenirs qu'il a retenus de ces voyages grinçants ou divertissants qu'il raconte. Comme dans tout recueil qui rassemble des textes divers pour en composer une œuvre, quelques-uns nous ont touchée plus que d'autres. Que d'enseignantes et d'enseignants dévoués à leur profession, telle Julie qui se consacre sans rechigner à des adolescents ayant subi un traumatisme irréparable, accusant leur inaptitude dans la société. Leur cas est pathétique, comme celui de Jason qui, à trois ans, a innocemment aidé son père à se suicider, ce que lui a reproché sa mère à longueur de journée et d'année. Maintenant adolescent, il a besoin de deux ou trois joints quotidiens pour survivre, sinon pour oublier... L'auteur narre l'aventure qu'a vécue l'un de ses amis séminariste qui, avec raison, ne regrette aucunement le temps révolu du « vrai cours classique », celui des prêtres. On a du mal à croire qu'un homme d'Église, soi-disant sain d'esprit, ait pu terroriser sans conscience humaine des garçons de quatorze ans en leur faisant visiter une aile sinistre de l'Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, « asile de fous, comme il était dit à l'époque ». Il y a encore l'impitoyable intervention d'une mère qui exige de la directrice d'école que fréquente sa fille, qu'elle fasse respecter par toutes ses élèves, les règlements qu'elle a imposés, au détriment d'une adolescente atteinte d'un cancer. Lassitude de la directrice qui se confie à l'auteur. Éric ne veut plus étudier alors que son père tient absolument à ce qu'il « aille à l'université ». Intelligent, il fera son possible pour échouer à ses examens, ce qui intriguera son professeur d'économie. La première classe, ou la dernière, inspirée du conte d'Alphonse Daudet. L'auteur prend à témoin un jeune garçon qui arrive en retard en classe. Redoutant la sévérité de son instituteur, l'enfant, celui du conte, sera surpris par son inhabituelle indulgence. Un triste événement historique se prépare hors des murs de l'école...
Tout le recueil est ainsi, saturé de cas extrêmes qu'il serait inutile de présenter ici, préférant que le lecteur et la lectrice y trouvent leur compte, évoquant peut-être eux-mêmes des souvenirs scolaires qui les ont marqués. Si certains regrets envers ses étudiants sillonnent les confidences de l'écrivain-enseignant, il ne manque pas d'en récolter beaucoup de modestie, masquée sous une couche d'humour qu'il nous est agréable de savourer. Repérée dans un groupe d'étudiants déficients scolaires pour des raisons familiales ou sociales, il y a aussi Cindy un peu plus âgée, danseuse nue, pratiquant, soupçonne son professeur, « d'autres métiers connexes ». Il l'aidera malgré elle à passer un examen qu'elle réussira brillamment. La croisant des années plus tard dans un salon du livre, elle lui apprend qu'elle a terminé une maîtrise en travail social, qu'elle œuvre auprès de prostituées. Un texte comptant parmi les plus émouvants. Au même titre que la chronique intitulée On dirait le Sud. Mélange d'ironie envers la vétusté des lieux et l'admiration pour un jeune professeur, qui use d'imagination pour que ses étudiants lisent dans la sérénité des travaux scolaires accomplis. L'amour des mots émaille le recueil, se répercute avec ferveur dans le texte Étymologies, comme un point final à ces balades généreuses.
De courts intertextes, qui rendent hommage à quelques hommes célèbres, nous ont émue. On nomme Georges Brassens, John Lennon, Albert Camus, Henri Guillemin. Aussi un amical clin d'œil à René Lecavalier, animateur québécois de sport télévisé et animateur de radio...
Si ces chroniques sont à mettre entre les mains des enseignants, comme le suggère la quatrième de couverture, elles sont à mettre aussi entre les mains de parents, trop irrespectueux envers des hommes et des femmes qui, grâce à leur passion du métier et leur dévouement indéfectible, bâtissent à travers leurs enfants, la société de demain.
Toute une vie sur les bancs d'école, François Gravel
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2016, 152 pages
''L'amour des mots émaille le recueil, se répercute avec ferveur dans le texte Étymologies, comme un point final à ces balades généreuses.''
RépondreSupprimerJe prends note avec plaisir et intérêt.
Merci Suzanne de votre générosité littéraire. Belle journée.
SupprimerAprès deux semaines en voyage et sans beaucoup de connexion Internet, me voici de retour. Je retrouve avec plaisir vos billets. Chroniques plutôt que nouvelles, c'aurait été aussi "vendeur", il me semble.
RépondreSupprimerÉtant méthodique, j'aime que les choses soient appelées par leur nom. Pour moi, une nouvelle n'est pas une chronique. Et inversement. Merci Claude de votre passage.
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