On aime le soleil, la peau brunit sous ses rayons ardents. Les pelouses, les arbres, les fleurs. La vivacité de l'eau enchante notre regard. On se dit que là est la vie, qu'elle est verte et non blanche comme le symbolise la neige et son paysage endormi jusqu'au printemps prochain. Faisant la part des choses, aimant Montréal, on attend, sans rechigner, que la verdure renaisse, refleurisse. On commente le roman de Laurette Laurin, Se prendre au jeu.
L'histoire est une exaltation passagère sur fond de répétition théâtrale. Sentiment ardent qui se suffit à lui-même pour mieux dévorer ceux et celles sur qui la passion tombe sans crier gare. C'est lors de la dernière représentation d'une pièce dramatique que Margot et Stefano — étant désignés par lui et elle, on les cite du prénom des héros qu'ils ont incarnés —se rendent compte à quel point ils sont attachés l'un à l'autre. Chacun de son côté est marié depuis vingt ans, sont parents, il n'est pas question de changer quoi que ce soit à la bonne entente qui les lie à leur partenaire. Lui, Stefano, est architecte, elle, Margot, journaliste, qui se balade d'un congrès à un colloque. Le théâtre s'avère un passe-temps agréable, qui comble ce manque que les personnages créés par d'illustres dramaturges rassasient. Après s'être avoué leur attirance réciproque, une soirée à arpenter les rues de la ville, main dans la main, ils se séparent, retournent à leurs habitudes. Mais plus forte que les conventions, leur attirance va semer le trouble et le doute dans leur esprit rationnel. Ils échangent des courriels, essaient de concocter un rendez-vous à travers leurs occupations professionnelles, qui ne blessera personne. Ils y parviennent bien que de plus en plus ils sont aux prises avec un désir amoureux qu'ils ne veulent pas assouvir, lui et elle n'ayant jamais trompé son partenaire. Ainsi commence une danse animale, primaire, parce que instinctive, les décisions de l'esprit méthodique narguant les nécessités du corps épris. Jeu dangereux qui n'ira qu'en s'exacerbant, il faut que la chair exulte, chantait Jacques Brel.
Roman axé sur l'amour impossible entre un homme et une femme qui, surpris par tant d'années attelées à la fidélité sacrée du mariage, s'interrogent sur l'incapacité de vivre pleinement une relation qui ne sera qu'un exutoire à leurs insatisfactions maritales. Ce que laisse entendre Margot qui se remémore sa vie de jeune fille, son besoin d'hommes quand elle découvre les exigences du corps, le sien étant plus que désirable. Un brin de nymphomanie l'emporte dans de volcaniques étreintes quand Stefano deviendra enfin son amant. L'un et l'autre affamés, le temps qui s'égrène hors d'eux les entrave dans une bulle aux parois fragiles, tous deux ménageant prudemment une part de leur existence à laquelle ils tiennent, telle une bouée de secours, nécessaire, seyant à leur âge mûr qu'ils ne partageront pas ensemble, ils le savent.
Des extraits de chansons, des poèmes, des citations enrichissent le récit qui, nous le devinons, ne pourra que se terminer dans la lassitude obligée des corps, Margot devant réparer les promesses bafouées envers son époux, celui-ci obnubilé par les corps à remettre sur pied. Les cœurs, serait plus juste, il les ouvre, les rafistole, les referme. Alors qu'il ignore les frustrations du cœur de son épouse. Lui faisant confiance, comme si ce sentiment se déployait dans l'indifférence qu'instaurent trop souvent des décennies de vie conjugale. Comme au théâtre, nous devons nous satisfaire d'un instant d'illusion, ce que ne manqueront pas de faire Margot et Stefano avant de se prendre à leur propre jeu. Cependant, tous les jeux se terminent plus ou moins rudement, sans qu'il n'y ait forcément un gagnant et un perdant.
Fiction où les sens occupent une place privilégiée, l'amour interdit se défendant d'être au rendez-vous. Il est ailleurs, sur ce qu'ils ont bâti, se leurrent Margot et Stefano, qui, au fond de leur conscience, craignent le renouveau, ce printemps tardif duquel nous reconnaissons les prémices, prenant plaisir à inventer une saison inhabituelle. Les corps font de même, ils s'éveillent de vingt ans d'endormissement, libérés de l'attrait trompeur des souvenirs. On s'est délectée de ce récit aux allures parfois conventionnelles, le désir ne se pointe-t-il pas chaque fois qu'une rencontre due au hasard nous secoue de ses turbulences improbables ? Ce désir propre à innover une histoire d'amour d'avance avortée qui n'aurait rien à voir avec les individus que nous sommes... L'écriture dynamique, pour ne pas dire fougueuse, qu'emprunte Laurette Laurin, témoigne d'une histoire élaborée sur un ton impudique et sensuel, que nous retrouvons rarement dans la littérature actuelle. Histoire érotique bien plus divertissante que ce qu'on a lu récemment. Il y a un abandon réjouissant du langage s'amalgamant avec la personnalité bouillonnante des deux protagonistes, ces derniers réduisant leur délectation physique, leur refoulement moral, à "lui" et "elle", le "tu" réflexif l'emportant plus rarement sur le cheminement fatal de ce couple qui, sans préambules, s'est pris au jeu d'un bonheur illusoire. Mais l'illusion passionnelle n'est-elle pas une forme théâtrale du bonheur ?
Se prendre au jeu, Laurette Laurin
Éditions Québec Amérique, Montréal, 2017, 260 pages
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